Le terme «intermédialité» est un néologisme, apparu dans le lexique de la langue française à la fin des années 1980, dont l'origine éthymologique provient de l'allemand «Intermedialität» qui lui-même prend ses racines du latin «inter» qui signifie «entre» et «medius» qui signifie «central». Le suffixe «ité», du latin «itās», quant à lui, sert à former un nom indiquant une caractéristique dérivée d'un adjectif. Selon le professeur Jurgen Ernst Müller de l'Université d'Amsterdam, un des premiers à introduire le concept à la fin des années 1980, l'intermédialité constitue une «approche conceptuelle pluridisciplinaire s’intéressant aux relations et interactions entre des médias distincts à l’intérieur d’une œuvre et se développant « dans des contextes sociaux et historiques spécifiques ». En d'autres mots, les médias utilisés dans une oeuvre, loin d'être à considérés de manière isolée les uns des autres, sont interreliés afin de former une unité de sens. Éric méchoulan, professeur au Département des littératures de langue française à l'Université de Montréal et spécialiste de l'esthétique et de l'épistémologie, définit quant à lui l'intermédialité comme la pluralité médiatique inhérente à la constitution d'une oeuvre et, par le fait même, nécessaire à sa compréhension. Dans sa communication « Intermédialité, deixis et politique », Germain Lacasse, historien et théoricien du cinéma d'origine québécoise, affirme: « On pourrait appeler «sphère intermédiatique» l'espace symbolique constitué par les médias dans leur rapport avec les communautés». En tout et pour tout, le mot «intermédialité» dénote le recours à d'autres formes de médias pour évoquer le teneur idéologique, culturel, politique, sociologique, voir même économique d'une oeuvre d'art. Notamment, au théâtre, le numérique est à même de transposer certaines valeurs à ses présentations par l'entremise d'une manipulation judicieuse de possibles propriétés médiatiques tels que les effets sonores ou visuels.

L’intermédialité fait son apparition dans le champ littéraire au cours du XXe siècle. Cependant, cette notion hérite de plusieurs siècles d’utilisation sous différents sens du terme intermedium. En italien, le terme intermedio ou intermezzo est assez spécifique au théâtre. Datant du début de la renaissance, cette expression pourrait être plus exactement traduite par intermède. En effet, il désigne l’insertion dans l’œuvre d’interludes musicaux ou théâtraux distincts de la pièce principale. Cependant, le terme intermedium n’apparait vraiment qu’au début du XIXe siècle sous la plume de Coleridge. Avant de prendre son sens actuel, il se rapportait plutôt aux figures de style comme l’allégorie, intermedium entre personne et personnification. Au cours des XIXe et XXe siècles, la signification de ce terme évolue pour désigner des œuvres qui s’appuient sur différents médias (dont la plupart naissent à cette période). En 1984, le terme intermedium apparaît dans ce sens nouveau chez Higgins, qui, malgré l’évolution de sa signification, fait référence à Coleridge dans son ouvrage. On voit donc que le terme intermédialité, basé sur la nation d’intermedium, prend son sens actuel dans les années 80. On peut cependant voir que des œuvres relevant de ce que nous appelons aujourd’hui intermédialité existe depuis l’Antiquité. Du point de vue d’Aristote par exemple, poésie et musique sont liées par une relation intermédiatique qui en fait presque une notion unique. On retrouve ce genre de chose – notamment la liaison des genres – dans de nombreuses œuvres, et pas seulement entre musique et poésie, mais aussi entre roman et poésie, roman et musique, roman et essai, etc.

L'intermédialité est un concept qui sert particulièrement bien le domaine artistique. En effet, autant au cinéma qu'en musique, et même en arts visuels, l'idée de mélanger les différents médias intéresse beaucoup les artistes depuis ces dernières années. Toutefois, certaines disciplines sont plus hermétiques de d'autres à cette pratique. En effet, il est plus difficile pour la littérature que pour le cinéma de faire usage de l'intermédialité, à cause du modèle immobile et figé du livre papier. Avec le livre numérique, il devient possible d'intégrer des images, du son, ainsi que des liens hypertextes, mais l'intermédialité n'est pas à son plein potentiel. Au cinéma et au théâtre par contre, les possibilités se multiplient depuis les dernières années.

