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ranx:grille_de_pre-analyse_-_chevillard

Grille de pré-analyse – théorie implicite du récit dans le discours critique de l'oeuvre de Chevillard

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- Mise à l'épreuve de la grille (exemples) - Chevillard journalistique, Chevillard académique


À titre indicatif : Si la grille a été élaborée en repérant les notions narratives et les stratégies rhétoriques récurrentes dans l’ensemble de la critique, elle a également été influencée par trois propositions glanées au hasard de lectures, qui trouvent un certain écho dans la critique de Chevillard :

  • « Les critiques ont beau préférer, en bons pédagogues, faire semblant de ne rien remarquer, et par contre ne jamais manquer une occasion de proclamer sur le ton qui sied aux vérités premières que le roman, que je sache, est et restera toujours, avant tout, ‘‘une histoire où l’on voit agir et vivre des personnages’’ » (Nathalie Sarraute, « L’ère du soupçon », dans L’ère du soupçon. Essais sur le roman, Paris, Gallimard (Idées), 1956, p. 69).
  • « Aussi, faire la critique d'un roman, cela se ramène souvent à en rapporter l'anecdote, plus ou moins brièvement, selon que l'on dispose de dix colonnes ou de deux, en s'étendant plus ou moins sur les passages essentiels : les noeuds et dénouements de l'intrigue. Le jugement porté sur le livre consistera surtout en une appréciation de la cohérence de celle-ci, de son déroulement, de son équilibre, des attentes ou des surprises qu'elle ménage au lecteur haletant. » (Alain Robbe-Grillet, « Sur quelques notions périmées », dans Pour un nouveau roman, Paris, Gallimard, p. 34.)
  • « Histoire et narration n’existent donc pour nous que par le truchement du récit. Mais, réciproquement le récit, le discours narratif ne peut être tel qu’en tant qu’il raconte une histoire, faute de quoi il ne serait pas narratif » (Gérard Genette, « Discours du récit », dans Figures III, Paris, Seuil (Poétique), 1972, p. 74).

Sarraute, en dépit du fait qu’elle renvoie au roman et non exclusivement au récit, montre la prédominance de l’histoire et du personnage dans la saisie conventionnelle d’une œuvre narrative. De même pour Robbe-Grillet, qui fait reposer l'appréciation de l'histoire par la critique sur la cohérence de l'anecdote. Genette affirme que le discours n’est narratif qu’à la condition qu’il raconte une histoire. Or, ce sont toutes des notions problématisées dans l’œuvre de Chevillard ; la réaction de la critique à l’égard de ces trois objets – personnage, histoire et discours – m’est donc apparue intéressante à observer.

Dans le même ordre d'idée, l'article de Vincent Jouve, « Les métamorphoses de la lecture narrative », Protée, vol 34, n° 2-3 (2006), p. 153-161, constitue un bon repère pour tenter de cibler une théorie implicite du récit chez la critique. Il observe, entre autres, que le premier réflexe du lecteur est d'associer « les signes du texte à des structures sémantiques préexistantes (modèles narratifs, cadres cognitifs, schémas idéologiques) » (156). Or, s'agissant de récits contemporains, il remarque que « la phase de reconnaissance se fonde moins sur des schémas idéologiques ou des modèles narratifs volontairement brouillés que sur des intertextes » (156). Il donne alors l'exemple de Chevillard, dont l'« émiettement des récits […] est ainsi compensé par la référence aisément repérable aux textes de Beckett » (156). De mémoire [j'écris ceci après la constitution de la grille et son application (15/12/2010)], il est vrai que la plupart des critiques (au moins journalistiques et culturels) rapprochent l'oeuvre de Chevillard de celle d'autres auteurs - Beckett, Michaux, Ponge - et ce, après avoir établi la subversion des codes conventionnels du récit (personnages flous, pas d'histoire, digressions…). La référence intertextuelle est également pratiquée par la critique académique, mais de façon moins éloquente, l'article s'articulant autour d'une problématique analysée.

Plus loin, toujours à propos de Chevillard, Jouve écrit : « Dans la plupart des récits actuels, il y a en effet trop de détails, trop de digressions, trop de pièges pour qu'on puisse être sûr de tenir le fil conducteur autour duquel reconstruire un enchaînement logique. La nébuleuse du crabe est ainsi composé de 52 textes qui nous présentent un personnage - Crab - dont les actions n'obéissent à aucune logique apparente (sauf parfois, celle du jeu de mots […]) et s'enchaînent sans autre principe que la fantaisie du narrateur. Ayant le sentiment d'être confronté à une collection d'énoncés, le lecteur à tendance à pratiquer une lecture séquentielle plus intensive qu'extensive : le paragraphe, érigé en objet d'art, devient le lieu privilégié de son attention » (157). Là encore, c'est un réflexe que l'on remarquera abondamment du côté de la critique journalistique / culturelle qui, à défaut de pouvoir reconstituer une trame narrative unifiée, livre des parcelles de l'histoire en citant ici et là des passages du roman qui échouent à donner une idée cohérente de l'ensemble, avec comme résultat une critique aussi morcelée que son objet d'étude.


