I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Michèle Lesbre
Titre : Un lac immense et blanc
Éditeur : Héliotrope
Collection : Série K
Année : 2011
Éditions ultérieures :
Désignation générique : Novella
Cote : 2
Quatrième de couverture :
« Ce matin, l’homme de Ferrare n’était pas sur le quai de la gare. Il fait froid. Édith Arnaud est entrée dans un café pour se réchauffer et réfléchir. Au comptoir, un homme vient de lui adresser la parole et ses mains lui rappellent celles d’Antoine. Tout à l’heure elle traversera sans doute le Jardin des Plantes. Le corbeau à qui elle parlera en italien sera peut-être là. La neige inhabituelle qui est tombée a transformé la ville. Des silhouettes reviennent dans ses pensées : celle d’Antoine se roulant dans l’immensité blanche. Elle attendait l’homme de Ferrare, c’est un autre qui est revenu et le militantisme du début des années soixante.
Un lac immense et blanc raconte les déambulations d’une femme libre dans un Paris qui s’estompe peu à peu devant les images lumineuses d’un temps révolu. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Une femme va attendre le train de 8h15 qui doit voir descendre l’Italien, natif de Ferrare, ville qu’elle a visitée et aimée, qu’elle croise chaque mercredi au café. Mais il n’est pas là. Elle marche dans la ville, se remémore sa jeunesse activiste, la naissance de son amitié avec un corbeau au Jardin des Plantes, sa relation avec Antoine, les villes où elle a marché. Voyages en train, en bus, à pied, c’est une marche solitaire dans la blancheur de la neige qui se rpête à l’évocation de fantômes du passé.
Thèmes :
Solitude, jeunesse enfuie, rêve, passé
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
L’immobilité de la neige, le passé qui revient et paralyse, la fuite du réel dans le rêve, la grande solitude du personnage principal (et narratrice), dont on sait finalement bien peu de choses, tout cela donne au roman un côté impalpable impropre à l’accomplissement de grandes actions.
Appréciation globale :
Moins marquant que Écoute la pluie, c’est un très court roman qui laisse une impression de mélancolie très douce qui se prête à l’hiver.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture :
==a) actionnelle :
La narratrice mène très peu d’actions à bien, renonce, doute de sa capacité à agir : « Je cède et le regrette aussitôt » (13), « j’hésite à me retourner », finalement, « je renonce » (14) « J’aimerais que… » un oiseau la reconnaisse et se pose sur elle, « J’aimerais que… » une rue de Parie mène à cette Ferrare obsédante, « J’aimerais que… » l’Italien, presque un inconnu, arrive en courant pour la rejoindre ; la triple anaphore qui clôt la partie s’achevant à la page 29 illustre bien le caractère fantasmé du monde où évolue la narratrice. « Je sentais qu’il cherchait un regard et j’étais incapable de l’affronter. » (46) dans le bus devant un homme en détresse. « Je ne veux penser qu’à la neige, à toutes les fois où elle m’a laissé le souvenir d’un moment essentiel… Ne penser qu’à la neige, un éternel éblouissement. » (49) « J’hésite à retourner au café lunaire pour demander au garçon s’il sait quelque chose à propos de l’Italien, de son absence, mais quelques notes de piano me retiennent, et d’ailleurs, je ne suis plus certaine d’attendre l’Italien. » (77) « Je suis tentée de la suivre, de l’inviter à boire quelque chose de chaud… Je suis trop épuisée… » (81), elle renonce. « Je ne suis pas sûre d’avoir envie de savoir pourquoi l’Italien n’était pas au train de 8h15, ce qui me plaisait c’était l’élan qui m’avait portée sur le quai pour l’attendre… » (86), ce qui plait à la narratrice c’est donc le désir, le rêve encore une fois, mais non la réalisation concrète. « J’hésite à pousser la porte, quelqu’un s’avance et l’ouvre pour sortir. Je suis au comptoir avant de l’avoir décidé. » (87)
Elle se pose de plus comme une figure statique, (malgré ses fréquents et détaillés déplacements, ou peut-être même à cause d’eux), qui attend. « J’ai attendu longtemps sur le quai, dans les courants d’air et l’agitation. » (24) « son élégance un peu hautaine m’évoque une respectable indifférence face à l’agitation planétaire. » (33) corbeau freux à qui elle parle en italien « Aujourd’hui, j’aimerais ce retrait, un lent écoulement des jours, une douce attente… » (40) « J’attendais l’Italien, c’est Antoine qui est venu… » (55), plutôt que la réalité, c’est le rêve qui toujours rejoint la narratrice. Même jeune, plutôt que de prendre part activement aux événements de mai 68, elle attend Antoine, amant disparu. (69)
Dans les cafés, elle observe et ne participe pas, attendant qu’un regard d’homme se pose sur elle sans rien faire pour le provoquer. Et lorsque c’est le cas, réagit-elle ? oui et non : elle fuit. « J’attendais qu’ils s’aperçoivent de ma présence, j’attendais jusqu’à ce qu’un regard se pose sur moi. Je le soutenais quelques secondes et je m’en allais. » (21)
Opposition à l’Italien qui a « le geste large et décidé » (23)
Le geste qu’elle tente, sa seule tentative concrète de modification du monde, c’est celui d’aller surprendre l’Italien à sa sortie du train, geste manqué puisque ce dernier n’est pas à la gare. Geste aussi compromis d’avance par la narratrice qui craint presque cette rencontre : « Je n’aimais pas cette angoisse qui m’envahissait peu à peu à l’idée de le voir descendre du train et d’être incapable du moindre mouvement. » (46) Que fait-elle sinon, entre clandestinement dans un immeuble pour écouter contre une porte une leçon de piano (79), autre occasion de se poser en spectatrice du monde.
Lorsqu’à la toute fin elle croise l’Italien au café, alors que toute cette journée s’est passée dans son attente, elle dit une phrase, n’attend pas de réponse, se retourne et sort. « Je ne reviendrai pas au Café lunaire. » (87)
==b) interprétative :
La neige, le lac immense et blanc du titre, « rend le monde illisible » (87). Elle l’appréhende et le comprend par le rêve ou la prémonition, par une sensibilité toujours incertaine.
« …je ne saurais répondre… je ne suis sûre de rien au fond, alors cela n’aurait aucun sens de répondre. » et encore plus loin : « de cela non plus, je ne suis pas sûre », en parlant des intentions d’un autre (12).
« Je me souviens d’une vague appréhension, la crainte que cet abandon soit l’annonce de futures déroutes. » (41) Voiture prise dans la neige, mai 68 à l’horizon qui « amorcerait l’insidieuse érosion de nos certitudes. » (41) Devant Jeanne Moreau jouant dans moderato Cantabile : « J’étais pourtant très jeune alors, mais je pressentais un monde peuplé d’ombres qui n’en finiraient pas de s’éloigner, de se multiplier avec le temps. » (79)
« Je pensais de plus en plus à lui comme à un personnage, sa disparition et ses apparitions créaient une sorte de fiction dans laquelle il devenait immortel… » (73) en parlant d’Antoine, fantôme qui traverse le roman.
« Si je tenais encore mon journal tardif, je n’écrirais rien de cette journée, elle m’échappe, prend sans cesse des chemins de traverse qui me perdent. » (85)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)
Narration homodiégétique, donc subjective : « Je divague entre le présent provisoire et tout ce blanc atemporel. » (17) Le passé envahissant se mêle au présent de la narration, brouille les frontières.