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Isabelle DAUNAIS et François RICARD (dir.) (2012) La pratique du roman, Montréal, Boréal.

(Notes de lecture)

Isabelle Daunais et François Ricard, « Présentation », p. 7-8.

Les auteurs soulignent à quel point la réflexion sur l’art du roman, menée par les romanciers eux-mêmes, est vive dans les autres cultures, mais constatent que cette réflexion est rare au Québec. Puis : « Pourtant, le roman constitue ici come ailleurs une forme artistique majeure et il n’échappe en rien aux grandes questions – sur sa spécificité, son rôle, ses limites – qui partout se posent à lui. Mieux encore : à ces grandes questions s’ajoutent celles qui sont propres au contexte littéraire québécois et aux conditions dans lesquelles s’exerce ici l’imaginaire romanesque. » (2012 : 8)

Fruit d’un colloque servant à pallier cette lacune, les contributions se voulaient libres, en autant qu’ils s’agissent de points de vue de praticien.

Note : Je remarque que, au bout du compte, les écrivains ne semblent pas très à l’aise pour parler du roman, pour parler de leur art. Règle générale, il y aura une idée autour de laquelle ils vont tourner en tous les sens, citant de nombreux écrivains. Mais le plus important qui ressort est l’importance de la lecture et du lecteur.

Dominique Fortier, « Moi aussi je voudrais devenir rabbin », p.9-23.

L’auteur fait la distinction entre deux types de roman : « de l’intérieur » et « de l’extérieur », comparable au regard qu’on porte par une fenêtre, en dedans et au dehors. Mais cette remarque s’applique non pas au lecteur, mais à l’écrivain : « En tant qu’écrivain, le roman m’offre la possibilité, à partir de ma subjectivité forcément limitée, d’aller voir ce qui se passe ailleurs. » (10)

Réflexion sur le réelle, la fiction, le mensonge par le biais de ces deux types de roman : « Reste que le “roman du dehors” tel que je le conçois est d’abord œuvre d’imagination, ce qui peut sembler aller de soi pour certains mais qui est loin d’être aussi évident qu’on le croit en ces temps où autofictions, confessions, témoignages, correspondances, journaux et autres discours de l’intime tiennent le haut du pavé, et où l’on a tendance à considérer avec soupçon un discours qui ne prétend pas rendre compte du réel, voire témoigner du “vrai”. Mais peut-être ce soupçon n’a-t-il au fond rien à voir avec l’époque, peut-être s’agit-il du même doute qui, depuis Don Quichotte, pèse sur un récit qui se situe, par sa nature même, entre vérité et mensonge. » (11)

Il y aurait, selon Fortier, une « dictature du réel » (20) à l’époque contemporaine : « Cette dictature du réel s’accompagne souvent d’une dictature de l’émotion, qui voudrait que la qualité ou la validité d’une œuvre (les tenants de cette approche parleront volontiers à ce sujet de “vérité”) repose sur l’authenticité du sentiment qui l’a vue naître. On comprendra que je ne souscris pas à cette conception de l’art. Je ne nie pas que l’écriture soit un médium précieux qui puisse permettre d’explorer sa propre psyché dans un processus voisin de la psychanalyse; je dis simplement que cette exploration, quel que soit son degré d’authenticité, même si elle semble fascinante pour celui qui en est à la fois le sujet et l’objet, risque bien de n’avoir qu’un intérêt très limité pour le lecteur qui est invité à y assister en simple témoin. » (20)

Par ailleurs, dans ce texte, Fortier s’intéresse beaucoup à la posture du lecteur, figure essentielle qui doit recréer l’œuvre. Ainsi, une fois achevée, l’œuvre n’appartient plus à l’auteur.

Louis Hamelin, « La tentation idyllique », p. 25-41.

S’intéresse à la tension entre l’idylle et l’Histoire dans le roman (27), car cette tension, il l’a recensé dans plusieurs romans qui ont « joué un rôle important dans la formation de [sa] sensibilité d’écrivain » (27) L’idylle s’oppose à la tragédie propre à l’Histoire : les « eaux renouvelées et immémoriales de l’idylle » (34). La « tentation idyllique » renvoyant à un espace de fuite dans la nature, symbolisé par la « cabane ». Le temps y est circulaire (35). S’intéresse à ce thème dans la littérature nord-américaine, ainsi qu’au symbole de la pêche.

