Table des matières
Notions : L’écrivain imaginaire et les scénographies auctoriales
I- INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : DIAZ, José-Luis Titre : « Introduction », « Chapitre un » (théorique) et conclusion de L’écrivain imaginaire : Scénographies auctoriales à l’époque romantique Lieu : Paris Édition : Champion Collection : « Romantisme et modernité » ; 110 Année : 2007 Pages : 3-48 et 637-647
II- CONTENU :
1− Projet
Dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat − dont il donne le premier et le troisième chapitre qui totalisent 700 pages − José-Luis Diaz entend étudier l’époque romantique sous « l’angle plus général de la représentation de l’écrivain. » (2007 : 3) Pour ce faire, il a élaboré deux notions originales : l’écrivain imaginaire et les scénographies auctoriales.
« Représentation » est entendue ici à la fois dans son sens qui le lie au théâtre, mais aussi en tant qu’image dans l’imaginaire ; les représentations imaginaires de l’écrivain, ce que Diaz nomme l’écrivain imaginaire ; ou encore les représentations de l’écrivain sur une scène imaginaire qu’il habite, où il se positionne et se déplace − dans le temps (les périodes, par exemple, ou les écoles, sujettes à dater) et l’espace (social, hiérarchique, politique, artistique ; par exemple Hugo qui passe de la poésie au théâtre et au roman, roman qui lui-même occupe un espace hiérarchique qu’il n’a pas nécessairement toujours occupé dans le système des valeurs). Ces représentations de l’écrivain appartiennent autant au lecteur (à la critique) qu’à l’écrivain qui se rêve écrivain (en cela Diaz doit beaucoup à D. Oster, qu’il cite souvent). En fait, l’écrivain, dans ses sorties médiatiques autant que dans son œuvre − l’« œuvre n’est là que pour produire un “dégagement d’auteur” » (2007 : 4) −, tente d’imposer au lecteur sa propre figure rêvée, tente d’imposer aux autres sa représentation.
Ces représentations sont des matrices qui souvent existent déjà (le poète mélancolique, le prophète, le moine à l’écart qui bûche sur son œuvre).
« L’auteur étant devenu à cette époque [la Romantique] la pièce décisive de l’édifice [littéraire], tout ce qui change sa partition change, en effet, l’espace littéraire tout entier : dès qu’on touche à l’auteur, on touche aussi au lecteur et à l’œuvre. Et donc au dispositif d’ensemble de la communication littéraire, mais aussi, plus intrinsèquement, à l’œuvre même, produit de cet auteur, dont les choix esthétiques ont partie liée avec ses choix éthiques et stratégiques. » (2007 : 637, je souligne)
2 – L’écrivain imaginaire ou les scénographies auctoriales
Pour élaborer ses deux notions maîtresses – et aussi pour légitimer le fait même d’analyser un courant voire un siècle pendant 700 pages sous l’angle de l’auteur –, Diaz part du constat que « la figuration de l’auteur (mais aussi du lecteur et du livre […]) est une nécessité de toute consommation littéraire. C’est une des lois [des habitudes bien ancrées, plutôt?] de la lecture que de chercher à s’appuyer sur quelque représentation de l’auteur, fut-elle problématique. Son souci d’ordonner sa bibliothèque mentale conduit le lecteur à des distributions de rôles expéditives. » (2007 : 26) Et même le mépris de la scène (la comédie littéraire) de certains auteurs participent d’une signalétique, d’une position ou d’une scénographie auctoriale. (2007 : 31) Par exemple, les auteurs qui disent ne pas vouloir se mêler à l’imposture de la comédie littéraire adoptent de facto une position et une posture sur la scène littéraire, une scénographie auctoriale, posture ancestrale d’ailleurs, la monastique. (On n’y échappe pas…)
Il est difficile de distinguer franchement les notions théoriques d’écrivain imaginaire des scénographies auctoriales, comme avec Diaz on ne différencie pas vraiment statue et statut. Les scénographies auctoriales « peuvent se réduire à autant de manières différentes qu’a l’écrivain de se représenter dans un espace imaginaire à investir » (2007 : 637). L’écrivain imaginaire est une figure rêvée, fantasmée par l’auteur lui-même et par le lecteur.