Note pour la mise à l'épreuve de la grille : Être attentif à l’ordre dans lequel sont traitées les différentes composantes du récit abordées par la critique. Par exemple, parle-t-on de la composante discursive à défaut de pouvoir dire quelque chose de l’histoire (dont on a d’abord tenté, justement, de rendre compte)? Se rabat-on sur le personnage à défaut de pouvoir établir la cohérence de l’ensemble?…

Caractéristiques du récit à observer chez la critique :

Personnage

* Quels éléments retient la critique pour présenter le personnage? S’attache-t-elle à sa description physique ? À ses actions ? À son rôle dans le récit ? En quels termes ?

* Comment réagit-elle au traitement du personnage chez Chevillard ?

* De ces informations, quelle conception du personnage est véhiculée par la critique ?

Intrigue / histoire

* Quels éléments retient la critique pour proposer un résumé de l’histoire ?

* Comment réagit-elle au traitement de l’histoire chez Chevillard ?

* De ces informations, quelle conception de l’intrigue / histoire est véhiculée par la critique ?

Narrateur / narration / discours

* Quels éléments retient la critique de la figure du narrateur et/ou de son discours ?

* Comment réagit-elle au traitement de la figure du narrateur et/ou du discours chez Chevillard ?

* De ces informations, quelle conception du discours, dans son rapport au récit et/ou à l’histoire, est véhiculée par la critique ?

Digression

* Impact sur la progression de l'intrigue, sur la structure narrative ?

* Réaction de la critique

Fragmentation

* Impact sur la progression de l’intrigue, sur la structure narrative, sur l’œuvre ?

* Réaction de la critique

Cohérence de l’ensemble

Varia

Stratégies rhétoriques à observer chez la critique

(Par rapport aux caractéristiques indiquées ci-dessus, mais aussi de façon générale ; ces stratégies tendent à trahir les limites des théories narratives dont fait usage la critique pour tenter de saisir l’œuvre de Chevillard) :

Usage de la métaphore

Citations de l’œuvre

* Reprises et citations de l’œuvre de Chevillard pour décrire celle-ci, dans un geste circulaire. Autrement dit, la critique utilise (ou transforme ?) l’œuvre de Chevillard comme matière théorique pour commenter l’œuvre.

Déclarations de l’écrivain

* Recours aux entrevues de l’écrivain pour appuyer ses idées – comme figure d’autorité ou pour d’autres usages qu’il faudrait identifier, le cas échéant.

Comparaisons / rapprochements intertextuel(le)s

* Lesquel(le)s ? Vérifier si ces rapprochements intertextuels sont énoncés faute de pouvoir rendre compte de l’œuvre (incapable de décrire celle-ci, la critique se résout à comparer pour donner au moins « une idée » de l’œuvre). Vérifier si ces rapprochements sont seulement énoncés ou expliqués.

Vocabulaire approximatif

* Étrange, singulier, bizarre, incongru, déroutant, insaisissable : les qualificatifs passe-partout qui empêchent d’avoir à décrire l’œuvre.

Varia

Réflexions.......

Je collige ici des infos glanées au hasard de lectures, pour mémoire, qui trouveront peut-être leur pertinence au cours de la réflexion [VA]…

Sur l'action : « L'action, c'est-à-dire l'enchaînement des événements qui constitue une histoire, a paru longtemps indissociable de la nature même de la fiction romanesque. Des tendances nouvelles ont cependant, à notre époque, proposé d'autres formes d'organisation du récit. Ainsi, dans les années 50, le courant du Nouveau Roman à [sic] remplacer le développement linéaire du “sujet” par des moyens indirects d'expression : le monologue intérieur (Claude Simon, Nathalie Sarraute) ou une écriture descriptive (Alain Robbe-Grillet) à l'origine de ce que Rolan Barthe a appelé “une école du regard”. »

FOREST, Philippe et Gérard CONIO, Dictionnaire fondamental du français littéraire, Paris, Pierre Bordas et Fils, 1993, p. 11-12. (Bilan narrativité)

Par rapport à Chevillard : la critique n'ira pas jusqu'à dire franchement que son oeuvre propose d'autres formes d'organisation du récit - du moins la journalistique, pour qui le personnage et ses actions semblent organiser - ou désorganiser - le récit. La critique académique est sans doute plus éclairée (il faudrait vérifier, trouver des exemples…).