Au théâtre, par exemple, il est déjà habituel d'utiliser des projections numériques afin de donner une dimension supplémentaire aux décors. Dans certains cas, les metteurs en scène poussent encore davantage l'idée de l'intermédialité en jouant sur les limites du théâtre et du cinéma. Il est maintenant possible d'user d'hologrammes afin de faire apparaître sur scène des personnages fictifs, des avatars, ou encore pour ressusciter une star décédée. Céline Dion, par exemple, a réussi à acomplir le souhait de son défunt mari en chantant en duo avec nul autre que le légendaire Elvis Presley(ou plutôt son image reconstituée) sur les planches de l'émission American Idolhttps://www.youtube.com/watch?v=re9_eFo_Nek Le théâtre se trouve magnifié par l'utilisation des «nouvelles» technologies, car elles lui permettent d'entrer dans de nouvelles dimensions qui, jusque-là, étaient réservées au cinéma. Les perspectives s'en trouvent multipliées et par le fait même, la nature même du théâtre questionnée. On s'accorde en général pour dire que le théâtre est « […] un spectacle, une performance, un travail corporel, un exercice vocal et gestuel, le plus souvent dans un décor particulier.» Ces frontières se trouvent bousculées par l'intermédialité qui ajoute une nouvelle dimension aux représentations théâtrales. La relation entre l'acteur et le spectateur se modifie, quelques fois jusqu'à devenir très floue. L'espace scénique aussi se modifie, la scène à l'italienne (surélevée et encadrée sur trois côtés par des murs) ne devient plus le seul modèle utilisé.

Alors que tout l'espace scénique change, ainsi que la façon de représenter les pièces, une question se pose de plus en plus : qu'est-ce que le théâtre? Comment pouvons-nous dorénavant le définir?

Il serait légitime de prétendre que le théâtre ne peut pas se développer indépendamment de son public. On pourrait même dire qu’il est la notion de base, soit l’acteur et son spectateur. Le croisement des médias dans la production théâtrale, entre autre, est un concept qui, depuis les environs du XXe siècle, avec le marché capitaliste de l’édition et l’apparition des médias, est depuis bien longtemps admis. Concept qui d’ailleurs s’est grandement complexifié avec l’apparition des médiums numériques et, plus particulièrement, de leurs fonctions relatives au théâtre.

Un médium est, tout d’abord, « ce qui permet les échanges dans une certaine communauté à la fois comme dispositif sensible et comme milieu dans lequel les échanges ont lieu ¹⁾». De cette affirmation, on pourrait supposer que l’intermédialité au théâtre serait l’intervention de plusieurs « supports médiatiques ²⁾ » entre acteur et public dans le cadre d’une représentation théâtrale. Leurs fonctions, quant à elles, serait donc aussi sujettes à cette dynamique, car « Le média est conçu de manière à permettre la communication directe et réciproque, il n'est pas un média de masse à sens unique ³⁾ ». Pour correspondre à cette affirmation, des supports médiatiques tels que la télévision, la radio ou même les plateformes médiatique pourraient nous venir à l’esprit, ces derniers étant propres à cette conception; mais le théâtre, aujourd’hui, va beaucoup plus loin, car on parle ici d’intermédialité, c’est à dire :

Qu’un produit médiatique devient intermédiatique quand il transpose le côte à côte multimédiatique, le système de citations médiatiques, en une complicité conceptuelle dont les ruptures et stratifications esthétiques ouvrent d’autres voies à l’expérience. ⁴⁾ »

Dans l’article d’Izabella Pluta ROBOT SUR SCÈNE (En)jeu du futur, la pièce Sayonara ver. 2 ainsi que Les trois soeurs version Androide, par Oriza Hirata, serait des exemples pertinents pour éclairer ces théories. Dans ces dernières, Hirata expérimente une esthétique et une scénographie qui repousse ce que l’on conçoit a priori sur la théâtralité dans l’ère du numérique. Pour lui, « la présence active de robots sur scène n’est qu’une question de temps ⁵⁾ » : il le démontre bien en mettant en scène des robot-acteurs dans les deux pièces citées plus haut. Plus encore, la scénographie de ces pièces est établie en fonction d’eux, à la fois pour car ils ont la fonction de générer la tension dramatique, mais aussi car ils imposent une contrainte du point de vue esthétique.

Ce choix suscite bien sûr de nombreux questionnements chez les théoriciens de l’intermédialité. Que signifie la place de l’acteur au théâtre, lorsque son rôle devient de plus en plus obsolescent? Si l’intermédialité, au théâtre comme au cinéma, pour les arts visuels et en littérature, est un concept encore bien confus, où ce concept se délimitera-t-il enfin?

