ROLIN, Jean, Le ravissement de Britney Spears, Paris, P.O.L., 2011.
Résumé de l’éditeur Faut-il prendre au sérieux les menaces d’enlèvement qu’un groupuscule islamiste fait peser sur Britney Spears ? Les services français (les meilleurs du monde) pensent que oui. Certes, l’agent qu’ils enverront à Los Angeles pour suivre cette affaire présente quelques handicaps – il ne sait pas conduire, fume dans les lieux publics, ignore presque tout du show-business et manifeste une tendance à la neurasthénie –, mais il fera de son mieux pour les surmonter, consultant sans se lasser les sites spécialisés, s’accointant avec des paparazzis, fréquentant les boutiques de Rodeo Drive ou les bars de Sunset Boulevard, jusqu’à devenir à son tour un spécialiste incontesté tant de Britney elle-même que des transports en commun de Los Angeles.
Il n’en échouera pas moins dans sa mission, et c’est de son exil au Tadjikistan, près de la frontière chinoise, qu’il nous adresse ce récit désabusé de ses mésaventures en Californie. Même si l’écriture de ce roman a été précédée d’un séjour de plusieurs semaines à Los Angeles qui lui a permis de nourrir son texte de l’atmosphère de la mégapole de la côte Ouest et, pas du tout accessoirement, de se lier d’amitié avec certains des paparazzis attachés à la traque de Britney Spears… ce nouveau livre de Jean Rolin, n’est pas un récit de voyage, ou une enquête : c’est un roman, un vrai roman… Le quatrième de son auteur : le fait est suffisamment rare pour être souligné. Et salué. Puisqu’un vrai plaisir romanesque est au rendez-vous avec, en plus, les qualités d’investigateur et de narrateur, le talent d’évocation et l’inimitable humour mélancolique que l’on connaît à l’auteur d’Un chien mort après lui.
Citations extraits Le narrateur nous fait le récit de la mission avorté qui l’a mené à être exilé à Murghab «sous le futile prétexte, peu susceptible de dissimuler le caractère punitif de cette affectation, d’y relever les numéros d’immatriculation de tous les véhicules franchissant dans un sens ou un autre la frontière chinoise.» (p. 10) Dès le début du récit, le doute est jeté sur les bases mêmes de la mission dont est chargé le narrateur. D’abord parce qu’il est un enquêteur de petite envergure, inefficace, avec peu de ressources :
«Il est avéré, en effet, que je ne sais pas conduire : c’est même une des circonstances, parmi bien d’autres, qui m’ont amené à douter des véritables intentions des services, que pour s’acquitter d’une telle mission, déjà passablement obscure dans ses objectifs, et vague quant aux moyens de les atteindre, ils aient choisi d’envoyer à Los Angeles un agent notoirement ignorant de la conduite.» (p. 15)
Ses stratégies de recherche et d’enquête sont tout à fait aléatoires et peu crédibles. Il s’alimente à même les journaux et les sites Internet à potins, furetant sur Wikipedia :
«Sur Google, si parmi quelque 81 millions d’entrées relatives à Britney Spears on sélectionne la notice établie par Wikipedia, on apprend qu’elle est née le 2 décembre 1981 à McComb, dans le Mississippi, et qu’elle a été élevée (raised) à Kentwood, en Louisiane, ce qui en fait doublement une fille du Sud, et pas de ce qu’il y a de plus chic dans le Sud. […] Wikipedia ne précise pas que sa mère est institutrice, ni que son père est généralement présenté comme un bon à rien, ne travaillant que par intermittence et suspect de s’adonner à la boisson.» (p. 51)
La mission dont est chargé le narrateur prend des airs de véritable blague : «J’étais arrivé à Los Angeles dans la soirée du 1er avril. À la réflexion, je me demande dans quelle mesure le colonel Otchakov n’avait pas choisi cette date à dessein, afin de suggérer que lui-même, ou quelqu’un de plus haut placé, envisageait la mission qui m’avait été confiée comme un gag. (Des collègues m’ont d’ailleurs affirmé qu’elle figurait dans le planning, après mon départ, sous le nom de code “Poisson d’avril”, ce qui, à proprement parler, ne prouve rien.)» (p.21) Même le paysage urbain apparait complice d’une mission bidon, montée de toutes pièces : «le silence qui régnait momentanément sur ce parking était assez profond pour permettre à un auditeur attentif, et qualifié, de reconnaître dans le gazouillement général le chant de telle ou telle espèce en particulier. Ainsi de l’oiseau-moqueur, car il est vraisemblable qu’il y en avait.» (p. 25)
