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Philippe Claudel, L’enquête, Paris, Stock, 2010.

Pertinence : Haute (enquête)

Remarque personnelle : On se trouve face à un formidable exemple d’enquête empêchée. Une enquête qui ne pourra jamais commencer : L’Enquêteur est envoyé pour enquêter sur une vague de suicides dans l’Entreprise. Or cette Entreprise s’avère « contaminer » la ville en entier, étendre ses ramifications. Tout dans la ville semble comploter contre l’Enquêteur, sans pourtant que ce complot ne soit orchestré par qui que ce soit. L’Enquêteur est sans cesse bafoué, retenu, empêché, interrogé, mis en garde à vue, etc. On l’affame, on le séquestre pour après le chouchouter, le gaver… C’est une ambiance très Kafkaïenne, une espèce de roman policier métaphysique où la validité même du geste d’enquêter est remise en cause dans un monde où plus rien ne vaut…On sent du Beckett, de l’absurde, de l’angoisse. La figure de l’enquêteur est malmenée jusqu’à l’extrême, alors qu’il devient un pantin livré à la folie et à la dissolution. Fin surprenante qui bascule dans l’invraisemblable alors que l’Enquêteur se retrouve enfermé dans une salle d’attente qui s’avère être un conteneur. Ce conteneur se trouve dans une immense plaine où croupissent, enfermées pour toujours, des milliers d’enquêteurs identiques à lui. (Narration hétérodiégétique)

Résumé sur le site l’éditeur : « C’est en ne cherchant pas que tu trouveras. » Comment l’Enquêteur du nouveau roman de Philippe Claudel aurait-il pu s’en douter ? Comment aurait-il imaginé que cette enquête de routine serait la dernière de sa vie ? Chargé d’élucider les causes d’une vague de suicides dans l’entreprise d’une ville qui ressemble hélas à toutes les nôtres, l’Enquêteur est investi d’une mission qu’il doit mener à terme comme il l’a toujours fait. Des signes d’inquiétude s’emparent de lui peu à peu : l’hôtel où il s’installe accueille tantôt des touristes bruyants et joyeux, tantôt des personnes déplacées en détresse. Dans l’entreprise où il devrait être attendu afin de résoudre son enquête, personne ne l’attend et tous lui sont hostiles. Est-il tombé dans un piège, serait-il la proie d’un véritable cauchemar ? On l’empêche de boire, de dormir, de se nourrir, on ne répond jamais à ses questions que par d’autres questions. Le personnel même est changeant, soit affable soit menaçant. À mesure qu’il avance dans ses découvertes, l’Enquêteur se demande s’il n’est pas lui-même la prochaine victime d’une machine infernale prête à le broyer comme les autres. On devine ainsi que l’impuissance de l’Enquêteur à clore son enquête reflète notre propre impuissance face au monde que nous avons construit pour mieux nous détruire.

Citations pertinentes ou représentatives: «Je n’ignore rien. On m’a donné une fiche très complète. Je suis le Policier. Moi je sais. Vous, qui êtes l’Enquêteur, vous ne savez pas, vous cherchez. » (p.58) «C’est comme si, ce que je vais dire va paraître absurde, mais c’est comme si tout ici, dans cette ville, y compris le tracé des rues, l’absence d’indications, le climat, tout conspirait pour que je ne puisse pas faire mon Enquête, ou qu’elle soit le plus possible retardée.» (p. 60)

L’enquêteur doute de tout : «Je suis une fois de plus soumis à un examen, pensa-t-il. On se moque de moi. On m’étudie. Je ne suis qu’un jouet dont on tente de vérifier la performance avant sa mise en service sur le marché. C’est certain, on me regarde de quelque part […]» (p. 196) «Je suis sensé être l’Enquêteur, mais ne suis-je pas moi-même au centre d’une autre Enquête, qui me dépasse considérablement et dont les enjeux sont bien plus cruciaux que celle que j’ai à mener?» (p. 196-197)

« (…) l’Enquêteur palpait peu à peu le vide dans lequel il flottait et qui le constituait. N’était-il pas devenu lui-même une matière confrontée à une anti-matière en expansion? Ne progressait-il pas, vite ou avec lenteur, peu importait, vers le trou noir qui allait l’ingérer?» (p. 236)

« Je ne pense pas, on pense à travers moi, ou plutôt on me pense. Je n’ai la possibilité d’aucune initiative. On me fait croire que j’ai une Enquête à mener. En vérité, il n’en est sans doute rien. Je suis balloté, chahuté, froissé puis caressé, bousculé puis remis droit (…) » (p. 236)

Commentaire métatextuel sur la mise à mal des codes traditionnels de l’enquête «Il avait tenté de débrouiller les cartes, de donner des noms, de faire au plus simple, de rendre clair, d’aller là où on lui avait dit d’aller, de faire ce qu’on lui avait dit de faire. Même le récit des événements avait suivi, au tout début, des codes connus, jouant sur les architectures rassurantes avant de commencer à s’émanciper de ceux-ci, à se débrider, à scier les branches sur lesquelles pendant longtemps il s’était reposé, à contribuer à le déboussoler plus encore.» (p. 276)

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