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ranx:univers_univers_-_ancienne_fiche

Notice bibliographique : JAUFFRET, Régis, Univers, univers, Paris, Verticales, 2003, 610 p.

Résumé de l’œuvre :

Une bourgeoise, dans son appartement, surveille un gigot par le hublot du four. Mais cette situation initiale assez simple éclate rapidement. La femme (appelons-la ELLE) ne sait pas trop ce qu'elle fait dans cette cuisine qui lui semble inconnue et elle ne peut s'empêcher de s'imaginer différentes identités (d'autres femmes, la plupart du temps), différentes existences, allant parfois jusqu'à devenir un objet, un animal, un concept. S'ensuit une pléthore de noms propres tous plus communs les uns que les autres, des femmes et des enfants battus, violés, subissant l'inceste, des fugues, des fuites, des voyages désespérés, des invités qui arrivent à l'improviste, un mari inintéressant, des rapports sexuels presque toujours décevants, etc. « Tu es aussi bien Paulette Jannier […]. Tu peux devenir Marie-Pierre Carolet […]. Tu peux être tout un bataillon de filles à la fois, des femelles de tous âges, de tous les temps […]. Tu existes peut-être d’une façon générale sans qu’on puisse t’attribuer avec certitude aucune personnalité particulière tu fais partie de la ville comme l’air un peu sale qu’on y respire. Tout le monde te contient en une quantité infinitésimale, comme une vitamine, un sel, un métal en suspension. Tu es dans tous les cerveaux à l’état d’idée fixe, de concept incompréhensible […]. » (p. 276-278). Outre la femme au gigot, deux autres éléments sont récurrents dans Univers, univers: un mari qui cherche à vendre son agence depuis des années et les Pierrot. Ces “terroristes de l'invitation” (http://www.livresse.com/Bibliotheque/jauffret-regis-univers.shtml), ces démons de la piscine ne cessent de convier (ou de kidnapper, à l'occasion) ELLE et son époux à de fastidieuses et fastueuses soirées à leur domaine, leur imposant chaque fois une baignade de plus en plus sophistiquée et des loisirs de plus en plus extravagants. En participant à des conflits armés au bout du monde ou en en organisant chez eux (p. 515-517), en faisant construire un aquarium, un cimetière, un vélodrome, un hôpital, une école dans leur cour (ces constructions s'additionnent et demeurent à chacune des visite de ELLE, contrairement à tout le reste de l'univers qui paraît sans cesse recommencer à zéro à chaque “réincarnation”), en vivant dans un camp de réfugié, en construisant un parc d'attraction dans une zone de guerre, en se faisant torturer à qui mieux mieux, en mourant d'en d'atroces souffraces, les Pierrot cherchent à tout prix à tromper leur confortable et ennuyeuse vie bourgeoise. ELLE et les Pierrot constituent donc les pôles opposés de la vie bourgeoise: l'une veut à tout prix trouver une nouvelle identité, une nouvelle existence, tandis que les autres cherchent continuellement à agrémenter la leur de la façon la plus extrême possible.

Narration : extradiégétique, hétérodiégétique

Pendant la majeure partie du roman, l'histoire des multiples identités de ELLE est racontée à la troisième personne et l'espèce d'entité abstraire qu'est ELLE glisse d'un personnage à l'autre de façon, semble-t-il, assez aléatoire et involontaire. Cependant, à quelques reprises (entre les pages 276 et 349, notamment), la deuxième personne fait son apparition, ce qui donne l'impression que le narrateur commande au(x) personnage(s) de ELLE. Ce changement est aussi l'occasion d'éclairer en partie le processus de transformation ou de déplacement de ELLE d'une identité à l'autre. Par exemple, « À l’âge de dix-neuf ans une crise d’épilepsie emportera Françoise Querrat pendant son sommeil, mais tu prendras la précaution de devenir sa sœur juste avant son décès et elle remplacera dans la mourante » (308). On constate alors également, pendant quelques pages, que ELLE devient une sorte d'intruse dans le corps et l'esprit de son hôtesse: « Tu entendras le corps gémir, tu lui feras même pousser un cri que tu étoufferas dans l’oreiller. Puis tu le lèveras, tu lui feras enfiler un pull, ouvrir la fenêtre et gagner le balcon » (p. 340) ; “Elle ira tout de suite dans sa chambre, elle se couchera. Tu utiliseras sa mémoire pour te souvenir qu'elle avait été de garde toute la nuit […]. Vous vous réveillerez de concert à dix-neuf heures, vous prendrez une tasse de café […]. Vous prendrez dans la penderie une robe en velours vert, vous l'enfilerez et vous tournerez sur vous-même devant la glace. Elle se trouvera assez jolie, tu jugeras son contentement très excessif. Ta façon de dénigrer son aspect teintera sa bonne humeur d'un nuage de tristesse” (p. 345).

