Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Oster, Christian
Titre : Rouler
Éditeur : Éditions de l'Olivier
Collection : -
Année : 2011
Éditions ultérieures :
Désignation générique : roman
Quatrième de couverture :
« J’ai pris le volant un jour d’été, à treize heures trente. »
On ne sait pas grand-chose des raisons qui poussent le narrateur à quitter Paris et à rouler en direction de Marseille, ville qui s’est imposée à lui comme un mot plus que comme une destination. Le seul besoin de fuir ? Ce serait trop simple. N’a-t-il pas plutôt l’intuition que c’est justement en s’en remettant au hasard que la vie peut enfin apporter du neuf ?
« La géographie n’a jamais été mon fort », apprendrons-nous plus loin. Avec ce road-novel d’un genre très particulier, Christian Oster signe l’un de ses romans les plus forts.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Partant de Paris en voiture, Jean choisit de se rendre à Marseille, attiré davantage le nom de la ville que par la ville elle-même, qu'il ne connaît d'ailleurs pas. Le prétexte de voyage, en fait, c'est le chemin à parcourir entre le départ et l'arrivée. En effet, Jean n'a pas d'itinéraire déterminé ; il décide de son chemin au fur et à mesure que la route se déploie devant lui, au gré des endroits qu'il traverse et des gens qu'il rencontre. Jean finit par révéler que, s'il a choisi de prendre la route, c'est parce qu'une femme qui l'a quitté est morte peu près. Cela explique sa recherche de solitude (même dans ses rapports avec les autres) , sa sorte d'apathie (j'y reviendrai) et son peu d'ardeur communicationnelle. Bref, il a l'air d'être en dépression. Après avoir, sans trop le vouloir, pris temporairement à son bord deux autostoppeurs bohèmes ainsi qu'une femme quittant son mari et son ancienne et vie, Jean aboutit dans un maison d'hôtes entre Arles et Marseille. C'est la première fois depuis le début de son périple qu'il s'immobilise géographiquement. L'impression qui ressort de cet arrêt, c'est que Jean ne tient pas tant que ça à arriver à Marseille, peut-être parce que s'il arrive à destination, il devra se poser d'autres questions encore plus insolubles que celles qu'il se pose au cours de son voyage, comme le laisse penser la citation suivante: « J'ai couvert une dizaine de longueurs, que j'ai comptées, et, dès la septième, j'avais retrouvé cette sensation d'ennui caractéristique de la nage dans un espace fermé, identique, j'imagine, à celle que font naître toutes les activités qui miment le déplacement, comme le vélo d'appartement, et où la conscience aiguë d'être privé de destination se combine avec celle, plus souterraine, que le temps n'y changera rien et que par conséquent, même quand il sera écoulé, selon la limite qu'on se sera fixée, on ne sera toujours arrivé nulle part. » (p. 121). Mais lorsqu'un autre habitant de de la maison d'hôtes fait une crise cardiaque, Jean accepte de suivre l'ambulance jusqu'à l'hôpital situé à… Marseille !
Thème(s) :
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Dès la lecture de la quatrième de couverture, on comprend que ce roman est pertinent pour le projet Personnage: la ville de Marseille “s’est imposée à lui comme un mot plus que comme une destination.” Déjà, les prises de décision du personnages semblent problématiques parce que peu réfléchies, ce qui suggère un certain défaut d'intention ou de motivation.
Appréciation globale : Excellamment bon. Et la couverture est jolie.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : Remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.
Le personnage de Jean erre un peu au hasard vers le Sud de la France parce qu'il a besoin de sentir que le monde autour de lui bouge, change. Ce sentiment que l'immobilité est intolérable semble provenir d'un événement traumatisant, soit la mort d'une femme qui, après l'avoir quitté, est décédée.
Peut-être est-ce aussi, comme l'extrait suivant le laisse penser, qu'il ne veut plus s'attacher à quoi que ce soit par crainte d'être à nouveau déçu, blessé :
Chez Paul et Claire : « mais ai-je besoin de dépaysement, ne suis-je pas assez dépaysé, déjà, n'ai-je pas mon compte de dépaysement, ne souhaité-je pas tout simplement me retrouver avec moi-même, me disais-je, dès lors que je ne m'arrête plus nulle part, désormais, et que je ne m'inflige plus mon poids à l'état de repos. Et je me voyais, de nouveau, reprendre la route […], faire en sorte que le décor autour de moi ne cesse plus de changer et de ne m'arrêter que par nécessité, que rien s'installe plus, à aucun moment, pas même l'apparence des choses. » (p. 51)
Jean peine à trouver du sens à son existence, il vit une sorte de perte de repères que l'on ne peut qu'imaginer - faute d'informations de sa part quant à ses sentiments - et qui le fait confusément avancer vers une destination au gré du hasard: « Ma pensée cependant vagabondait vers Paul, que j'imaginais […] prendre le genre d'option que j'avais prise en partant de Paris, rouler, finalement, rouler puisqu'il ne voyait pas quoi faire d'autre, et je me prenais à me demander combien on était comme ça, lancés au hasard sur des trajectoires absurdes. » (p. 65)
Rouler et se détacher du monde (pour se retrouver, peut-être ?) sont donc ses seules motivations. Sans repères et sans sens, toutefois, seulement mû par un besoin de déplacement, grande est la possibilité de se perdre ou de tourner à rond, ce qui arrive précisément à Jean lorsqu'il s'égare dans la forêt: « j'ai pensé fugitivement que je n'avais pas envie de retourner à la voiture, en fait, et que j'allais rester ici et me laisser pousser la barbe. Ça m'a passé. Je n'avais rien à faire ici plus qu'ailleurs. » (41)
b) interprétative :
Excentricité interprétative ou excès d'interprétation (qui dissimulerait une sorte de réflexe de protection, peut-être) : « J'ai trouvé Claire attirante, et je me suis dit que sous certaines conditions j'aurais pu coucher avec elle, mais, au vu desdites conditions, j'ai tout de suite renoncé à cette idée, qui était très physique. Je ne voyais pas l'intérêt de nouer une relation avec elle, qui aurait compliqué nos rapports. » (p. 70)
De plus, je ne sais trop comment l'expliquer, mais le personnage de Jean constate plutôt qu'il ressent. Par exemple : « J'ai relevé les jambes de mon pantalon, d'un air relativement détaché et, en leur tournant le dos, je me suis trempé les pieds. Je suis remonté sur la rive et la fille m'a souri en me demandant comment j'avais trouvé l'eau. Froide, ai-je dit. » (p. 24) Sans le dialogue, jamais on n'aurait su que l'eau était froide. L'extrait en soi ne suffit probablement pas pour bien saisir cet évitement de la sensation ; c'est surtout l'accumulation de tels passages qui donne l'impression que Jean prend souvent des détours pour exprimer ce qui, de sensation, devient une constatation presque objective. Un autre exemple dans la même lignée: au lieu de dire quelque chose comme “J'ai faim”, il écrit : « Je me suis réveillé avec une sensation de faim impressionnante » (p. 92).
