La dernière catégorie, Mémoire, veut mettre l’accent sur la manière dont la fiction contemporaine pose la question du rapport au passé individuel ou collectif, autant dans ses liens éventuels avec le présent que dans ses traces. Plutôt que le modèle d’une continuité causale des temps, la littérature d’aujourd’hui va privilégier ceux de la hantise ou de la rupture, selon que le passé impose sa présence fantomatique ou qu’il apparaisse comme une autre époque sans lien avec l’actuelle. Mais, qu’il envahisse spectralement le présent ou qu’il soit totalement dissocié de lui, il ne se pense plus selon les modalités d’une distance causale. En d’autres mots, la littérature élabore sur ce plan des régimes d’historicité complexes, à l’écart autant du présentisme que de l’enchaînement temporel. Elle s’emploie à penser des manières d’être dans le temps qui, de la surimpression à la dissolution compliquent les liens d’hier à aujourd’hui. En outre, de l’archive et la ruine aux aléas postmémoriels du souvenir se pose la question de la conservation de ce passé, entre son imperméabilité et sa destruction temporelles, quand il n’est pas phagocyté par le présent lui-même. Par ce biais, la littérature interroge la compartimentation des temps et œuvre à reconceptualiser cette étanchéité relative au profit de modalités où prévalent tantôt l’autonomie du présent et du passé, tantôt leur continuité immédiate. Quoi qu’il en soit, l’évidence comme la structure de ce rapport font l’objet d’importantes reformulations par quoi la fiction met en scène son savoir sur le temps. Bref, la littérature contemporaine déploie, plus qu’un savoir temporel hiéroglyphique, un savoir exempt de succession causale, où la relation entre le présent et le passé demande à être pensée selon des catégories autres (superposition, hétérogénéité, reformulation de l’un par l’autre, etc.). Elle propose ainsi des modèles multiples pour penser notre expérience du temps, en marge du présentisme. Moyennant un travail sur ses formes, elle élabore des régimes d’historicité complexes susceptibles de rendre compte de la pluralité des rapports que, comme individus ou communautés, nous entretenons avec un passé trop souvent pensé sur le seul mode d’une causalité qui ne suffit pas à exprimer la multiplicité de nos manières d’être dans le temps. C’est ainsi que la rationalité littéraire constitue ces objets que sont la communauté, l’événement, l’ontologie et la mémoire et, sur eux un savoir spécifiquement littéraire, disant quelque chose du fait humain à même une forme narrative travaillée en profondeur. Dans le même mouvement, elle affirme son statut de discours de savoir au prix d’une pratique intertextuelle et fictionnelle spécifique. Ce sont ces deux éléments (constitution d’un statut de discours de savoir, constitution d’objets de savoir et d’un savoir à leur propos) que nos analyses entendent mettre en lumière dans un vaste corpus contemporain à la fois conventionnel et numérique pour prendre une plus large mesure des métamorphoses formelles qu’implique cette rationalité. En dernier lieu, si le littéraire revendique le statut de discours de savoir, c’est bien aussi qu’il se prévaut d’un imaginaire du savoir spécifique, dont l’analyse devra également rendre compte. Car si la rationalité contemporaine peut, selon la littérature, s’exprimer aussi bien sous la forme d’une anecdote mettant en scène des personnages que sous celle d’une argumentation et d’une méthodologie, c’est bien que ce qu’on appelle savoir fait l’objet d’un remaniement conceptuel.
Nous recherchons ici des textes qui mettent en scène des personnages qui sont hantés par leur passé (spectre qui fait irruption dans le présent du personnage). Le rapport entre le présent et le passé sur le plan narratif doit être pris en compte ainsi que l'incohérence qu'il existe entre présent et passé. Les personnages ayant de la difficulté à se remémorer certaines choses ou qui ne feraient que ressasser de vieux souvenirs, par exemple, sont intéressants pour cette catégorie, ou encore si un personnage-narrateur-auteur tente de déterrer une mémoire perdue comme dans Dora Bruder de Modiano.