Remarque que cela s’exprime de manière particulière chez les personnages féminins : « On trouve dans la littérature un certain type d’héroïnes qui, par l’effet d’une sympathie comme instinctive pour les courants vitaux et les flux secrets propres au temps circulaire de l’idylle, tendent à s’opposer à l’Histoire vue comme le sempiternel déchainement d’une puissance inséparable d’une conception mâle du pouvoir. » (35)

Il remarque aussi que le thème de l’idylle a quelque chose de non-romanesque : « Peut-être que l’idylle de l’écrivain, que cette posture encabanée inventée par Thoreau peut permettre d’approcher la poésie, voire d’apprivoiser, sait-on jamais, la philosophie, mais je la crois foncièrement anti-romanesque. Le roman se nourrit de conflits, le flux constant de l’Histoire le nourrit, là où l’idylle, qui en est la négation, le condamne à la sous-alimentation. » (38-39)

Monique LaRue, « La voix/e de Roland Barthes », p.43-61.

Réflexion autour de sa pratique concrète du roman, de son cheminement surtout, depuis ses études à Paris sous la direction de Roland Barthes et son rejet de l’école formaliste pour se consacrer exclusivement à la pratique romanesque. LaRue se concentre surtout ici sur sa période de crise, de remise en question du roman qui est arrivée plus tard, sans qu’elle sache trop pourquoi : « Impression d’être allée au bout de quelque chose, de piétiner; ennui, sentiment de répétition, déception face au roman en général, côté lecture aussi bien qu’écriture. » (44)

C’est à ce moment qu’elle a découvert un livre de Barthes, un cours qu’il a donné intitulé « La préparation du roman », et dont la lecture fonctionne comme une nouvelle révélation.

Elle explique également que son désintérêt face au roman est plutôt d’ordre institutionnel : « Plusieurs aspects de ma “décompensation” n’ont rien à voir avec le roman mais plutôt avec le statut de la littérature à notre époque, avec le fait que c’est dans l’isolat éditorial du Québec que j’écris et publie des livres, avec l’usure du temps – forces que j’écarte artificiellement pour m’en tenir, si possible, à l’art du roman. Des doutes qui font partie depuis toujours de l’incessante discussion autour de cet art ont soudainement pris toute la place. Il m’a semblé qu’à l’époque dite de l’image, l’imagination, indiscernable de la nature du roman, n’avait plus la force de parler de la réalité, qu’elle n’était plus aussi forte que la réalité elle-même. Réciproquement, la pratique intensive, exclusive, du roman d’imagination m’avait, me semble-t-il, appauvrie, drainée, voire déformée, comme si j’avais passé tout ce temps dans les limbes. Le cinéma d’un côté, les sciences humaines de l’autre, m’ont paru avoir beaucoup plus de puissance (pour le premier), de rigueur et de pouvoir de connaissance (pour les autres), que le bricolage de l’invention romanesque. […] Moi qui n’avais jamais prêté l’oreille aux sciences humaines sauf pour défendre le roman contre elles, j’ai regretté de les avoir ignorées. Ne sont-elles pas, pour parler en termes à la mode, l’Autre du roman? Dans l’état de siège où se trouve la littérature, il faut sans cesse revendiquer l’autonomie de l’artiste contre les sciences humaines qui la lui refusent (Bourdieu, Les Règles de l’art) et on en vient à oublier ce que nous dit Zarathoustra : l’ennemi est toujours un ami. Il n’est pas possible que les grands textes des sciences humaines ne modifient pas la place du roman parmi les discours qui aspirent à énoncer une vérité sur l’existence humaine. Ils partagent le même souci, le même territoire. » (50-51)

Elle discute ensuite de certains « nouveau roman historique », tel Jan Karski de Yannick Haennel qui lui semble avoir un effet plus fort sur le lecteur qu’un roman de pure imagination, aussi réussi soit-il. (51) Elle estime que nous sommes à l’époque du « roman-réalité » « et que celle du roman de l’imagination s’éloigne ou s’éclipse » : « C’est la réalité racontée qui donne maintenant sa valeur à la réalité romanesque. Après Auschiwz, ce qu’on ne peut plus faire, peut-être, c’est inventer la réalité, parce que nous savons que la réalité est inimaginable, irreprésentable. Ce que raconte Jan Karski, c’est la réalisation de l’inimaginable, et la réalisation de l’inimaginable, le récit de cette réalisation, frappe d’ingénuité l’art ancien qui consistait à imaginer la réalité. Malgré les apparences, ce n’est donc pas par hasard mais plutôt par la nécessité de l’histoire que ce choc se fait aujourd’hui ressentir. » (52)

