Des éclairs, Jean Echenoz, Paris, Éditions de Minuit, 2010, p. 175.
Personnage principal :
- Gregor (solitaire, génial, impulsif, mésadapté social, naïf, excentrique)
- prénom : référence à La Métamporphose de Kafka? (suggestion de Viviane)
- personnage relativement anonyme, sans nom de famille, un oublié de l’histoire
- Grégor serait la représentation fictionnalisée de Nikolas Tesla – information inscrite sur la 4è de couverture – (un inventeur très prolifique de la fin du XIXè et du début du XXè siècle)
Structure :
- 28 chapitres correspondant chacun à un événement dans la vie de Gregor
- texte sectionné mais linéaire, part du point A au point B (naissance –» mort)
Type de narration :
- Le narrateur est extradiégétique et intervient à différents moments du récit pour donner son avis sur le déroulement de l’histoire et pour juger le personnage :
« Ethel peut-être un petit peu ivre lui noue par plaisanterie sa cravate neuve autour du cou. Malgré son aversion, même avec elle, pour les contacts physiques – et malgré, brusque et irrépressible, la crainte le traversant un instant qu’elle l’étrangle –, il se surprend à trouver cela plaisant. Une petite érection, Gregor? Allez, pour une fois. » (p. 134).
- Le narrateur sollicite la sympathie du lecteur :
« Je sais bien que Gregor est antipathique, désagréable au point de laisser penser qu’il n’a ce qu’il mérite, mais quand même. » (p. 138)
Parcours événementiel :
- vie de Gregor est ponctuée de succès et d’échecs, jusqu’à ce que la destinée du personnage s’enlise complètement dans les échecs (surtout financiers) et la solitude. Schéma récurrent : Gregor réalise une invention qui connaît un grand succès, puis son employeur le met à la rue sans lui donner aucune reconnaissance financière.
- Leitmotiv (sens du récit suggéré par le narrateur) : Les inventions naissent de façon banale et sans que l’on prenne le soin de prendre en considération d’autres préoccupations que pécuniaires. La portée des inventions n’est pas prise en compte (grande naïveté du personnage principal, mue davantage par l’effervescence elle-même de la naissance d’une idée – les objets sont utilitaires et seulement ça – banalisation des actions).
Commentaire général :
Ici, le biographique est traité de manière assez conventionnelle. Si ce n'était des passages (très isolés) où le narrateur intervient dans le texte, l'ensemble se déroulerait de façon linéaire, sans digressions à proprement parler. Le point de départ du récit est la naissance du personnage et le point final est la mort de celui-ci. On relève les événements importants qui ont influencé le cours de la vie de Gregor. On remarque une certaine accélération vers la fin, où l'on s'approche des derniers moments de vie de Gregor, comme si les années de vieillesse représentaient une période peu importante parce qu'illustrant la déchéance du personnage, son repli, son échec. Il est intéressant également de noter que ce sont les pigeons, les seuls êtres pour qui Gregor éprouvent de l'affection, qui précipitent sa fin. Ils veulent en finir avec Gregor alors ils interviennent afin qu'il ait un accident, rendant son existence encore plus pitoyable encore. Gregor, déjà en marge du monde des humains, est rejeté aussi par le narrateur qui est exaspéré par le personnage et par les pigeons. Ce moment est d'ailleurs le seul qui révèle une forme d'invraisemblance. Le narrateur prête des intentions meurtrières aux pigeons : « Personnellement, je n'en peux plus, de ces pigeons. Vous n'en pouvez plus également, je le sens bien. Nous n'en pouvons plus et, en vérité, ingrats et versatiles comme ils sont, eux-mêmes n'en peuvent plus de Grego. Fatigués de sa personnage et jugeant trop à la baisse la qualité de ses approvisionnements, ils ont donc décidé de s'en défaire. […] Alors que cette voiture va passer à hauteur de Gregor, d'un seul coup les pigeons fondent sur elle en troupe de choc et se posent uniment sur son pare-brise, s'y entassent en déployant toutes leurs ailes, formant comme une couche épaisse de neige sale qui l'obture et l'aveugle en un instant. […] Leur forfait accompli, les pigeons repartent aussitôt regagner leurs arbres pendant que le conducteur, ayant regagné l'asphalte, prend la fuite en zigzaguant. » (p. 170-173).
Résumé de la ligne narrative/biographique :
1- Entrée en matière Réflexion sur la date et l’heure de naissance de chaque être humain (logique de l’évidence/absurde) L’heure de la naissance de Gregor n’a pas été notée à cause des événements qui ont eu lieu lors de sa naissance : immense orage électrique qui a maintenu l’attention de tout le monde et qui a plongé la maison dans l’obscurité et l’effroi. Il est né entre deux jours, donc il ne connaît pas le jour de son anniversaire. L’événement de la naissance oriente le reste de l’existence (providence? destinée?) : il inventera l’électricité, ce qui permettra d’éclairer les maisons.