Par rapport à l'idée d'un colloque éventuel : les narrativités contemporaines se distingueraient par « d'autres formes d'organisation du récit » - lesquelles? En élire une seule?

Sur la cohérence : « Au-delà des conventions de composition et d'harmonie, ou contre elles, cette notion définit l'unité de l'œuvre de manière pragmatique, par l'association étroite de ses divers éléments. Cette stricte liaison relève du jeu causal ou de la continuité logique, fût-t-elle paradoxale. Elle est adéquate à l'esthétique réaliste, et à son contraire, l'esthétique fantastique. »

(Jacques Demougin, Dictionnaire historique, thématique et technique des littératures, Paris, Larousse, 1985) - bilan narrativité

Par rapport à Chevillard : cohérence rendue problématique par les digressions. La critique, de façon générale, semble faire reposer cette cohérence sur l'unité de l'oeuvre - ou, plutôt, l'incohérence sur la non-unité de l'oeuvre de Chevillard. C'est là une posture théorique implicite qui guide leur propos ; les critiques tendent à parler d'incohérence en raison des digressions, mais ils avouent du même souffle que le travail sur le langage, l'agencement du discours, semblent assurer une certaine unité à l'oeuvre (trouver exemples concrets…).

Sur l'histoire : « Exposé d'événements, de récit réel ou fictif. »

(Axis. L'univers documentaire, Paris, Hachette, 1993, p. 1476) - bilan narrativité

Chez Chevillard : problématique selon la critique (encore faudrait-il pouvoir définir « événements »).

« En référence à l'Histoire qui en fournit le modèle, Benveniste définit ainsi l'énonciation concurrente du “discours”. Dès lors le terme ne désigne plus un contenu événementiel mais la manière – présumée objective – dont celui-ci est traité par le texte et le narrateur. Quant à Genette, il maintient contre vents et marrées histoire en l'opposant à récit qui signifie la relation discursive et narrative de l'histoire et à diégèse qui désigne un simulacre d'univers et non une trajectoire d'événements. Pourtant, la plupart de ses confrères ès structuralismes qualifie l'histoire de récit… »

(Gérard-Denis Farcy, Lexique de la critique, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 55-57.) - bilan narrativité

D'où l'interchangeabilité des termes chez certains critiques ? Il semble que cette interchangeabilité soit surtout le fait de la sémiotique narrative (la narratologie considérant le récit comme énonciation narrative). Ce serait donc là le signe d'une orientation implicite de la sémiotique…?

C'est l'« occasion de poser la question de la définition même de l'histoire. Faut-il s'en tenir à sa définition figurative ou fondamentale? à l'écume événementielle ou à la narrativité? Dans le second cas qui a les faveurs de la sémiotique, l'histoire se réduit à un processus de transformation (univers troublé - univers rétabli, disjonction-conjonction). »

(Gérard-Denis Farcy, Lexique de la critique, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 55-57.) - bilan narrativité

Perçoit-on cette différence de posture - narrato VS sémio - chez la critique?

Sur l'intrigue : « la mise en intrigue recèle un dynamisme intégrateur et elle transforme un “divers incidents” en une histoire une et complète ».

(Gérard-Denis Farcy, Lexique de la critique, Paris, Presses universitaires de France, 1991, p. 59-60.) - bilan narrativité

Toutes ces notions problématisées (ici l'absence de dynamisme intégrateur chez Chevillard, du moins sur la base d'un divers d'incidents), finalement, et relevées par la critique en des termes X, doivent bien dire quelque chose de la théorie implicite qui oriente le discours de la critique. Il faudrait être plus attentif.

Sur la narrativité : « Ensemble des traits qui font des mots une histoire. Construite sur l'interaction entre quatre composantes : la communication, la pertinence, la cohérence et la progression temporelle. »

Hendrick, VAN GORP, et al., Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion (Champion Classiques), 2005 [2001]. - bilan narrativité

Si les mots ne forment pas une histoire, c'est dire qu'il y aurait absence de narrativité? De l'histoire semblent dépendre plus d'une notion narrative, d'où que la critique de Chevillard y accorde une relative importance (plus journalistique qu'académique, sans doute). C'est là un signe de son horizon théorique, qu'il faudrait cerner de façon plus serrée.

ranx/grille_de_pre-analyse_-_chevillard.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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