En guise de conclusion : « C’est tout cela qui m’attache au roman : la forme simple que prend, à la fin, un cheminement qui n’est pas simple; ces moments où, comme si on voyait clairement le trajet en vol plané, l’enfilade des méandres et des hasards révèle son sens; le plaisir que procurent, à l’écriture comme à la lecture, les coïncidences, les boucles, les quêtes et les enquêtes, les revirements, les aveux, les déceptions, les trahisons, mais surtout leur étroite homologie avec la fiction que devient notre vie quand nous la vivons comme une aventure. Cette propriété qu’a notre vie d’être hypothétique, risquée, travaillée comme un roman, lui donne son intérêt et sa beauté. C’est par nature, et non parce qu’il serait un moyen de “divertissement” culturel que le roman possède le pouvoir de nous sauver de l’ennui. Si ma vie a été mise dès mon enfance sous le signe du roman, si le roman donne forme et sens à son évolution et ainsi la sauve, il ne m’est pas possible de sortir de l’horizon du roman, de cette rencontre de la réalité et de l’imagination qui n’est ni mensonge ni leurre, mais celle du risque de l’art. » (60-61)

Trevor Ferguson, « Le roman et son contexte », p.63-85.

Parle du « contexte » contemporain où les événements s’enchaînent et se déchainent à un rythme fou, du fait que nous sommes envahis par les « catastrophes ». Puis de la question de la « fin » (au sens de finalité) possible du roman actuellement : « Les écrivains sont excusables de penser que leur travail est de créer quelque chose de valable à partir de l’ahurissante masse de détritus générée par l’humanité. Mais peut-être ne suis-je pas excusable, moi, simple écrivain parmi tant d’autres, de croire que ce travail devrait aussi être autre chose, et j’entends par là quelque chose de plus. » (65)

Dans ace texte, il réfléchit et théorise à partir de deux mots qui lui semblent mal employés actuellement : « contexte » et « épiphanie ».

1/ Le contexte renvoie à cette idée que l’écrivain crée un univers complet et autonome : « Un roman est un contexte en soi. » (66) = « Ainsi, le contexte, dans le monde d’aujourd’hui et sous le joug des caprices de l’époque, devient le territoire par excellence, voire la raison d’être du roman contemporain. » (67) / Selon lui, le contexte renvoie surtout à son sens étymologique, soit l’idée d’un « tissage » (67), et il déplore qu’on parle trop peu de cela. « La valeur du roman repose donc en grande partie sur la façon dont l’auteur réussit à tisser ce que nous sommes avec ce que nous croyons être ou avec ce que nous pourrions, devrions, aurions pu ou n’aurions jamais pu être, additionnant le tout d’un brin de défaite ou de succès, de tragédie ou de triomphe, de passion ou d’ennui, mêlant le comique à la tristesse, la légèreté à l’absurde, également, ainsi que d’une dose de folie non négligeable. Quand ces ingrédients éternels que sont le cœur et l’esprit, l’âme et le corps, tant individuels que collectifs, sont habillement “tissés ensemble”, on obtient une histoire, on obtient un roman. » (68)

Il discute ensuite de la « fin » possible du roman à l’heure actuelle, fin cette fois au sens de mort (68-73) : « Non, la mort de la littérature viendra plutôt des bons livres qui ne se vendent pas trop mal mais n’offrent aucun véritable intérêt, car ils ne font que reproduire tel ou tel genre de mal-être et que, portant sur des préoccupations futiles ou des préoccupations essentielles qui relèvent plutôt du champ des études sociales, ils ne parviendraient pas à dépendre le monde dans toute son ampleur et sa profondeur et échouent donc à offrir des perspectives nouvelles et surprenantes sur le monde. Je parle de romans qui n’ont pas été touchés par le génie propre à cette forme d’art, soit par le génie d’un écrivain. Si le roman en vient à disparaître, ce sera parce que les écrivains eux-mêmes auront accepté son déclin. » (71-72)