Ce sont donc tous deux des structures imaginaires matricielles qui déterminent le rôle que se donne l’auteur en société, le ou les genres pratiqués par cet auteur, etc. Plus généralement, tout choix esthétique a à voir avec les représentations de l’écrivain (et les modèles existants de l’écrivain). La scénographie auctoriale est cependant plus « tangible », ayant trait au champ littéraire et s’ancrant davantage, donc, dans le social, tandis que l’écrivain imaginaire pourrait être le scénario qui accompagne (et à la fois précède) cette position/posture adoptée (de manière réfléchie ou pas) sur la scène littéraire, la comédie littéraire, soit le champ littéraire.
Ces scénarios « sont des dispositifs identitaires, par lesquels les écrivains tentent de signaler leur “position”. » (2007 : 5) Autrement dit, les scénographies auctoriales sont « matricielles et structurantes. » (Ibid.)
Les mises en scènes ou scénographies seraient davantage péritextuelles et épitextuelles (2007 : 24), tandis que les scénarios ou la notion d’écrivain imaginaire seraient un produit textuel ou extratextuel − à tout le moins qui part du texte vers la rêverie… Mais ces mises en scènes, ces préparatifs scéniques (2007 : 24) paratextuels, « projettent [tout de même] leur ombre sur la cérémonie ». (2007 : 24)
« L’image de l’écrivain […] ne peut que commencer qu’après que l’écrivain s’est fixé, ne serait-ce que provisoirement, des repères imaginaires. » (2007 : 20)
« Pour pouvoir se livrer à ce jeu séducteur [à l’œuvre dans toute œuvre, présuppose Diaz], l’écrivain se définit une posture et aménage autour de lui un dispositif “scénographique” : jeunes premiers, seconds rôles, amoureuses […], traîtres, confidents […] » (2007 : 38)
Diaz cite Viala (Naissance de l’écrivain, 2007 : 10) : « “[L]’imaginaire d’un écrivain, c’est aussi la construction d’une image de lui au sein de l’espace littéraire” et son esthétique “la forme qu’il donne à cette image”. Mais code comportemental d’abord, puisque ces rôles stéréotypés ne se contentent pas de traiter l’écrivain comme un personnage strictement littéraire : ils lui assignent une place dans le théâtre social. Il sera mage, bandit, moine ou aventurier : et tant pis si son statut dans la société de tous les jours est bien plus sage. » (2007 : 39)
« Parce qu’il suppose communication théâtralisée d’un dire solitaire, l’exercice littéraire nécessite cette auto-mise en scène de soi. Manière de se faire son propre héraut, en se traînant soi-même comme une allégorie. Mais une fois qu’elle est à peu près fixée, cette allégorie ne reste pas au niveau du fantasme : elle s’inscrit de manière concrète, tant dans le style de vie de l’écrivain que dans sa manière d’écrire. » (2007 : 44)
« Ces interactions invitent à se demander si modes de vie et choix textuels confirment ou non le choix d’un rôle donné. Non que l’imaginaire soit la structure première ; mais parce qu’il a bien une fonction de régulation sur les options prises aux trois niveaux. » (2007 : 44)
3 − L’instance auctoriale
L’instance auctoriale, qui est une « réalité transdiscursive » (2007 : 17) se divise en trois, sur trois plans : l’homme de lettres, l’auteur et l’écrivain, qui correspondent du même coup au réel, au textuel et à l’imaginaire.
1- L’homme de lettres est « à la fois un sujet biographique et un acteur social. » (2007 : 18)
2- L’auteur « n’a pour existence tangible que ces marques grammaticales qui forment l’appareil formel de l’énonciation. Il est le régisseur formel du texte, celui qui en occupe la fonction-sujet. » (Ibid.)
3- L’écrivain (l’écrivain imaginaire) « est une dimension imaginaire de la fonction-auteur ». (2007 : 19) « L’instance auctoriale suppose d’emblée image, fantasme, mise en scène. Qu’il le veuille ou non, l’écrivain joue un rôle, endosse une tunique, choisit ses insignes − dans une panoplie qui évolue au fil de l’Histoire. » (2007 : 20)
4 − Sur les concepts de référence :
Diaz « préfère disposer d’une batterie conceptuelle » (2007 : 48) pour ce qui concerne les instruments théoriques propres à décrire la dimension imaginaire de la fonction-auteur. Bref, « [p]asser brièvement en revue les outils conceptuels qui s’offrent, c’est déjà prendre une vue en abrégé des divers “plans” sur lesquels se meut l’écrivain imaginaire. » (Ibid.)
