KYLOUŠEK, Petr, Max ROY et Józef KWATERKO (dir.) (2006), Imaginaire du roman québécois contemporain.
• Actes de colloque – conséquemment, les textes sont de valeur inégale. • Aussi, difficile d’évaluer la posture critique d’ensemble. • On aborde le roman québécois contemporain par le biais d’une problématique, ici, l’imaginaire. En cela, il est bien de son « époque »; il ressemble à La narrativité contemporaine au Québec, à l’exception du fait que l’aspect théorique est très peu développé. • Cet ouvrage confirme aussi certains traits de la production romanesque annoncé par Nepveu et autres : particulièrement, celle de l’écriture migrante (la partie « Imaginaires centrifuges », consacrée presque exclusivement à des romans de ce courant littéraire). • On cherche à définir le contemporain à partir d’études de cas.
Extraits de l’Avant-propos de Jozef Kwaterko :
- Colloque organisé par feu Eva Le Grand autour du concept d’imaginaire. On reprend les termes de sa problématique = « La culture québécoise a connu, autour du demi-siècle écoulé, une dynamique dont la puissance et la diversité trouvent peu d’analogies dans les autres parties du monde francophone. L’aventure romanesque – qui est à la fois celle de la société et de l’affirmation de l’individu moderne – reflète, dans le cas du Québec, les transformations aussi profondes que complexes. Le roman, cet art qui accompagne l’homme européen depuis plus de quatre siècles et qui s’épanouit dans le “Nouveau Monde” près d’un siècle et demi, devient, dans le Québec moderne, dépositaire des nouvelles aspirations, miroir d’interrogations existentielles inédites et d’imaginaires encore inexplorés. Ainsi, sa composante identitaire – qu’il s’agisse de ses aspects culturels, générationnels, sexuels, politiques ou autres – traduit les flux d’une sensibilité autoréflexive et l’ouverture d’un esprit humain qui pousse à l’exploration des horizons du possible. Il s’en suit que la complexité de l’imaginaire romanesque québécois, qui plonge en l’occurrence ses racines dans la tradition française et dans l’histoire nord-américaine, s’ouvre de plus en plus aux nouvelles impulsions dont les figures viennent de son insertion dans l’espace hétérogène des altérités. » (9)
Kwaterko poursuit : « Les textes réunis ici révèlent bien ce caractère protéiforme de l’imaginaire romanesque au Québec signalé par Éva Le Grand. Ils le donnent à lire comme un réservoir d’images, de figures, de visions, réactivées autant par des correspondances insolites que par l’interrogation de la fragilité des liens qu’un sujet entretient avec sa société et sa culture. » (9)
L’ouvrage est divisé en trois parties (je reprends la description de l’Avant-propos, p,10) : I- Imaginaires centripètes : « comprend des textes explorant différentes figures de l’identité québécoise (dont celle de l’identité en soi) » II- Imaginaires centrifuges : « implique, plus que la première partie, une confrontation du sujet québécois avec l’extérieur, de l’ipséité et de l’étrangeté ainsi que le questionnement du paysage culturel québécois par l’imaginaire migrant » III- Sujet, objet, écriture : réunit « des textes qui dégagent l’imaginaire comme enjeu central de l’écriture et de la création, associée aux figures de l’écrivain et du narrateur ainsi qu’à leur préoccupation esthétiques et philosophiques ».
Conclusion de l’Avant-propos (on laisse au lecteur le choix d’établir ses propres synthèses) : « Au terme du parcours proposé par toutes ces contributions, le lecteur aura cerné diverses trajectoires de l’imaginaire du roman québécois contemporain. Il est évident qu’un tel collectif ne peut ni ne devrait chercher à en faire un inventaire ou à en mesurer toute la portée. Plutôt, il propose, par le croisement des méthodes d’analyse et des thèmes, une série des “approches de l’imaginaire”, de ses formes singulières et de sa logique secrète, par et dans le roman – genre qui est sans doute l’un des meilleurs baromètres des pouvoirs de l’imagination de la littérature québécoise. » (12-13)
IMAGINAIRES CENTRIPÈTES
Max ROY, « L’imaginaire du lecteur de romans québécois » : résultat d’enquête sur les performances de lecture à partir de quelques romans québécois. « À l’instar du roman québécois contemporain, l’imaginaire du lecteur ne se réduit pas à quelques thèmes majeurs. La reconnaissance de situations et de lieux familiers, le recours à des connaissances historiques, l’évocation de débats sociaux et politiques n’interdisent pas, assurément, une ouverture à l’autre, à l’ailleurs et aux questions universelles. Le territoire du roman et de son lecteur s’élargit, bien au contraire. » (31)
André BROCHU, « Quelques romanciers du moi dans la littérature québécoise des années 1950 » : Étude sur les romanciers de la génération de La Relève – passage d’une intériorité s’opposant à l’extériorité à une intériorité qui l’inclut dans une vision plus totalisante.