Le devoir de l’écrivain selon lui : « Mais l’écrivain ne devrait pas perdre son temps en plaintes et récriminations. Le devoir de l’écrivain est d’écrire de bons romans. Point final. Certains s’enrichiront en faisant cela. D’autres s’en sortiront tout juste, ou abandonneront. Ou trouveront un moyen d’atteindre un public, des lecteurs. Je veux dire que le mot d’ordre, dans une telle situation, c’est d’écrire de bons livres qui prennent la mesure du monde, car c’est ce que le roman peut faire, et c’est donc ce que le roman doit s’efforcer de faire. Ce n’est qu’en endossant cette ambition, ce n’est qu’avec une certaine dose d’arrogance et de modestie, et à force de détermination, que le roman pourra survivre. Toute autre forme de stratégie n’est que fantaisie passagère. » (72-73)

Ferguson propose que le « tissage » se fait en trois étapes : i. L’étape romantique : « est cette période de servitude durant laquelle le langage, la musique, l’imagerie, la tonalité, les personnages et l’histoire elle-même, ou plutôt, la combinaison de plusieurs de ces aspects, s’entremêlent pour créer un univers qui capte notre attention, et ainsi commence le voyage de l’écrivain […] » (77) ii. L’étape spécifique : « À partir de l’univers romantique qui est dépeint dans le roman, on découvre peu à peu, mu par le mystère et la curiosité, les spécificités du personnage et de l’histoire. (78) iii. L’étape générale : « Si tout continue de bien aller, le roman entre ensuite dans une troisième étape, quand il gagne en sensibilité, en intelligence et en subtilité. » (78)

2/ L’épiphanie renvoie pour lui non pas au moment de prise de conscience d’un personnage, mais à un lecteur pour qu’il se « sente éclairé, rayonnant même, comme on peut se sentir revigoré et soulevé lors d’un concert » : « voilà un accomplissement artistique qui ne tient pas seulement au métier, mais qui relève de la magie et du merveilleux liés à un sens artistique indéfinissable. » (80)

« Dans l’art du roman, il y a encore de la place, beaucoup de place pour tout cela : le tumulte et les beuglements, et tout ce qui fait la grossièreté de notre époque […]; et tout écrivain jugeant qu’il est de son ressort d’écrire sur cette culture devrait tenter le coup; cela ne sera jamais banal s’il réussit à créer un contexte reflétant toute la gamme de nos émotions et pas seulement nos bas instincts, un contexte qui offre un peu de paix, de sagesse et de rayonnement par le biais de moments calmes, significatifs et merveilleusement évocateurs. […] » (81)

Nadine Bismuth, « La question d’Henriette », p.87-101.

Raconte sa rencontre et son admiration pour l’écrivain américain Jonathan Franzen. Lorsqu’elle a le projet de traduire une nouvelle de Franzen et de la faire publier dans une revue « grand public », Bismuth se heurte à la résistance d’une éditrice qui, bien qu’intéressée, préfèrerait une entrevue avec des questions « au goût du jour ». Cette histoire conduit Bismuth à faire une réflexion autour de la figure de l’auteur : « Ce que l’on demande à l’écrivain d’aujourd’hui, ce n’est pas tant d’écrire que de se situer personnellement par rapport à ses personnages et à ses écrits. Les justifier, se justifier, comme si l’écriture n’était plus une fin en soi, mais un moyen de faire connaître de façon indirecte ses opinions sur le monde qu’il habite. Il va sans dire que ce détournement du rôle de la fiction et de la littérature m’inquiète, car il semble nier grossièrement l’esprit d’invention et le désir d’exploration du réel qui sont au cœur de toute démarche littéraire digne de ce nom. Il semble surtout nier la singularité du genre romanesque et son pouvoir d’engendrer un monde et une forme de pensée qui n’appartiennent qu’à lui. Pourquoi écrire si cela ne sert qu’à mettre en scène des idées préexistantes ou à en débattre? Pourquoi écrire si le roman ne vient que s’ajouter à la longue liste des médias – chroniques, éditoriaux, blogues – qui sont déjà à notre disposition pour parler de la société et de ses enjeux? Pourquoi créer des personnages si l’on attend de ceux-ci qu’ils ne soient rien de plus que des marionnettes incarnant des idées, des thèmes ou des valeurs qui les précèdent? Je ne peux m’empêcher de comparer cette conception de la littérature à un billet de loto à gratter. Parce qu’un discours qui ne renvoie pas le lecteur directement au réel paraît sans doute trop encombrant, on croit qu’il suffit de la gratter afin de découvrir, cachée sous la surface de chaque mot opaque, sa signification véritable ou, en d’autres termes, ce que l’auteur voulait dire, au fond, en empruntant ce long détour. Et pourtant, un roman qui prétendrait pouvoir s’expliquer aussi facilement ne serait bien entendu rien d’autre qu’un roman raté : nul si découvert. » (99-100)

