ranx:eric_chevillard_le_hors-la_du_roman

Mise à l'épreuve de la grille de pré-analyse sur article journalistique sur Chevillard - théorie implicite du récit

- VERDIER, Lionel, et Gilles BONNET, « Éric Chevillard, le hors-là du roman », dans Lionel Verdier et Gilles Bonnet [dir.], L’excès. Signe ou poncif de la modernité ?, Paris, Éditions Kimé (Les cahiers de la marge, 6), 2009, p. 279-298. PDF IPDF II[GD]

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- Grille de pré-analyse - Chevillard

- Mise à l'épreuve - Chevillard journalistique

Note dans la mise à l'épreuve de la grille : Être attentif à l’ordre dans lequel sont traitées les différentes composantes du récit abordées par la critique. Par exemple, parle-t-on de la composante discursive à défaut de pouvoir dire quelque chose de l’histoire (dont on a d’abord tenté, justement, de rendre compte)? Se rabat-on sur le personnage à défaut de pouvoir établir la cohérence de l’ensemble?…

Caractéristiques du récit à observer chez la critique :

Personnage

* Quels éléments retient la critique pour présenter le personnage? S’attache-t-elle à sa description physique ? À ses actions ? À son rôle dans le récit ? En quels termes ?

  • On entame l'article avec le personnage : « La bestiole s'est posée sur le cahier; s'ensuit l'œuvre d'Éric Chevillard, comme un Non mais ho matriciel déplié en récits, contraints d'accepter pour sujets Palafox, Crab ou un hérisson, qui surgissent pour investir le texte. La soudaineté de leur apparition n'a d'équivalent que leur inertie : “posé là, pesant et diffus à la fois”, Crab, “cent kilos d'ankylose” s'impose en une présence excessive, tout comme le hérisson : “On a compris qu'il serait là tout le temps. Pas moyen de passer outre, quitte à se détourner, quitte à se rallonger / il faut se coltiner.” » (p. 279)

* Comment réagit-elle au traitement du personnage chez Chevillard ?

  • On souligne leur caractère “contraignant” comme si le récit héritait malgré lui de ses personnages. On parle de leur surgissement et de leur inertie, renvoyant ici, peut-on croire, à leur caractère singulier et déroutant et à leur passivité au sein du récit, un récit que l'on suppose sans actions manifestes. Sa présence est dérangeante et freine le récit du narrateur : « parce qu'il prend d'assaut la “table de travail” et qu'il “impose sa présence revêche”, le hérisson tue dans l'œuf le grand projet autobiographique du narrateur, tout comme “l'ombre dansante de Palafox sur ce cahier, son bourdonnement énervant et inefficace […] perturbent à nouveau notre travail d'aujourd'hui.” C'est en fait un rapport de parasitisme consentant qui s'instaure, la bestiole “tantôt précédée, tantôt poursuivie par la plume” relançant bien sûr l'écriture avide de dire sa contrariété. Il faut écrire de cet intrus qu'est Crab, qui “dans tout autre livre, […] serait un personnage secondaire” alors qu'il “est le héros unique de ce livre”. Comme un ob-scénité initiale qui scandalise et intime l'écriture. »

Le nom du personnage pose problème aussi. La désignation ne permet pas d'accéder à une meilleure compréhension de celui-ci, d'accéder à un portrait plus clair du personnage : La tension vers la caractérisation échoue, malgré une démultiplication de l'étiquette : “voici Faldoni : couvert de Faldoni, doublé de Faldoni, farci de Faldoni”. […] [L]e personnage, bien qu'excessivement présent, là, tout le temps, demeure “hors de portée”. […] [D]ans l'univers chevillardien, on ne peut conclure à la réalité ontologique des êtres […]. »

* De ces informations, quelle conception du personnage est véhiculée par la critique ?

  • Si on prend la chose à rebours, on pourrait dire que le personnage devrait être à la source de l'action. Il devrait être plus facile à cerner pour le lecteur et ne pas échapper ainsi à la compréhension. Il nuit au récit même : « En ce sens, le personnage chevillardienn, mélange de jubilation extatique et de destruction sans retour, plus qu'un personnage, est le lieu de cette explosion de l'intolérable.. Il semble se créer sans scrupule aucun pour la cohérence du récit. » (p. 292)

Intrigue / histoire

* Quels éléments retient la critique pour proposer un résumé de l’histoire ?

* Comment réagit-elle au traitement de l’histoire chez Chevillard ?

* De ces informations, quelle conception de l’intrigue / histoire est véhiculée par la critique ?

Narrateur / narration / discours

* Quels éléments retient la critique de la figure du narrateur et/ou de son discours ?

