I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Marie NDiaye
Titre : Mon coeur à l'étroit
Éditeur : Gallimard
Collection :
Année : 2007
Éditions ultérieures :
Désignation générique : Roman
Cote : DEUX ÉTOILES
Quatrième de couverture :
Nadia, la narratrice, est institutrice à Bordeaux dans la même école que son mari, Ange. Ils vivent leur profession comme un apostolat et en tirent une authentique félicité. Mais depuis quelque temps le couple est l’objet d’une vindicte générale, harcelante et inexplicable… Nadia tente de comprendre la nature du complot qui la broie, tandis qu’un brouillard épais ensevelit Bordeaux. Quelle faute a-t-elle commise, qui justifierait ses malheurs? Pourquoi son fils s’est-il éloigné d’elle? Ange est-il vraiment son allié dans l’épreuve? Et qui est ce voisin qui les accable de propos lénifiants, ce Noget qui s’impose peu à peu comme leur protecteur tout-puissant?
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Nadia et son deuxième mari, Ange, passionnés et dévoués pour leur travail, étaient deux enseignants très estimés de leur petite école primaire. Jusqu’au jour où le comportement de leur entourage s’est drastiquement modifié : maintenant, on les insulte et les rejette. Ils inspirent horreur et aversion à quiconque croise leur chemin. Alors qu’Ange a été attaqué et se trouve gravement blessé au ventre, il devient difficile de nier la situation. Mais Nadia elle-même ne connaît pas les causes de ce rejet. On semble lui reprocher son orgueil et son infidélité, la faire payer à titre de bouc-émissaire pour tous les gens « comme elle ». Le seul qui lui propose son aide est un voisin, Richard Victor Noget, un homme que le couple a toujours ignoré et méprisé. Alors qu’il cherche à prendre soin d’Ange, enfermé dans sa chambre et refusant de se soigner, Nadia tente de le repousser, mais il s’accroche et s’infiltre dans leur intimité. Finalement, sous les conseils de Noget, Nadia quitte la ville et se rend chez son fils avec qui elle entretient une relation des plus conflictuelles. Là-bas, elle renoue enfin avec ses parents qu’elle considérait comme mort depuis longtemps, par mépris de ses origines. Elle accouche alors d’une bête sombre et velue, comme si elle accouchait de toute sa honte, tandis qu’Ange, complètement guéri, se retrouve en couple avec une autre femme qui elle, n’a honte de rien.
Thème(s) :
La honte, le rejet, le mensonge et la vérité ?
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
Nadia demeure dans l’ignorance de sa faute. Incapable de trouver une logique dans tout ce qui se passe, anéantie et ne sachant que faire, elle a des moments d’absence, d’«incompréhensible absence » (p. 47). Autour d’elle, tout le monde semble comprendre ou savoir des choses qui lui échappe, des choses qu’elle est la seule à ne pas savoir. D’ailleurs, Nadia préfère penser qu’elle a imaginé cette rupture par surplus d’orgueil et qu’en faisant comme si de rien n’était, tout redeviendra normal. Ainsi, elle nie et fuit les possibilités de réponse. Le rapport au savoir est donc extrêmement important tout au long du récit et il y a bel et bien rupture interprétative.
Appréciation globale :
Ce roman est excellent, mais ne présente qu’une rupture interprétative, sans rupture actionnelle. La capacité d’agir de Nadia se voit fortement diminuée, la moindre action devient pour elle une véritable épreuve et elle n’a plus aucun contrôle sur rien. Or, c’est le monde social qui rejette Nadia. Si ce n’était pas de ça, tout irait bien pour elle. Son intentionnalité n’est pas affectée. Elle peut encore s’imaginer transformer le monde, seulement, elle n’y parvient pas. Bref, sans rupture actionnelle, ce roman n’est peut-être pas le plus intéressant pour le projet…
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture :
a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.
b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.
Rupture interprétative :
b) Le comportement insaisissable du corps social mène Nadia à une sorte de paranoïa; son interprétation des faits est donc flouée. Ses raisonnements sont d’ailleurs jugés négativement par tout le monde, et elle ne comprend pas pourquoi. À travers sa perception, tous les personnages semblent détenir une part d’ombre menaçante. Tous ses repères habituels ne fonctionnent plus : elle perd la notion du temps et de l’espace, comme si elle se trouvait en plein cauchemar. Ainsi, elle est en proie à un grave processus de défamiliarisation; ses sens détectent toutes sortes de modifications autour d’elle (créant une impression d’inquiétante étrangeté). Si elle ne reconnaît plus sa ville ni son mari, elle a également du mal à reconnaître son fils. Même son propre corps se transforme : elle se sent grossir sans connaître la véritable cause de ce surplus de poids. Son alimentation, le goût même de ce qu’elle avale, devient problématique, car elle ne peut s’empêcher de manger la nourriture préparée par Noget et en même temps, la condamne sévèrement. Aussi, ses règles ont cessé et Nadia prétend être en ménopause, mais les gens la croient plutôt enceinte (elle est effectivement enceinte d’une créature anormale). Bref, le monde devient pour elle illisible.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)
Narration autodiégétique : Nadia raconte elle-même ce qu’elle vit, mais certains passages sont en italique : il s’agit de pensées non verbalisées qui semblent plus sincères et qui, généralement, accentuent l’impression que Nadia se met des œillères pour ne pas voir ou ne pas comprendre sa faute.
Aussi, le fait qu’elle ne comprend rien induit l’impression qu’il y a du brouillard dans la narration, ce qui rappelle le brouillard couvrant la ville de Bordeaux où Nadia demeure.