Problèmes d'interprétation de la communication: Jean se met souvent à analyser (Geneviève parle d'ailleurs de sur-interprétation dans sa fiche de Sur la dune du même auteur) les conversations auxquelles il participe plutôt que de les meubler efficacement. Cependant, le dernier des deux prochains extrait le montre, ce n'est pas toujours entièrement de sa faute si la conversation tombe à plat, si la socialisation échoue. Plusieurs extraits, donc, que je trouve assez rigolos:
« J'ai supposé qu'ils me demandaient si j'étais croyant, […] et j'ai répondu que j'aurais bien aimé être croyant, mais que je cherchais pas trop non plus à l'être. Je ne faisais pas trop d'efforts dans ce sens. Lui non plus, et sa femme non plus, donc. Tout le monde y allait de ses aveux, dans ce domaine, en somme, en ce moment et dans cette chambre, mais ça ne suffisait pas, m'est-il apparu, pour créer une vraie complicité. Comme ils s'étaient confiés, toutefois, ils avaient l'air de me trouver sympathique. Moi, je ne pensais rien d'eux, nous n'avions ni eux ni moi les moyens de poursuivre une conversation sur Dieu » (p. 32)
« Vous allez pouvoir marcher ? A-t-il repris. Oui, ai-je dit. De toute façon je ne vais plus marcher beaucoup, ai-je poursuivi, j'ai marché pour vingt ans, là. Et puis je n'aime pas tellement ça. Il m'a fixé sans comprendre, le sourcil levé. Marcher sans but, ai-je expliqué. C'est trop lent. Ah oui, a-t-il dit, et nous nous sommes regardés comme si la conversation allait se poursuivre sur ce thème, mais il n'en a rien été, Paul ne m'a pas relancé et je me suis révélé incapable de broder. » (52)« Vous allez pouvoir marcher ? A-t-il repris. Oui, ai-je dit. De toute façon je ne vais plus marcher beaucoup, ai-je poursuivi, j'ai marché pour vingt ans, là. Et puis je n'aime pas tellement ça. Il m'a fixé sans comprendre, le sourcil levé. Marcher sans but, ai-je expliqué. C'est trop lent. Ah oui, a-t-il dit, et nous nous sommes regardés comme si la conversation allait se poursuivre sur ce thème, mais il n'en a rien été, Paul ne m'a pas relancé et je me suis révélé incapable de broder. » (p. 52)
Hélène et Fred Malebranche ont invité Jean à demeurer dans leur maison d'hôtes, mais Jean ne sait trop combien il peut ou va rester : « C'est elle, Agnès Jordan, donc, qui m'a demandé combien de temps j'allais rester. Hélène, elle, se taisait, et je me suis dit que, si [Fred] Malebranche ne posait pas de questions, sa femme, de son côté, était réservée ou peu liante. J'ai pensé que c'était embêtant quand on s'occupe de chambres d'hôte et j'ai répondu à Agnès Jordan que je ne savais pas exactement, tout en adressant à Hélène Malebranche un sourire embarrassé auquel elle a répondu par un sourire pas embarrassé du tout, comme si cette question ne la concernait pas. Agnès Jordan, elle, ne savait visiblement pas quoi faire de ma réponse, et Philippe Jordan ne venait pas à son secours, non plus que moi, du reste, qui aurais pu lui demander depuis combien de temps, eux, ils étaient là, mais, pour des raisons esthétiques, disons, ça me semblait presque impossible de lui retourner une question qui reprenait la plupart des mots que contenait la sienne. » (p. 98)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Très nombreux, les dialogues sont intégrés à la narration, comme ici: « évidemment ce que je lui avais confié concernant la femme dont j'avais parlé avait arrêté le temps ou […] désormais je le regardais passer sans le voir. Plus rien ne bouge, en fait, ai-je dit. Ségustat a hoché la tête. Et alors vous roulez, a-t-il finit par dire. » (p. 118-119)