1- Vocabulaire visuel
A) l’image (de l’auteur) peut renvoyer à une conception vague du figural ou à « une objectivation proprement iconique de soi » (2007 : 45) que chercherait l’écrivain. En somme, poursuit Diaz, selon les différentes périodes de l’Histoire, l’écrivain peut privilégier une image personnalisée de lui-même (ce qui serait le cas de l’époque romantique et de notre (post-)modernité) ou encore se satisfaire d’images passe-partout (Diaz ne donne pas d’exemples ; mais on peut très bien penser, par exemple, au stoïcien, à l’épicurien, au philosophe des Lumières, à l’avant-gardiste du 20e siècle − Dada, surréalistes, nouveaux romanciers peuvent partager une image de l’Art, une posture vis-à-vis de l’engagement, une idée de la sexualité, des présupposés esthétiques, etc. −, etc.)
B) la représentation, comme cela a été souligné plus haut, peut renvoyer à l’aspect théâtral de la mise en scène de la comédie littéraire ou encore, « en s’en tenant au sens abstrait du mot, [peut] indiquer combien cette “mise en images” reste à l’état virtuel. La re-présentation consiste alors dans la réduplication simplifiante plutôt que dans la vérité de la copie. » (2007 : 45) Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que la représentation est stylisée, qu’elle simplifie, elle est un schéma qui n’a rien à voir avec les traits individuels. « L’image, c’est alors son double […] offert en gage, aisément consommable par l’imaginaire social. » Il s’agit d’une figure, d’une silhouette.
Toujours pour la représentation : si l’accent est mis sur l’aspect social, l’image devient alors l’image publique, « celle qui projette le personnage littéraire dans l’espace social, sous peine de le voir réduit à une apparence codée. » (Ibid.) ⇒ J’avoue ne pas suivre tout à fait Diaz et ainsi ne pas pouvoir plus éclairer le lecteur de cette fiche. L’auteur se montre ici plutôt avare de commentaires et d’exemples.
C) l’imagerie est le « système conventionnel et rassurant des images reçues, formant série. » (Ibid.) L’imagerie, si je comprends bien, est le répertoire des images et représentations de l’écrivain reçues, passées à l’histoire, et ainsi probablement encore plus stylisées et de moins en moins près d’une certaine réalité…
« C’est enfin l’avantage de ces termes empruntés à la peinture ou à la statuaire que de dire l’immobilité solennelle qu’imposent ces images stéréotypées, qui définissent une “posture”, une “stature”. L’écrivain idéal est alors comme un modèle d’académie qui prend la pose. Mais remarquons qu’il est à la fois le modèle, le peintre qui soigne les draperies convenant à la scène et déjà le spectateur qui l’apprécie. » (Ibid.)
2− Vocabulaire « schématique »
A) Stéréotype, “pattern”, modèle et topoï auctoriaux mettent « l’accent sur l’aspect itératif de ces mises en scène. On signale qu’il y a là des poncifs, dans un domaine réservé en principe à l’expression de l’individuel. » (2007 : 45-46) Diaz va même jusqu’à avancer l’idée d’un paradoxe flagrant du romantisme − âge d’individuation de l’écrivain (2007 : 46) −, où on peut remarquer l’afflux de clichés − après tout, combien de René après René, combien de Musset inconnu et (peut-être) moins talentueux ?
B) le mythe « permet d’insister sur la permanence de ces images codées et sur le recours à un mode de signifier conventionnel » (Ibid.). Diaz insiste cependant sur un point, à savoir qu’il n’y a pas de mythe sans nom propre (le mythe est la matrice dans laquelle s’insère le nom propre) et sans récit (de là le scénario élaboré dans l’imaginaire et relié à la scénographie auctoriale ; ou encore Diaz veut sûrement dire que dans l’œuvre même s’inscrit l’image de l’auteur, elle se déploie à travers le récit avant d’appartenir à la rêverie du lecteur…)
« Appliqué au dispositif auctorial, ce terme de “mythe” rappelle combien l’écrivain imaginaire construit son identité par rapport à une petite poignée de fables immémoriales, sans cesse réactivées en des moments historiques divers : Prométhée, Orphée, Protée, Pygmalion, etc. » (Ibid.)
