Même si la quatrième de couverture et l'introduction laissaient présager le contraire, dans l'ensemble, Le Malaise existentiel ne s'intéresse pas tant que ça aux personnages. Ceux-ci y sont plutôt considérés comme les vecteurs d'un message en particulier (le malaise existentiel sous toutes ses déclinaisons) au même titre que le narrateur, l'auteur, les descriptions, les dialogues, etc. Comme s'ils donnaient l'occasion ou qu'ils constituaient un prétexte pour parler du malaise existentiel lié à l'hypermodernité. Dans plusieur des textes de l'ouvrage, une fois que le malaise existentiel est identifié grâce au(x) personnage(s), on délaisse celui-ci ou ceux-ci pour se concentrer sur les implications philosophiques ou socio-culturelles de ce malaise.
Tout de même, l'ouvrage contient plusieurs études de cas que j'ai intégrées aux fiches correspondantes lorsqu'elles étaient pertinentes dans le cadre du projet. Ici, j'indiquerai seulement les textes qui me semblent plus intéressants à propos du personnage déconnecté en général ou qui contiennent certaines remarques judicieuses sur des cas particuliers qui n'ont pas encore fait l'objet de fiches ou qui ne correspondent pas tout à fait au cadrage temporel du projet.
Introduction - Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael, p. 5-9.
L'ouvrage part de la réflexion de Gilles Lipovetsky qui veut que la logique individualiste actuelle soit à la base du Malaise existentiel dans le roman français de l'extrême contemporain: “Face à la destructuration des contrôles sociaux, les individus, en contexte post disciplinaire, ont le choix de s'assumer ou non, de s'autocontrôler ou de se laisser aller.” L'ouvrage de Clément et van Wesemael s'intéresse à la seconde catégorie: “les gens [les personnages donc] qui ne participent pas, mais se réfugient en retraite solitaire, privés de repères.”
“Chacun de nous est un désert”: solitudes multiples au vingtième siècle - Ruth Amar , p. 11-33.
Réflexion sur le héros solitaire dans la littérature du XXe siècle, le texte est donne également un aperçu historique de la solitude à travers différents philosophes, écrivains et romans, pour en arriver à la conclusion que la solitude est thème tellement important du roman contemporain (au sens de XXe siècle…) qu'elle en a modifié les formes.
Serge Joncour: une poétique du mal-être - Mike Olivier Kouakou, p. 35-46.
Article Pour des détails, voir les fiches de lecture portant sur les romans de Joncour
Voyages vers le vide. Le malaise de l'individu contemporain dans l'oeuvre de Jean Echenoz - Mervi Helkkula, p. 47-56.
“L'individu de l'époque narcissique veut donc garder sa liberté personnelle et préfère pour cela la solitude. Le désir de liberté individuelle conduit à la désaffection des relations interindividuelles et, en fin de compte, à une “étrangeté absolue à autrui” (Gilles Lipovetsky, L'Ère du vide, p. 54).”
Ni le narrateur ni Victoire ne semblent injecter de sens ou donner un but aux activités de Victoire, le personnage principal de Un an, qui envisage le moindre incident avec une indifférence plus ou moins totale.
“Au lieu de se concentrer sur l'essentiel, le narrateur attire l'attention du lecteur sur des détails tels que les élastiques “hypotendus” des chaussettes d'un des personnages. Et le comble de l'ironie est que les personnages eux-mêmes sont distraits par ces questions vestimentaires, si bien que le sens de l'action est complètement oublié au détriment des détails de surface.
L'indifférence au sens se manifeste ainsi non seulement chez les personnages mais également dans l'acte narratif lui-même. Dans ce dernier, cependant, il s'agit naturellement d'une mise en scène ironique de l'esprit du temps. Pour Echenoz, et pour la littérature post-moderne en général, il est impossible de parler du malaise contemporain de la même façon qu'au temps du modernisme et de l'existentialisme. Il n'y a que cette manière indirecte, imprégnée d'humour, qui permette de le mettre en scène. C'est le travail du lecteur de décider si l'auteur prend au sérieux ce “malaise” ou s'il se contente d'en rire.” (56)
La solitude flottante des héros modianesques - Maryline Heck, p. 205-216.
“Le solitaire chez Modiano se définirait donc par son ambivalence ; par son caractère “vaporeux” également: désamarrés du monde, les personnages de Modiano n'en semblent que plus nébuleux, désincarnés, dessinant une forme de solitude que l'on pourrait qualifier de “flottante”. (207)
“La solitude de la fugue ou de la fuite n'est pas seulement pour ces personnages [le narrateur de Dora Bruder et Victor Chmara dans Villa Triste] une manière de rompre avec les autres, mais donc aussi avec le temps. Promesse d'une coupure enfin possible avec son passé et sa mémoire, que tant de protagonistes de Modiano recherchent. D'un exil de soi, que la solitude semble paradoxalement favoriser. C'est dire qu'elle ne serait pas toujours cet acte d'affirmation de soi qu'elle fut pour l'adolescent fugueur: elle accentue souvent, au contraire, la tendance à la déréalisation des personnages, leur caractère fantomatique et désincarné.” (213)