Jacques PELLETIER, « Une représentation totalisante de la réalité sociale contemporaine : Saisons de Pierre Gélinas » : étude d’un cas singulier.
Krzysztof JAROSZ, « Homme, femme, transsexuel(le) : la solitude dans la mégapolis moderne » : Étude sur Le Sexe des étoiles de Monique Proulx, l’inscrivant davantage dans une esthétique de « l’extrême contemporanéité » (57) que dans une perspective d’écriture au féminin.
Robert DION, « Imaginaire de la décadence et du renouveau dans le Triptyque des temps perdus de Jean Marcel » : Œuvre « conçu suivant un point de vue résolument contemporain » (59) – Il n’y a plus de rupture entre le passé et le présent dans le roman historique. « Je voudrais observer pour ma part comment la trilogie de Marcel, qui a pour cadre les temps crépusculaires de la fin de Rome, travaille ces idées de décadence et de renouveau; comment, parlant de temps anciens et de lieux éloignés, elle s’inscrit dans un imaginaire occidental contemporain. » (60) « À la mémoire sursaturée d’images trop nettes qui ne nous touchent pas et que nous regardons de manière aliénée, au devoir de mémoire qui nous assigne à la commémoration, l’écrivain oppose un rapport en quelque sorte expérimental et ludique au geste de se souvenir. C’est peut-être ce jeu avec la mémoire qui rejoint le plus directement notre imaginaire contemporain, qui ne conçoit le sérieux que cerné par cela même qui risque de le miner. » (66)
Bertrand GERVAIS, « La tentation de la fin : Esthétique de l’interruption dans 1999 de Pierre Yergeau » : l’imaginaire apocalyptique, esthétique de la fin qui déstructure plutôt que l’inverse. « Les écrivains ne s’y sont pas trompés, d’ailleurs, qui ont exploité à l’envi cette imagination apocalyptique. Le Québec n’a pas été en reste et un roman tel que 1999 de Pierre Yergeau, en a offert un exemple particulièrement moderne, pour ne pas dire postmoderne. C’est que la fin du monde mise en scène par Yergeau procède d’une déconstruction savante de ses scénarios habituels. Pas de cataclysmes dans 1999, pas de bataille d’Armagueddon ou de bête à sept têtes, de collision avec un astéroïde ou de démon aux pouvoirs maléfiques. » (69) « À ce titre, 1999 est symptomatique des imaginaires de la fin contemporains qui se déploient sur une crise sacrificielle, où la violence même ritualisée ne règle rien, et qui font du ressassement et de la répétition, ou alors de l’oubli au bout de l’attente, leur principe structurant. C’est un monde de la fin qui n’en finit plus de finir, un monde sans futur ni rédemption, où le désenchantement l’a emporté sur le merveilleux. » (78)
Ewa FIGAS, « De la chasse aux dragons à la chasse à l’argent. Le portrait des québécois dans L’Isle au dragon et Opération Rimbaud de Jacques Godbout » : étude de la mise en scène des préoccupations québécoises par l’éventail des personnages de Godbout. « Jacques Godbout se sert d’eux pour peindre des caractères et des comportements des Québécois. Excellent observateur de l’actualité, il la commente par le biais de ses personnages dont l’analyse permet d’observer aussi bien la transformation de la société québécoise que la transformation de l’imaginaire québécois. » (79) Cet écrivain représenterait bien le passage au contemporain; du « service littéraire obligatoire » dédié à la cause nationale, il passe a un service littéraire axé sur de nouvelles problématiques, dont l’environnement et la culture.