Personnage(s) en rupture : ELLE
A) Nature de la rupture : Interprétative d'abord, puis actionnelle

En regardant cuire son gigot, une activité routinière, ELLE devient étrangère au monde. De par la nature excessivement banale de son occupation et son attitude passive, ELLE ressemble à des milliers d'autres personnes. Elle n'a ainsi plus d'identité propre, mais erre ou s'imagine errer d'une identité à une autre. Privée de son identité, ELLE s'égare “dans le pandémonium de noms qui grouillent dans sa tête” (p.90) et n'arrive plus à comprendre ce qui se passe autour d'elle et à agir en conséquence puisqu'elle est sans cesse étrangère, déconnectée. À l'ordre de la vie rangée qu'elle menait avant sa “dispersion” s'oppose alors le chaos de ses errances imaginaires (ou réelles, selon la lecture qu'on en fait). Dans les deux cas, elle n'est toutefois personne, soit en étant trop normale, soit en étant trop de gens différents à la fois. Cela donne au lecteur l'impression qu'il est impossible d'échapper à la perte d'identité liée à la vie quotidienne.

B) Origine de la rupture : actorielle et/ou psychique

Actorielle : ELLE ne parvient pas à supporter son rôle de femme, de ménagère, de mère de famille anonyme (d'où la profusions de noms qu'elle se donne) à la vie tellement ordinaire qu'elle en est aliénante : « Elle se laisserait emmener dans n’importe quel hôtel particulier, n’importe quelle chambrette, elle aurait servi de chat, de chien, on aurait pu la mettre comme un écureuil dans une cage dont elle aurait fait tourner la roue toute la journée, pourvu qu’on lui attribue un rôle quelconque qui lui tienne lieu d’identité. » (p. 390) Tous les moyens sont bons pour prendre une place, sa place, dans la société, se singulariser, c'est pourquoi, quand elle s'échappe vers d'autres vies, elle fait parfois fi des normes sociales et morales, couche avec le premier homme venu, accomplit l'inceste, etc., bref, elle cherche à tout prix à se différencier.

Psychique : Étant donné que l'ambiguïté règne sur la façon dont ELLE erre d'une identité à l'autre, on ne peut exclure que cette errance soit seulement le fruit d'un dérèglement mental (qui aurait, c'est vrai, été suscité par sa sensation d'être personne et tout le monde à la fois: « Elle est allée au salon, elle a allumé le téléviseur. Tout le monde avait son visage, par contre elle ne reconnaissait pas toujours son corps quand il était celui d’un homme ou d’une femme de quatre-vingt-dix ans qu’on interviewait après un cambriolage. Elle souffrait, elle se rendait compte qu’elle vivait dans un monde anormal où elle était seule malgré la multitude apparente des individus qui semblaient le peupler. » (537))

C) Manifestations : posture passive et désorientée

Bien qu'à quelques reprises, ELLE semble passer consciemment et volontairement d'une identité à une autre, la plupart du temps, elle est plutôt ballottée d'existence en existence. Elle occupe également (comme bon nombre de femmes chez Jauffret) une position faible ou soumise dans l'univers où elle évolue : Ménagère dévouée à son mari et à sa famille, femme soumise au plaisir des hommes ou incapable de faire preuve d'autonomie, par exemple.

D) Objets : ...

Explication :

E) Manifestations spatiales : lieux hostiles, étrangers

Lieux représentés :

L'appartement: la cuisine, là où elle prend conscience de son absence d'identité ; la chambre à coucher, où il faut accomplir le plus souvent dans la douleur le devoir conjugal ; la salle à manger qui réserve toutes sortes de surprises puisqu'ELLE ne sait jamais si des invités seront présents ni à quoi ressemble son mari, si elle a des enfants, etc.

La rue: en général représentée comme une échappatoire à la vie bourgeoise de l'appartement, parfois hostile, mais en général un lieu de découverte et d'aventure vers l'inconnu où tout peut arriver.

Chez les Pierrot: leur domaine est un symbole de la déchéance entraînée par la volonté de tromper l'ennui. ELLE a toujours peur d'aller chez eux, car la piscine la rend toujours malade ou bien elle est forcée de participer à leurs projets extravagants.

ranx/univers_univers_-_ancienne_fiche.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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