JOPECK, Sylvie, Le fait divers dans la littérature, Paris, Gallimard-Éducation, 2009, 128 p. (SH)
Définitions:
- “Nouvelle ponctuelle, concernant des faits non caractérisés par leur appartenance à un genre; fait de ce genre, souvent dans le domaine délictueux ou criminel (dans le contexte journalistique).” (Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française) (7)
- Le rédacteur chargé des faits divers (“nouvelles de toutes sortes qui courent le monde”) est celui qui rehausse la saveur d'un journal fade. Par conséquent, “s'il ne fait pas valoir un acte de dévouement, raconter [sic] avec détail un assassinat, décrire [sic] minutieusement une exécution, il est perdu.” (Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle) (8)
- Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision (1996):
- “Les faits divers, ce sont les faits qui font diversion. Les prestidigitateurs ont un principe élémentaire qui consiste à attirer l'attention sur autre chose que ce qu'ils font. Une part de l'action symbolique de la télévision, au niveau des informations par exemple, consiste à attirer l'attention sur des faits qui sont de nature à intéresser tout le monde, dont on peut dire qu'ils sont omnibus - c'est-à-dire pour tout le monde. Les faits omnibus sont des faits qui, comme on dit, ne doivent choquer personne, qui sont sans enjeu, qui ne divisent pas, qui font le consensus, qui intéressent tout le monde mais sur un mode tel qu'ils ne touchent à rien d'important. Le fait divers, c'est cette sorte de denrée élémentaire, rudimentaire, de l'information qui est très importante parce qu'elles intéresse tout le monde sans tirer à conséquence et qu'elle prend du temps, du temps qui pourrait être employé pour dire autre chose.” (111-112 (pages de l'ouvrage de Jopeck))
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L'origine antique du fait divers, puis la révolution de la presse de masse : p. 10
Divers (!)
Raconter sans preuves:
- “Le fait divers désigne en même temps un événement - témoin du malheur, des peurs et de la folie humaine - et le récit qui le médiatise et lui permet de se déployer dans l'imaginaire et d'exister dans les mémoires. Ce double aspect souligne l'importance de la miise en discours comme de la mise en récit. Il se définit par ce que l'on dit de l'événement, ce que l'on raconte à son sujet, par sa transmission. Il prend tout son sens dans un jeu de rapports et de combinaisons: entre le fait et le récit du fait, entre le médiateur et son propre message, entre le médiateur et le récepteur, entre le fait lui-même et son récepteur, entre les différents récepteurs possibles. Car transmettre un fait divers, c'est raconter sans preuves. À la différence du fait politique ou du fait historique qui ont besoin de la caution de la vérité, le fait divers existe hors de la preuve dans l'enchaînement discursif et narratif entre le fait, le médiateur et le récepteur. Le fait divers se développe hors de toute garantie scientifique, il se nourrit de la force de séduction de la parole, véritable machine à fantasmes. […] D'une certain façon, il appartient déjà au champ fictionnel et peur-être est-ce la raison pour laquelle il fascine les écrivains. […] Écrire sur le fait divers et à partir de lui se nourrit de la tension entre le rapport inattendu des choses et des êtres.” (11)
Brièveté: “Tant que le fait divers se cantonne à la rubrique des “chiens écrasés”, il relève de la concision et de la brièveté”, générant de fait des genres littéraires courts: poème, nouvelle, anecdote ou encore “nouvelle en trois lignes” de Félix Fénéon. (21)
Un révélateur paradoxal: “Le fait divers, par la monstruosité qu'il met au jour, sa violence ou son simple aspect inattendu, contrarie l'ordre social, familial, conjugal ou moral. Par définition, il relève ce qui s'oppose à la banalité du quotidien, à l'opinion dominante. Tout en bouleversant l'ordre social, il le révèle, il fait apparaître ses règles au moment même où il en transgresse les codes. En ce sens, il agit comme un paradoxe.” (23)
La loi de l'antithèse: “La tournure antithétique permet de donner plus d'impact à la formulation en la ramenant à des oppositions fondamentales […]. Le fait divers par sa formulation ramassée et totalisante se suffit à lui-même et donne plus d'intensité à l'expression de la négativité humaine.” (25)
p. 36 à 39: Tableau des différentes relations existant entre fait divers et littérature (le fait divers est traité totalement ou non, reste social et historique ou devient universel et mythique, vu du côté de la victime ou du bourreau, explicite ou implicite, etc.), et exemples.
“Le fait divers est un fournisseur inépuisable de destins individuels.” (52)
“Le roman réaliste accorde une place importante au temps. Le personnage de roman ne peut être individualisé que s'il est saisi dans une époque déterminée. Le fait divers garantit au romancier cette donnée temporelle, qu'il va transformer. Le fait divers à l'origine du roman de Patrick Modiano Dora Bruder prend toute sa force au regard de la date du journal dans lequel l'auteur l'a repéré.” (54)
“Le fait divers produit de l'histoire et de la narration pour trois raisons essentielles, son origine journalistique, sa structure fermée et sa finalité de médiatisation.”
En conclusion, l'auteure insiste sur l'autonomie du fait divers:
“La structure fermée du fait divers lui permet une transmission facile (voire une oralisation), du simple fait qu'il véhicule la totalité des éléments indispensables à sa compréhension. Il est saisissable de manière immédiate. Par ailleurs, il est facilement racontable car il propose un fait populaire, qui intéresse le plus grand nombre.” Voir sur ce point la définition de Bourdieu au début de la fiche. (111)