2- Description du personnage : antipathique, nerveux parce qu’il revoit l’éclair qui a succédé à sa naissance et cette vision l’aveugle par moments, il est plus grand que tout le monde et possède une intelligence supérieure. Lieu de naissance : Europe du Sud-Est. Dès son plus jeune âge, il se met à créer des inventions (au début sur papier) : un anneau pour observer la terre, un tube pour faire circuler le courrier entre l’Amérique et l’Europe, etc. Il décide de partir en Europe occidentale pour développer ses talents. Il invente le moteur à induction. Ses collègues lui suggèrent de partir pour les Etats-Unis (ils le voient comme une menace dans le domaine) pour profiter des moyens financiers qu’offre l’Amérique et pour se débarrasser de lui.
3- Gregor quitte pour les Etats-Unis et se rend auprès de Thomas Edison de l’entreprise General Electric. Il fait ses preuves en réparant une dynamo en une seule nuit et est ensuite engagé par Edison pour son savoir-faire.
4- Les installations de la General Electric brisent sans cesse, donc Gregor trouve une solution : le courant alternatif pour pallier au courant continu. Il met au point son invention, mais ne reçoit pas l’argent que son patron lui avait promis; il quitte son emploi, fort de la réputation qu’il a acquise en travaillant pour Edison. Il approche un groupe financier qui lui propose de fonder une société à son nom : la Gregor Electric Light Company. Il investit tout le peu d’économies qu’il possède dans ce projet. Il invente la lampe à arc, qui connaît un grand succès. Le groupe financier le renvoie. Gregor perd tout.
5- Gregor trouve du travail sur un chantier de construction. Son patron le met en contact avec un homme influent dans le domaine de l’électricité.
6- Gregor est engagé par George Westinghouse de la Western Union Telegraph Company (rival de Thomas Edison, de General Electric). Il est engagé à titre de consultant et on met à sa disposition un laboratoire, des assistants, des matériaux, etc. Il produit après quelques mois un moteur, un générateur et un transformateur. Il est ensuite engagé officiellement par la Western Union et on lui fait signer un contrat qui lui assure des redevances sur chaque moteur vendu. On veut étendre la vente du produit à toute l’Amérique du Nord.
7- Thomas Edison de la General Electric réplique en faisant une campagne de salissage visant à démolir le concept de courant alternatif : il soumet des animaux (du plus petit au plus gros, dont une éléphante) à ce courant pour montrer qu’il s’agit d’une invention dangereuse. Le spectacle vise à effrayer les gens.
8- Gregor continue d’inventer (à la vitesse de l’éclair!) mille et une choses : le moteur thermomagnétique, la lampe à arc, etc. Il ne se lie toujours pas à ses collègues, il est impatient et insatisfait, préférant la solitude. Il n’aime pas les gens, ni même les femmes, car il a peur des microbes et il compte tout frénétiquement. Ce qu’il préfère, ce sont les multiples de trois.
9- La folie d’Edison continue et va jusqu’à électrocuter un être humain. Il invente la chaise électrique de cette façon, poussé par son ambition commerciale et par son sens de la compétition. La chaise électrique est inventée à cause d’un contre-argument publicitaire visant à montrer que le courant alternatif est dangereux.
10- Gregor part en Europe pour y promouvoir ses inventions dans des spectacles où il montre que l’électricité n’entraîne pas de danger. Il devient le savant le plus célèbre du monde. Il rencontre un couple d’amis, les seuls amis qu’il n’aura jamais dans sa vie : Norman et Ethel Axelrod.
11- Gregor se lie plus particulièrement à Ethel. Elle se rend à ses spectacles. Le valet des Axelrod qui aime secrètement Ethel s’en aperçoit et nourrit une certaine aversion pour Gregor.
12- Énumération de toutes les idées d’invention qui passent par la tête de Gregor.
13- Gregor devient riche et ses lubies suivent le même mouvement que ses finances : elles croissent (tout compter, éviter les microbes). Il a, en plus de toutes ces lubies, l’horloge absolue : il compte sans cesse les secondes qui passent, les minutes, les heures. Il est fasciné par les décomptes, mais il n’est pas entiché de l’argent pour autant. Lorsque son patron, monsieur Westinghouse, vient à sa rencontre pour lui dire que les redevances pour son invention du moteur à induction ont atteint le montant de douze millions de dollars, Gregor déchire le contrat pour ne pas nuire au succès financier de son patron.