Petr VURM, « Le héros québécois entre la découverte et la prise de conscience » : étude sur des romans qui réécrivent l’histoire du Québec sans se « présenter de prime abord comme des romans historiques, ils jouent plutôt avec le concept général du genre. La vision ludique et exploratrice sert de fond à un réseau de significations entre l’Histoire et l’histoire […]. » (87) « Loin d’adopter la stratégie parfois simplificatrice du roman historique qui consisterait à présenter l’histoire d’un individu projeté d’une manière linéaire sur la toile de l’Histoire balisée par les dates, batailles, faits historiques, ces trois romans mettent en question l’ordre établi, selon lequel les événements historiques déterminent ou prennent le dessus sur les événements personnels. » (87) « Ce qui rapproche les romans que nous venons d’analyser [La fille de Christophe Colomb de Réjean Ducharne, La Maison Trestler ou le huitième jour de l’Amérique de Madeleine Ouellette-Michalska et La Démarche du crabe de Monique Larue], malgré la différence de la fable, est donc une mise en question constante de l’Histoire officielle, celle des événements et des dates, sur le fond de l’histoire quotidienne des personnages. » (97)
IMAGINAIRES CENTRIFUGES
Éva MARTONYI, « L’identité déplacée ou l’imaginaire centrifuge » : étude de deux romans de Patrick Imbert selon une perspective de l’écriture migrante dont le mouvement serait centrifuge. « Or, le personnage romanesque dont la quête porte sur la construction d’une identité, dès le moment que cette identité semble acquise, la remet en question. [sic] » (113)
Adina RUIU, « Exil et écriture chez Hubert Aquin et Vintila Horia » : « En dépit des différences de génération […] ou d’espace culturel, la comparaison pourrait prendre comme point de départ la manière dont ils transposent, dans leur parcours créateur, des mobiles existentiels ayant trait à une destinée collective. C’est d’ailleurs dans ce rapport entre l’appartenance et l’émergence de l’individualité artistique que se joue la signification de l’exil. » (115) « Ce qui les relie, à mon avis, est l’énergie qui les pousse à sortir de l’exil-aliénation vers la découverte de l’exil comme exaltation – et ceci pour des raisons essentiellement esthétiques. » (116)
Daniel CHARTIER, « L’hivernité et la nordicité comme éléments d’identification identitaires dans les œuvres des écrivains émigrés du Québec » : titre descriptif de l’article. Cette thématique universelle permet l’identification singulière : « Ils permettent ainsi, par la littérature, d’établir un réseau de signes et de symboles qui lient un imaginaire universel au processus d’enracinement et de prise de parole pluriculturelle. » (129)
Voichita-Maria SASU, « Entre le temps de vivre et le temps rêvé » : étude sur l’œuvre de l’écrivaine haïtienne Marie-Célie Agnant. « L’œuvre de Marie-Célie Agnant peut être inscrite dans l’“imaginaire migrant” mais laisse voir déjà les signes du dépassement de ce stade transitoire qui risquerait autrement de la réduire, “en marge de la marge”, à sa triple condition intenable : femme, haïtienne, migrante. » (138)
Tina MOUNEIMNE-WOJTAS, « L’imaginaire “asiatique” de Ying Chen, d’Ook Chung et d’Aki Simazaki » : « Le but de notre présentation est de montrer que même si les trois écrivains que nous avons choisi d’étudier viennent d’un horizon géographique commun (Asie du sud-est) et par conséquent partagent un système de croyances comparable (le confucianisme, le bouddhisme), leur écriture varie à tel point qu’il est difficile de parler d’un seul imaginaire asiatique. » (139) « Ces trois romans participent à ce qu’on appelle “espace dialogique” où les auteurs, appartenant à diverses aires culturelles s’approprient les lieux, les imaginaires ou la mémoire de l’autre, créant ainsi des passerelles entre les œuvres québécoises et néo-québécoises et élargissant leurs frontières romanesques. » (148)
Roxana IBRAHIM, « Jeux des miroirs dans les romans de Nadia Ghalem Les Jardins de cristal et La villa désir. Réflexions sur la condition migrante » : sur la symbolique des miroirs.
SUJET, OBJET, ÉCRITURE
Jean-François CHASSAY, « Mentir vraiment » : étude des images dans Nous mentons tous de Normand de Bellefeuille.