Les lieux que foule le narrateur sont tous saturés des nombreuses histoires à potins qui peuplent l’imaginaire américain. Par exemple, il dort dans la chambre de motel où dormait Jim Morrison, il va au Moonshadow « un établissement où Mel Gibson a la réputation de se livrer souvent à des excès de boisson, pour vous donner une idée de son standing, et Britney Spears elle-même y aurait abusé d’un cocktail à base de jus d’ananas, en 2006 » (p.70)
« cette mission, comme je l’ai déjà suggéré, il se peut qu’elle n’ait été qu’un leurre, imaginé par nos services soit afin d’abuser leurs homologues américains et de leur attirer des ennuis – le monde du renseignement est coutumier de ces petites vacheries entre alliés–, soit, au contraire, afin de les seconder, en faisant diversion, dans l’accomplissement d’une tâche dont nous ne saurons jamais rien […] » (p. 41)
Même l’informateur principal du narrateur est affublé d’un acronyme des plus douteux : FUCK : « Quel que soit le jugement que l’on porte sur son bien-fondé, le succès de la mission, dans toute la phase préalable à l’escamotage de Britney, reposait en grande partie sur la qualité des informations fournies par Fuck, sans lequel nous étions dans ce milieu comme des aveugles et sourds. Fuck – dont le sobriquet, en dépit d’apparences trompeuses, était bel et bien composé des initiales de ses noms et prénoms, dans l’ordre, puisqu’il s’appelait réellement François-Ursule de Curson-Karageorges, sa famille, aristocratique et française, s’étant alliée jadis à celle du porcher qui régna quelques temps en Serbie […] » (p. 44)
Le narrateur voit sa mission et ses objectifs éclipsés par sa passion dévorante et soudaine pour Lindsay Lohan : « Ainsi, deux facteurs imprévus – la beauté de Lindsay (son charme maléfique) et sa proximité dans l’espace –entraient désormais en ligne de compte, et menaçaient d’infléchir ma conduite dans un sens peu conforme aux exigences de la mission. » (p. 95)
Ainsi, le narrateur s’invente toutes sortes de prétextes pour enquêter sur Britney par le biais de Lindsay : « ce que Lindsay fait aujourd’hui, me disais-je, Britney l’a fait dans le passé, et il se peut qu’elle y retourne dans l’avenir, de telle sorte qu’en m’intéressant à l’actualité de Lindsay je ne m’écarte qu’en apparence de la mission qui m’a été confiée. (D’ailleurs ce n’était tout de même pas de ma faute si Britney, ces temps-ci, faisait aussi peu parler d’elle.) » (p. 165)
PRÉSENCE DU CINÉMA On remarque une forte proportion de références filmiques dans ce roman. Tout ce passe comme si le narrateur superposait l’imaginaire filmique au monde où il évolue (exacerbant du coup le caractère factice, surfait, de sa mission et des événements). Tout lui rappelle une réplique, une scène de film, quand ce n’est pas lui qui se compare à tel ou tel acteur dans tel ou tel film…
Références par ordre d’apparition : Zsa Zsa Gabor, Moulin Rouge de John Huston en 1952, La soif du mal d’Orson Welles (p. 9) «durant la plus grande partie de ma vie, […] je me suis efforcé de ressembler au flic brutal et corrompu que dans La soif du mal incarne magistralement Orson Welles » (p. 9) «Fuck […] m’a appelé en fin de matinée, de sa voix traînante et voilée, presque inaudible, évoquant celle de Robert de Niro dans tel épisode du Parrain » (p. 14) «La veille de mon départ, j’avais revu Mulholland Drive, en DVD, et j’en avait retiré le même plaisir que la première fois, au cinéma » (p. 21) La fureur de vivre (p. 35) L’acteur britannique Russel Brand (p. 35) Le narrateur inspecte une penderie «Dressé sur la pointe des pieds, j’y passai la main, bien à plat, comme vous l’avez vu faire à Alain Delon dans Le Samouraï » (p. 74) Black Hawk Down (p. 102) Liz Taylor Soudain l’été dernier (p. 116) Georges Clooney (p. 138) L’Actrice Amanda Seyfried, Mean Girls (p. 201) King Kong (p. 214) « les circonstances de mon embarquement évoquèrent à tel point un film de Charlie Chaplin, du fait de ma maladresse, de mon manque d’entraînement, que la dernière image que j’apportai de Wendy fut celle d’une fille pliée de rie, s’efforçant à grand-peine de conserver son équilibre sur le remblai » (p. 283)
Références à la presse écrite ou à des bouquinsEmphase forte (gras) : Plusieurs journaux et agences de presse sont évoqués dans le roman :Agence X17, Los Angeles Times, Forbes, US, People, Daily Mail, Sun Livre Dernières séances sur Marilyn Monroe : (p. 188) Cite Au-dessus du volcan de Malcom Lowry (p. 191) «“Albertine disparue!” C’est par ce message codé, ainsi qu’il avait été convenu entre nous dans l’hypothèse où une telle chose se produirait, que le colonel Otchakov, qui se pique de goûts littéraires, m’a signalé que la destinée de Fuck venait de s’achever.» (p. 257)