14- La Western Union achète ses droits pour la somme de cent quatre-vingt-dix-huit milles dollars. Les dix ans à venir (ellipse), il les passera à inventer mille et une choses, à les faire breveter rapidement (ses inventions seront mal protégées), puis à alerter la presse. Le narrateur affirme que Gregor passe trop vite d’une invention à l’autre et plusieurs de ses trouvailles, quoique fameuses, seront reprises par d’autres sans qu’il ne connaisse le succès associée à celles-ci. Inventions dont il est responsable : la radio, les rayons X, l’air liquide, etc. Il vient en aide à un pigeon qu’il amène dans sa chambre d’hôtel pour le soigner.
15- Une réunion de riches entrepreneurs a lieu pour nuire à Gregor et ses inventions. Ce dernier veut mettre au point l’énergie gratuite, ce qui dérange grandement les hommes d’affaire.
16- Gregor fait trembler toute la ville à cause d’une de ses inventions. On le considère comme dangereux et son avocat lui suggère de quitter la ville pour se rendre à Colorado Springs (une ville où l’avocat possède des intérêts).
17- Ainsi éloigné des grands centres, il peut mettre en œuvre toutes ses excentricités, notamment stimuler des orages. Malgré tout, il s’ennuie et décide de retourner à New York.
18- Il commence à manquer d’argent et il veut construire une tour servant de station d’information universelle. Un riche banquier l’aide dans son projet, aidé en cela par un contact : Norman Axelrod.
19- Il signe un contrat avec John P. Morgan.
20- Construction de la tour à Long Island. Pendant ce temps, Guglielmo Marconi lui vole son idée de radio en utilisant un brevet mal protégé de Gregor (cela arrivera à plusieurs reprises dans les années à venir). Le banquier trouve que la tour est compliquée à construire. Il retire son argent du projet lorsque Gregor lui explique toutes les possibilités de la tour, soit de produire de l’énergie libre. Cette idée est non rentable, donc le banquier la rejette.
21- Le banquier continue à le financer un peu. Gregor continue de diffuser ses inventions dans les journaux. Son déséquilibre mental augmente : il parle seul et a des idées de grandeur immodérées. Le banquier meurt. Il n’a plus de financement. Il se console en nourrissant les pigeons.
22- Le fils du banquier ne veut pas soutenir ses projets. Désespoir.
23- Ses dettes augmentent. Problèmes avec l’impôt et le fisc. Il quitte son hôtel luxueux. Les deux guerres mondiales ont lieu. Il propose l’invention du radar et des missiles qui sont jugées folles.
24- Plaidoyer du narrateur contre les pigeons. Gregor se met à les manger.
25- Il se referme sur lui et sur son amour pour les pigeons. Ses amis, les Axelrod, lui offrent un bureau où il peut travailler, mais ses inventions font de moins en moins sens. Il entame l’étude des pigeons. Il met sur pied une clinique pour eux. Ils deviennent nombreux et bruyants. Les responsables de l’hôtel lui demandent de mettre fin à ses activités. Il est triste et va se faire couper les cheveux.
26- En sortant de chez le coiffeur, il aperçoit un pigeon blessé, dont il tombe amoureux. À un dîner chez les Axelrod, il raconte son amour pour l’oiseau et Ethel se montre jalouse. La pigeonne ne guérit pas. Elle est atteinte de tuberculose.
27- Dix ans plus tard, Gregor, alors âgé de 70 ans, loge au New Yorker. Sa chambre est glauque : fenêtre aveugle, pigeonne empaillée, pigeons. Il rencontre Ethel au parc et lui parle d’une nouvelle invention : le rayon de la mort. Il envoie son plan d’invention en six morceaux à six puissances mondiales pour ne pas déséquilibrer les forces de chacun. Mais les ministères ne répondent jamais à son initiative.
28- Dix ans plus tard, alors que Gregor marche dans la rue, les pigeons qui en ont marre de Gregor, se massent dans le pare-brise d’une voiture en marche qui va renverser Gregor (conducteur est ivre, il s’agit d’Angus Napier, le valet des Axelrod). Un policier le ramasse et Gregor exige qu’on l’amène à l’hôtel sans être soigné, à moins qu’un garçon (une sorte de valet qui travaillait jadis pour lui) ne vienne nourrir les oiseaux pendant son absence. Le médecin soigne Gregor, lui suggère du repos, mais Gregor attrape une pneumonie. Sa santé s’affaiblit, sa peur des microbes s’accentuent et il exige dorénavant que ses visiteurs portent un masque. Il demande à la femme de ménage de mettre une pancarte sur la poignée pour ne pas être dérangé. Trois jours plus tard, on enfreint la demande de la pancarte et on entre dans la chambre. On suppose alors que Gregor est mort.