1. Résistance médiatique

2. L'avatar

3. Intermedium et intermedia

4. Le livre numérique

https://vimeo.com/106218565

Les Troyennes, pièce d'Euripide (480 à 406 av.J.C.) mise en scène par Jacinthe Gilbert au Théâtre Omnivore en 2014, tire profit de l'intermédialité dans son récit évoquant les états de révolte, de peur, de folie ainsi que de résignation émotionnelle découlant de l'enlèvement des femmes de Troie par les Grecques. La pièce millénaire présente une trame moderne octroyée par son contenu musicale, à sonorité rappelant la grèce antique et, par le fait même, les peuples victimes des entreprises conquérantes de l’Occident.

LEPAGE, Robert, « La face cachée de la lune », 2000. https://www.youtube.com/watch?v=ORHjMqC3Cg4

Au moment de la course pour l'espace entre Soviétiques et Américains, Philippe, éternel doctorant et jaloux de son cadet, André, qui a réussi en tant qu'animateur météo, s'intéresse à l'espace. Cette pièce est un one-man-show où l'interprète partage tous les rôles et crée, à l'aide de trois accessoires (un hublot, une étagère, une planche à repasser) des décors sans cesse différents, allant de la maison de Philippe à une navette spatiale.

DION, Céline et Elvis PRESLEY, «If I can dream», Youtube, En ligne, URL : https://www.youtube.com/watch?v=re9_eFo_Nek [page consultée le 7 mars 2019]

Afin d'honorer son défunt mari, Céline Dion a chanté «en duo» avec un Hologramme d'Elvis Presley, mort depuis plus de cinquante ans. La prestation a été donnée sur les planches de la scène d'American Idol devant des centaines de spectateurs qui ont été bluffés par l'aspect réel du King.

LARRUE, Jean-Marc (2011). Théâtralite, médialité et sociomédialité: Fondements et enjeux de l'intermédialité théâtrale. RTAC: Recherches théâtrales au Canada, Vol 32, No. 2, URL: https://journals.lib.unb.ca/index.php/tric/article/view/19460/21021 . Consulté en ligne le 2 mars 2019.

Le principe de remédiation sous-jacent à la dynamique d'intermédialité peut aller de pair avec ce qui est communément appelé la résistance médiatique s'il est considéré, par les agents du média qu'est le théâtre, que la remédialité va à l'encontre de leurs intérêts, voire même de leur identité. Cette résistance au théâtre, qui prend forme dès les premières ébauches de révolution électronique de 1880 jusqu'à l'ère du numérique d'aujourd'hui, peut être expliquée par différentes hypothèses. Par ces dernières, l'article tente d'expliquer les possibles causes, modalités et effets de cette résistance.

MAKHUMULA, Catherine (2018). The Politics of Intermediality in African Theatre Contexts. Revue intermédialités. Vol 30-31. URL: https://www.erudit.org/en/journals/im/2017-n30-31-im03868/1049950ar/. Consulté en ligne le 2 mars 2019.

Selon cet article, l'intermédialité est saisie dans le contexte du théâtre africain. et s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle ses modalités vont au-delà de son aspect esthétique en s'appuyant à la fois sur des sphères socio-politico-économiques et sur des facteurs idéologiques. En ce sens, chargée d'une connotation à saveur politique, l'intermédialité façonne la conceptualisation qu'une population donnera aux interactions présentées selon le contexte historique, culturel et géographique de la région. En d'autres mots, en prenant exemple sur le continent africain, l'article explique l'influence des discours propre à une région sur les relations entre les médias.

MÜLLER, Jürgern Ernst, « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », dans Cinémas, vol. X, n°2-3 (2000), p. 105-135.

Lien pour accéder à l'article numérisé: https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2000-v10-n2-3-cine1881/024818ar.pdf

Cet article présente la notion d'intermédialité selon Müller. Il s'appuie sur une histoire du terme intermédialité et son origine pour introduire des axes de recherche. Cet exposé historique et de recherche est complété par une analyse du monde avant la création de la télévision du point de vue intermédiatique.

KUNTZ, Hélène et BIET Christian. « Théâtre occidental : La dramaturgie » Encyclopédia Universalis, En ligne URL: https://www.universalis.fr/encyclopedie/theatre-occidental-la-dramaturgie/#i_0 [page consultée le 7 mars 2019]

Cet article présente une définition du théâtre plus traditionnelle, qui nous permet de mettre en perspective le théâtre d'aujourd'hui et toutes les nouvelles possibilités qui s'offrent à lui grâce à l'intermiédialité.

Jade Cyr, Léopoldine Maréchal, Simon Beaulieu et Anouk Lefebvre