  • On constate une perte de repère. On parle de brouillage : « Insertion sans guillemets d'autres voix (comme les épitaphes du Démarcheur), emploi d'un “nous” ou d'un “vous” référant à une entité informe regroupant narrateur, personnage et narrataire, ce sont les repères habituels du récit qui s'effacent pour laisser place à ce ça qui parle, parasitant la fiction, altérant la cohésion de l'énoncé, brouillant l'énonciation. » (p. 287)

* Comment réagit-elle au traitement de la figure du narrateur et/ou du discours chez Chevillard ?

  • Il semble qu'il s'agisse-là d'un frein au déroulement du récit. On tombe alors dans une version négative du récit : le non-récit.

« Épuisant comme autant de leurres les objets qui nourrissent la fiction, la voix narrative ne semble affirmer pour seule motivation du récit que son dehors, ce non-objet et ce non-sujet ouvrant le texte à l'inquiétude du sens, à ce néant qui est aussi son hors-là. » (p. 288)

* De ces informations, quelle conception du discours, dans son rapport au récit et/ou à l’histoire, est véhiculée par la critique ?

On dresse des ponts entre la narration et la conception de la fiction : « De cette “dissonance excessive”, Chevillard retient comme principes l'inversion et la saturation, en somme l'esthétique d'une narration à rebours où l'excès comme dépassement de la tension entre réel et fictionnel doit ouvrir à cet hors-là inquiétant, obscène et monstrueux du récit, D'un côté donc, un non-objet, un non-sujet, une négation qui innerve le récit, comme ce gris, négation de toute couleur qui devient la matière saturant l'ouverture de Au plafond […]. De l'autre une jubilation langagière, une ivresse de l'énumération. Si la fiction chevillardienne, quoique ontologiquement narrative, tend à se désigner comme pur effet de texte, dans sa sape systématique de ses procédés, elle rejoint en cela d'autres pratiques fictionnelles, celles de Beckett et de des Forêts notamment, refusant la seule recherche formelle pour se situer au point où la langue et réel dysfonctionnent. Sans objet ni sujet, sans résistance du côté de la mimésis, le récit en excès prolifère démesurément dans le vide du pensable, instaurant une improbable cohérence fictionnelle dans la temporalité de l'énonciation […]. » (p. 289)

On « épuis[e] les possibles du récit » (p. 291). Le récit sert aussi à constat «l'épuisement du sens par l'exploitation des possibles de la fiction» (p. 290) C'est l'échec du sens qui sous-tend les récits de Chevillard : « Le récit est à la fois le constat de cet échec et son démenti excessif, démonstratif et monstrueux. » (p. 290) On parle également de « l'involution de la négation qui engendre tout récit ». (p. 291) Il semble donc que ce soit les déficits du langage qui engendre le récit, le langage n'étant pas célébré pour son potentiel créatif mais plutôt pour son incapacité à dire (Blanchot) : « Le récit en crabe se creuse de ses absences, laissant le lecteur pris au piège de l'impossible saturation, de l'impossible suturation du langage et du réel, en une fiction de fiction excédant toute saisie […]. » (p. 293)

Digression

* Impact sur la progression de l'intrigue, sur la structure narrative ?

  • Il semble que la digression procède à la fois de l'esthétique du récit, sur le plan de la phrase comme tel, et d'une visée narrative voulant représenter l'excès jusqu'à l'essoufflement du sens, pour représenter le néant ultimement. La digression relève de l'excès et aboutie à rien, tourne à vide : « La digression se constitue donc a posteriori comme un excédent, déchet d'une tentative de désignation dont l'échec ostensible abandonne le texte à sa propre logique, de l'ordre de la contamination lexicale et non de l'épanorthose. Le paragraphe consacré à la colle universelle dévoile la préférence accordée à la dérive lexicale sur la gradation sémantique. […] L'excès n'est même plus débord d'un cadre, mais effacement de tout cadre par la puissance poétique du texte qui étire les sèmes respectifs de la haine et de l'orange à la seule fin de proposer leur comparaison dans la bouche de Crab. » (p. 281)

La fonction du récit doit se lire comme suit : « ouvrir le récit à ce hors-là, en saturant ses marges, dans une tension toujours reconduite entre ce qui est hors, indicible, inquiétant, altérant et ce que sont le réel et la matière même du langage, saturer le récit de ces petites brèches dont parle Chevillard dans un entretien accordé au Matricule des anges, à propos de la digression et de Lewis Caroll : “Ce qui m'intéresse, c'est justement le moment où dans mon récit une petite brèche s'ouvre dans laquelle je vais pouvoir m'engouffrer sans savoir nécessairement où je vais me retrouver.” » (p. 286-287)