3- Vocabulaire psychanalytique
fantasme VS. imago :
L’imago, suivant Diaz (2007 : 46-47), est un prototype inconscient de personnages qui oriente la façon dont le sujet appréhende autrui. Il relève donc du surmoi freudien, mais surtout renvoie à toute image imposée au sujet du dehors par le discours (ici) social. C’est une « image à l’impératif, toujours un peu hostile » (2007 : 47). L’imago, bref, pourrait être la figure redoutable des écrivains déjà installés, connus, célèbres et célébrés, qui font sur la scène littéraire la pluie et le beau temps… Ces écrivains imposent un imaginaire de l’écrivain que les plus jeunes adopteront, railleront ou déplaceront. Par exemple, pour un jeune écrivain français d’après-guerre (la deuxième), il était difficile de ne pas réfléchir un minimum à la place que l’on réserverait au politique dans l’œuvre à venir que l’on était en train de rêver, quels groupes on souhaiterait sauver d’abord…
Le fantasme, on l’aura deviné, « est l’image idéale intime, avantageuse, que le sujet s’offre à titre de rêverie gratifiante, et qui lui permet de se représenter selon le bon plaisir de son inconscient » (Ibid.). C’est une image au conditionnel futur, continue Diaz. « Aussi est-il indiqué de parler du “fantasme de l’écrivain” lorsqu’on met l’accent sur la part d’idéalisation et de désir qui préside à cette rêverie, hors [de] toute confrontation avec le réel. » (Ibid.)
Vocabulaire théâtral
Les scénographies, notion issue de la métaphore théâtrale, introduisent une dimension de jeu essentielle. Elle met aussi l’accent sur la prestation de l’écrivain en tant qu’acteur sur la scène de la comédie littéraire… Aussi, le « rôle offert à l’écrivain est choisi dans une liste restreinte d’emplois, qui se renouvellent lors des grandes mutations de l’histoire littéraire » (Ibid.).
4 − Les présupposés :
Finalement :
La « scène » est le champ littéraire, et les scénographies auctoriales − les déplacements de cet écrivain sur cette scène −, le résultat du sacre de l’écrivain (et/ou de sa « vedettarisation »), qui se retrouve nécessairement au centre de l’expérience littéraire.
L’époque romantique a placé « l’écrivain au cœur de l’espace littéraire » (2007 : 4). Voire : « [L]’œuvre fut sentie comme un épiphénomène par rapport à cette réalité transcendantale, seule digne d’existence ontologique : l’écrivain. » (Ibid.)
Il y a des correspondances entre l’imaginaire de l’écrivain (donc les types de figures que les écrivains adoptent ou créent en entrant dans le champ littéraire) et les plans social et de l’écriture. C’est l’imaginaire de l’écrivain qui stipule le mode de vie et qui commande l’affiliation politique (2007 : 638), tout autant que c’est l’imaginaire de l’écrivain « qui impose les choix génériques, et de manière plus précise encore, les protocoles d’énonciation. Car, pour une part, ils ne sont que la réalisation sur le plan de l’écriture de postures scéniques […] adopté[e]s en fonction de scénographies imaginaires. » (2007 : 638)
III – LECTURES ET COMMENTAIRES
Le rapport vie-œuvre :
« [L’]image que l’écrivain propose et se propose est une aventure qui l’engage, vie et œuvre mêlés. » (2007 : 24)
* Même si, au départ, la notion d’écrivain imaginaire semble être une des clés pour une étude des rapports entre la vie et l’œuvre d’un écrivain, son extension, son application m’apparaissent problématiques. Comment repérer dans l’œuvre et la littérature critique « entourant » l’œuvre la manière dont s’est imaginé − et a tenté de s’imposer à l’imagination de ses lecteurs − l’écrivain sans tomber dans la spéculation ? Sans faire ressortir une ou des généralités qui dicteront une lecture plutôt que d’aider à comprendre l’œuvre ? L’imaginaire, notion fertile s’il en est une, demeure ici difficile à approcher. Pour preuve, le reste du livre de Diaz, après le premier chapitre théorique, se « contente » d’une histoire du romantisme français plutôt classique, quoique élaborée à partir des auteurs plutôt que des œuvres − mais l’historien ne s’écarte pas des questions d’écoles et de générations et ne déplace pas de manière substantielle les périodes déjà établies par l’histoire. En somme, l’imaginaire prend assez rapidement le bord et l’analyse devient socio-historique, et si c’est une figure imaginaire et imaginée de l’écrivain qui a poussé Hugo, par exemple, à changer son attitude pour devenir un poète et dramaturge prophète chargé d’âmes − qui serait la scénographie auctoriale nommée « responsabilité » −, on aura beau se convaincre qu’avant d’être effective cette attitude a dû être imaginée, pour nous elle n’est après tout repérable que dans les manifestes polémiques et de manière implicite dans l’œuvre. Voilà pourquoi Diaz, après avoir établi trois plans à la fonction-auteur (réel, textuel et imaginaire), revient quelque peu sur ses positions théoriques et admet que, « tout en ayant proposé de distinguer trois niveaux pour saisir la réalité auctoriale, je serai conduit [être conduit, c’est-à-dire qu’il n’est plus le maître à bord, ou plutôt il en vient à l’évidence] à neutraliser parfois ces distinctions. Difficile en effet de séparer trois instances ; difficile d’isoler les éléments de mise en scène qui participent à l’encodage d’un scénario auctorial donné, en négligeant les conduites de l’homme de lettres et les choix d’énonciation de l’auteur. » En somme, difficile à l’analyse de jouer dans le carré de sable de l’imaginaire, difficile d’appliquer la notion qui donne le titre à l’ouvrage.
