Régis Jauffret, Promenade.
« Elle sentait qu’elle perdait peu à peu sa place dans la société, même à l’intérieur de son esprit elle vivait à l’écart comme une vagabonde à qui aucune porte ne s’ouvre plus depuis longtemps. […] son isolement était absolu. » (p. 12).
DÉSHUMANISATION
Dans Promenade, la protagoniste est complètement déshumanisée. Robotisée. Insensibilisée. Et bien sûr, déconnectée.
« Elle n’était plus réelle depuis longtemps, au fil du temps elle avait perdu son poids, son épaisseur de femme » (77)
Le récit est raconté par un narrateur omniscient qui désigne la protagoniste par le pronom « Elle ». On ne saura jamais son prénom. Ainsi, même si on a accès à ses pensées, on la sent distante et vide; le « elle » contribue à la déshumaniser à nos yeux. Cette continuelle désignation est froide et impersonnelle.
Elle fait et s’inflige des choses épouvantables, odieuses et incompréhensibles pour le lecteur. Elle ressent un profond mal-être. Elle est complètement étrangère à elle-même :
« On lui apportait de la nourriture, elle la mettait dans sa bouche et la mâchait avec autant d’indifférence que si ses dents avaient appartenu à la femme qui tenait la caisse ou au chien… » (46).
« Elle se sentait détachée de sa vie. La ville l’indifférait aussi. Elle était éloignée de tout. Naufragée sans être jamais partie » (49).
OUBLI DE SOI et ENNUI
Le personnage semble vouloir oublier qu’elle est en vie, s’absenter de tout, se distraire d’elle-même, de sa propre existence. Elle prend plaisir à imaginer sa mort sous toutes les coutures ou à imaginer celle des autres qu’elle croise dans le rue. Elle s’ennuie profondément. Elle préfère s’adonner à des actes sexuels complètement machinal et dégradant avec de purs inconnus plutôt que de se retrouver seule dans la foule ou chez elle.
ERRANCE
Elle erre sans fin et sans but. Elle circule pour passer le temps (25). Cette incessante circulation s’effectue sur deux plans : le plan physique, puisqu’elle marche au sens propre, et le plan mental, puisqu’elle voyage à travers la pensée : elle ne cesse d’imaginer de multiples versions de sa vie et de sa mort, de multiples possibilités et déclinaisons à la suite des événements, comme pour se désennuyer, se distraire, et s’échapper de sa vie réelle.
« Elle préférait encore marcher sans fin, cette forme nonchalante de suicide lui convenait. » (205).
ABSENCE D’INTENTIONNALITÉ
Paradoxalement, dans ses fabulations, elle se montre très volontaire, elle choisit d’orienter sa vie d’une façon ou d’une autre, elle est en contrôle… alors qu’en réalité, elle n’a aucune intentionnalité, ne démontre aucune volonté ni même aucun pouvoir-faire. Elle ne contrôle absolument rien, au contraire, elle prend plutôt le rôle passif de la victime qui est soumise aux événements, voire à elle-même, à son propre caractère, comme si elle n’avait pas le pouvoir de rien changer.
« Elle espérait que quelqu’un allait s’approcher, et l’emmener. Elle était faite pour être vécue par une autre volonté, elle n’avait pas le courage de décider à chaque instant de sa destination, de son sort » (p. 35).
SOLITUDE ABSOLUE
« La solitude était générale, totale, plombée, soudée de toutes parts comme un cercueil de zinc. » (113)