Zsuzsa SIMONFFY, « Métamorphose, énigme, pseudomorphose. La question d’identité chez Micheline LaFrance » : réflexion sur les rapports entre imaginaire, énigme, double et métamorphose dans Le visage d’Antoine Rivière de Micheline La France. « Nous avons essayé de montrer la manière dont l’écriture de Micheline La France permet au “mythe” de la métamorphose de se prolonger dans le contexte québécois contemporain. » (177)
Piotr SADKOWSKI, « La représentation de l’écrivain réel et/ou imaginaire dans Le cœur est un muscle involontaire de Monique Proulx et Ça va aller de Catherine Mavrikakis » : étude de la symbolique de l’écrivain représenté dans ces deux romans. « Malgré les différences au niveau des stratégies dialogiques adoptées dans les deux romans constituant l’objet de la présente étude, la recherche menée par les héroïnes de Proulx et de Mavrikakis se caractérise par un dénominateur commun, à savoir une quête initiatique qui change leur rapport d’abord à l’écrivain-fétiche, ensuite à l’écriture, au monde et enfin à leurs propres identités. » (186)
Jelena NOVAKOVIC, « La figure de l’écrivain dans le roman québécois contemporain : Négovan Rajic et Ljubica Milicevic » : Étude sur la « figure de l’écrivain migrant dans les œuvres de deux écrivains serbes » (189) « […] les romans de Négovan Rajic sont aussi, en quelque sorte, des romans “de l’écriture” tels que les avait annoncés André Belleau, c’est-à-dire des romans qui traitent des questions de poétique et d’esthétique – dans le cas de Rajic, de la réception et de la situation de l’écrivain migrant dans sa nouvelle patrie – et par lesquels la littérature québécoise sort de l’ère de la représentation pour entrer dans l’ère de l’écriture (Belleau : 15) : au lieu de faire mine d’écrire la vie, l’auteur semble parfois vivre l’écriture. » (194)
Remarques ponctuelles :
« L’histoire du discours critique porte à croire qu’il se produit quelque chose de spécifique dans la critique de la littérature québécoise, qui teint à la compréhension qu’on veut en donner par l’explication des textes ainsi qu’à l’usage – moral, politique, idéologique, etc. – qu’on veut favoriser par l’interprétation de ces textes. » (Roy, 24)
« C’est là qu’on voit le plus grand changement par rapport à la thématique exploitée par la littérature québécoise des décennies 1960 et 1970, période d’engagement qui faisait envisager les problèmes individuels sur un fond plus collectif que dans le cas de la littérature des années 1980 et 1990 où l’atomisation de la société a fait déplacer la problématique identitaire sur un plan plus individuel. » (Jarosz, 51)
« L’ironie d’un tel rabaissement ne doit pas surprendre. Yergeau ne fait qu’exacerber une tendance, chère à la afin du vingtième siècle, à tout commercialiser et banaliser. Une tendance à laquelle l’ange n’a pas su résister. » (Gervais, 73)
« Les relations y sont perturbées et déconstruites, que ce soit entre les événements, les temps, les mots ou les sujets et leurs limites. Le désordre touche, comme dans bien des romans contemporains, la chronologie des événements, soumises à un important va-et-vient; mais, ce qui est plus rare et relève d’une esthétique singulière, ce désordre s’étend aussi aux phrases et aux mots, dont l’opacité est garante de la crise qui secoue ce monde. » (Gervais, 74)
« Il est généralement admis que, dans la littérature postmoderne, la subversion de la notion traditionnelle du sujet unifié est manifeste par la représentation du sujet en procès, incarnant une identité instable. Il ne s’agit plus de représenter des êtres fragmentés par la suite de l’éclatement du sujet. La notion de multiplicité se distingue de celle de fragmentation dans la mesure où la première communique des connotations positives de diversité et de flexibilité, tandis que la seconde transmet les valeurs de perte de soi et de morcellement. Au lieu de dire une identité simple et cohérente, la subjectivité postmoderne annonce son éclatement, en présentant des êtres multiples, incomplets, pluriels contradictoires et souvent énigmatiques. » (Simonffy, 177)
« Tout en admettant que la mise en abyme, la thématisation de l’écriture et la fictionnalisation de l’écrivain demeurent des traits universels des lettres postmodernes, il faut reconnaître la spécificité du roman autotélique au Québec. Les lettres québécoises, en tant qu’une littérature “liminaire”, selon la formule de Michel Biron (2003), ou une “littérature de l’intranquillité” d’après Lise Gauvin (2003 : 38), partageant certaines caractéristiques avec des “littératures mineures”, au sens du terme dérivé des “petites littératures” kafkaïennes, recontextualisées par Deleuze et Guattari (1975), semblent par le biais de la fictionnalisation de l’écrivain réel et/ou imaginaire et par la configuration romanesque de l’acte de lecture-écriture interroger leur statut – celui du nouveau champ littéraire autonome – en problématisant ainsi leur enjeu axiologique. » (Sadkowski, 179)
« Dans la géographie de l’imaginaire du roman québécois contemporain, qui est de plus en plus préoccupé des questions de poétique et d’esthétique et qui a tendance à se transformer en un traité d’écriture, la figure de l’écrivain occupe une place importante, comme le montre un grand nombre de romans publiés au Québec entre 1960 et 1995. » (Novakovic, 189)