Gilles Archambault, « Vous écriez des romans? », p.103-114.

Sur son long parcours de lecteur, de sa préférence pour le style direct plutôt que le lyrisme. Sur sa conception de sa pratique de romancier : Aime la liberté qu’offre le roman; « Il me semble qu’on est plus facilement romancier à vingt-cinq ou trente ans. Les années venant, on tend à devenir écrivain. C’est-à-dire qu’on ne s’intéresse pas tellement à une histoire à raconter, à une intrigue à inventer qu’à rendre habitable le mystère de la vie. […] [C]hez celui qui estime écrire poussé par une nécessité grandira probablement une méfiance toute naturelle vis-à-vis du romanesque même. Le roman lui paraitra alors l’instrument idéal pour l’exploration de ce qu’il tient pour le moteur même de son écriture. » (106) ; prêche pour l’humilité; rhétorique de l’humilité et de la modestie. Il parle de la « gratuité de l’invention littéraire » (111).

Suzanne Jacob, « Le crime de la mort », p. 115-129.

Sur l’écriture comme conjuration de la mort : « Ce qui contraint un être à s’engager dans une nouvelle épreuve suffocante de l’oralité vers l’écrit, vers l’écrit littéraire, c’est, à mon sens, la nécessité, l’urgence de déjouer le crime, le crime de la mort, d’en maîtriser la panique, de témoigner de sa pénétration, de l’élucider. Pour ma part, je n’ai pas trouvé jusqu’à aujourd’hui que ce crime se commette dans l’histoire du roman, de la musique, de la poésie, de la peinture. Il se commet sans discontinuer contre la vie d’êtres de corps, de sang, de muscles, de nerfs qui ont tous un nom propre et qui se maintiennent chacun dans la vie grâce à l’arrogance, dirait le ouaouaron, de toute existence individuelle. » (118)

Sur son expérience de lectrice; en particulier sur le personnage de Catherine Crachat créé par Pierre Jean Jouve, qui l’a profondément marqué, et sur le personnage de la traductrice dans Le désert mauve de Nicole Brossard. « Ce que j’essaie de dire, c’est que si une des fonctions assignées au roman est bien de nous apporter une connaissance du monde, il y a quelques romans qui y dérogent et provoquent chez le lecteur l’émergence de sa propre vision, de son propre rêve, et je ne crois pas que ce qu’on appelle la toute-puissance du narrateur ou du romancier y soit pour quelque chose, au contraire. C’est bien plutôt par un renoncement à la toute-puissance, à la toute-connaissance, que ces romans atteignent la racine vibrante de ce qui en nous désire, désire connaître sa propre raison de commettre le meurtre à son tour, reconnaître ce qui a été et est et sera, en chacun, contaminé par le “virus du crime”. La fonction de ces romans n’est nulle part de participer à l’accumulation d’une somme de connaissances sur le monde, mais plutôt de féconder une pensée qui renonce à accumuler une somme, qui désire se délester de ce qu’elle sait en vue de sa traversée du désert vers l’absolu de son désir. » (125)

Robert Lalonde, « Repérer son noyé et le hisser dans sa barque », p. 131-134.

Sur sa conception de la lecture et de l’écriture. L’importance du lecteur dans la création du sens : « L’écriture d’un roman, d’une nouvelle, est en fait une chasse, ou plutôt une battue. Le romancier n’est pas celui qui abat le gibier, mais celui qui fait lever la bestiole. » (131)

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