Mais Diaz « s’en sauve » en insistant sur le fait qu’il faut « comprendre à quel point c’est par la médiation des représentations imaginaires que le social s’inscrit dans l’œuvre, et informe l’attitude des écrivains. » (2007 : 37) Donc, encore une fois, à l’instar de Borer et de Noguez, idées, attitudes et comportements de l’être empirique qu’est l’écrivain informe l’œuvre… Cette assertion me semble tout à fait juste, mais encore une fois son application n’est pas explicitée dans L’écrivain imaginaire. Le lecteur comprend la théorie et ensuite on ne parle que d’écrivains bien réels aux attitudes bien réelles et attestées historiquement… Ce n’est pas la médiation des représentations imaginaires qui s’analyse dans l’œuvre, mais bien la manière dont le social s’inscrit dans celle-ci et l’attitude (par rapport à tout élément du social ou du champ littéraire) des écrivains qu’on peut déduire d’elle.
Le « rôle imaginaire que finit par se donner l’écrivain − comme celui que le public lui attribue − […] a des conséquences sur la manière qu’il a de se comporter dans la vie ou d’imaginer son destin d’écrivain. Mais il exerce aussi ses déterminations a priori comme a posteriori sur l’“écriture” : car l’exercice littéraire, dans sa spécificité − invention de signes et promesse de beauté − n’est jamais si à l’abri qu’on croit de ces mises en scènes. » (2007 : 23).
En somme, une fois qu’on a tablé sur l’imaginaire, affirmant qu’il dicte les choix esthétiques, éthiques et politiques, jusqu’au protocole d’énonciation, on tombe rapidement dans le réel et le textuel et on laisse loin la dimension imaginaire du rapport écrivain/œuvre…
Autres remarques :
Par rapport à la biographie :
« Mais on sait désormais que toute écriture littéraire suppose un jeu de séduction, de reconnaissance-méconnaissance, de leurre, de capture spéculaire. » (2007 : 38, je souligne)
Si j’ai marqué un certain doute quant au champ d’application de la notion d’écrivain imaginaire, il me semble que par rapport à la biographie (et l’autobiographie) cette notion a deux extensions possibles et possiblement effectives. D’abord, l’autobiographe et le biographe parlent en leur nom. L’image qu’ils donnent d’eux dans leur œuvre a plus de chance d’être dégagé sur le plan imaginaire de la rêverie. Avec le roman, cela irait moins de soi, car il est difficile de dégager une image consciente ou inconsciente de l’auteur par rapport à un personnage − qu’on identifierait à l’auteur −, même si le style, le genre, les positions politiques et esthétiques renvoient bien entendu à un choix d’auteur et ainsi à une image d’auteur. Il s’agit bien de « calcul », de reconnaissance-méconnaissance et de leurre, bref c’est un terrain miné où on peut très bien se faire avoir en tant que lecteur. Pour la biographie, le leurre peut être à l’œuvre, mais il me semble tout de même que dans la distance prise de l’auteur biographe vis-à-vis de l’auteur biographé, dans sa relation avec ce dernier − dans le choix même de la vie racontée −, se dégage une image d’écrivain. Qui sera plus ou moins « critique ». Plus ou moins intellectuelle. Plus ou moins ironique − Diaz parle d’ailleurs d’un romantisme ironique issu d’un dégoût de la relève vis-à-vis des vieux romantiques « institués ». Il y a en effet − plus en effet que dans le roman, il me semble −, dans la biographie, une capture spéculaire du biographe, voire de l’autobiographique qui se déduit à travers la biographie d’un autre…