* Réaction de la critique

  • La digression est à ce point prégnante qu'elle n'inverse pas le rapport du texte et de ses niveaux de récit, mais elle annule la notion d'objet et de sujet du récit : « Ni objet, ni sujet dans les récits de Chevillard. Ou plutôt un non-objet et un non-sujet, une “petite brèche” ouvrant sur cet entre / antre inquiétant, à l'image de ce hors-là qui en est la part absente, excédante et excédentaire, en marge, défaut déplié en excès qui ne cesse de déstabiliser les rapports entre la fiction et le réel, jusqu'à rendre insaisissable l'énonciation. » (p. 287) Les niveaux sont entremêlés et les voix narratives aussi.

Fragmentation

* Impact sur la progression de l’intrigue, sur la structure narrative, sur l’œuvre ?

* Réaction de la critique

Cohérence de l’ensemble

Les digressions nuisent à la cohérence de l'ensemble : « Le récit se charge de sa part obscure de non-récit, de virtuel, en une sorte de fiction de fiction [sic] au regard de laquelle la textualité en excès sur la fable empêche toute illusion du réel. Saturé de ses possibles, de ses rebuts, du flux monstrueux des clichés, de la parole, des voix, c'est paradoxalement l'espace ouvert à l'imaginaire qui empêche la cohérence et la linéarité du récit, le “gonflant” tout comme est “gonflé” le personnage chevillardien, qu'il surgisse tel “le préposé aux inscriptions” du grotesque concours de beauté où est inscrit Palafox (“gonflons vite un petit personnage corpulent aux joues roses”), ou qu'il fasse éclater le texte par une acrobatique énumération […]. » (p. 288)

Varia

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Stratégies rhétoriques à observer chez la critique

(Par rapport aux caractéristiques indiquées ci-dessus, mais aussi de façon générale ; ces stratégies tendent à trahir les limites des théories narratives dont fait usage la critique pour tenter de saisir l’œuvre de Chevillard) :

Usage de la métaphore

Citations de l’œuvre

* Reprises et citations de l’œuvre de Chevillard pour décrire celle-ci, dans un geste circulaire. Autrement dit, la critique utilise (ou transforme ?) l’œuvre de Chevillard comme matière théorique pour commenter l’œuvre.

Déclarations de l’écrivain

* Recours aux entrevues de l’écrivain pour appuyer ses idées – comme figure d’autorité ou pour d’autres usages qu’il faudrait identifier, le cas échéant.

On fait appele à une entrevue que Chevillard a donné pour Le Matricule des Anges dans lequel il fait référence à Lewis Caroll : « saturer le récit de ces petites brèches dont parle Chevillard dans un entretient accordé au Matricule des anges, à propos de la digression et de Lewis Caroll : “Ce qui m'intéresse, c'est justement le moment où dans mon récit une petite brèche s'ouvre dans laquelle je vais pouvoir m'engouffrer sans savoir nécessairement où je vais me retrouver.” » (p. 286-287)

Comparaisons / rapprochements intertextuel(le)s

* Lesquel(le)s ? Vérifier si ces rapprochements intertextuels sont énoncés faute de pouvoir rendre compte de l’œuvre (incapable de décrire celle-ci, la critique se résout à comparer pour donner au moins « une idée » de l’œuvre). Vérifier si ces rapprochements sont seulement énoncés ou expliqués.

On le compare à Beckett et à Des Forêts : « Si la fiction chevillardienne, quoique ontologiquement narrative, tend à se désigner comme pur effet de texte, dans sa sape systématique de ses procédés, elle rejoint en cela d'autres pratiques fictionnelles, celles de Beckett et de des Forêts notamment, refusant la seule recherche formelle pour se situer au point où la langue et réel dysfonctionnent. Sans objet ni sujet, sans résistance du côté de la mimésis, le récit en excès prolifère démesurément dans le vide du pensable, instaurant une improbable cohérence fictionnelle dans la temporalité de l'énonciation […]. » (p. 289)

Vocabulaire approximatif

* Étrange, singulier, bizarre, incongru, déroutant, insaisissable : les qualificatifs passe-partout qui empêchent d’avoir à décrire l’œuvre.

On aura tôt fait de remarquer à la lecture de cet article que nous sommes dans une logique de l'excès. On dirait que l'article décline à l'excès les figures de l'excès justement. L'argumentation est très circulaire : beaucoup de répétitions, aucune référence théorique savante, retour incessant sur les œuvres de Chevillard, ce qui donne un résultat relativement convaincant et qui laisse l'impression d'une longue redite.

Varia

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ranx/eric_chevillard_le_hors-la_du_roman.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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