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ranx:24h_dans_la_vie_d_un_mort

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Jean-François Chassay

Titre : Sous pression : Tragédie potentielle annoncée en neuf tableaux, une prélude et une fin de journée

Éditeur : Boréal

Collection : aucun

Année : 2010

Éditions ultérieures : aucun

Désignation générique : roman

Quatrième de couverture : Un ami se présente à vous en déclarant qu’il a pris la décision de se suicider à minuit, le jour-même. Voilà votre ultime chance d’aller au bout. De l’amitié et des devoirs qu’elle vous impose. Au bout des raisons qui font que vous avez choisi de ne pas vous tuer et de continuer à vivre. Au bout de ce que la parole est capable d’exprimer. À partir de cette prémisse extrême, Jean-François Chassay compose un roman à la fois ludique et désespéré.

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre : Un homme dont la réussite professionnelle est l’inverse de la vie personnelle décide de se suicider. Néanmoins, avant de passer à l’acte, il annonce son choix à plusieurs de ses amis, qu’il rencontre et qui, à leur tour, tenteront de le démotiver en abordant l'importance de vivre et ce sous plusieurs angles. Au final, le protagoniste prend toutefois la décision de se tuer, comme l'indique la dernière phrase : “ […] et maintenant ? En effet : maintenant. Il y a des limites à tergiverser.”

Thème(s) : réflexions variées sur la vie et la mort

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Le suicidaire est une personne qui, ne pouvant plus se sentir bien dans le monde, est poussé par l'envie de mourir. On peut donc supposer qu'un tel personnage présenterait des signes de “je-m'en foutisme” : prêt à faire le grand départ à tout instant, il vaque et ère sans but. C'est également son incompréhension de l'existence qui le pousse vers ce désintérêt le plus total.

Appréciation globale : Un livre paradoxal, en ce sens où il traite du suicide tout en étant ludique. Le contraste entre les deux registres est parfois trop grand et on a alors un peu de difficulté à croire en la crédibilité des personnages secondaires, mais la lecture reste néanmoins, en bout de ligne, agréable. Un livre qui cadre assez bien dans le mandat du RANX.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle : remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc.

Le personnage est démotivé. L'envie de vivre l'a quitté et c'est ainsi que nous l'accompagnons lors de cette dernière journée où il a décidé de rencontrer plusieurs personnes (neuf) qui lui étaient importantes. Bien qu'il s'agisse là d'un engagement, il faut dire que c'est avec peu d'entrain que la démarche est entreprise.

Il est mis au clair que l'état d'esprit qui l'accable ne date pas d'un temps récent: cela est même presque incrusté dans sa personnalité:“Il ne pensait pas la mécanique réparable, même si ces moments où il croyait sa vie à jamais détruite, les mots embastillés ne parvenant plus à franchis ses lèvres, ne dataient pas d'hier.” (13) De simples choses pèsent sur lui comme des poids lourds, comme c'est le cas pour l'insomnie, qu'il ne tente même plus de combattre (26). Son leitmotiv va d'ailleurs dans le même sens : “Mais comme il l'affirmait toujours: on ne peut rien contre la connerie politique.” (18)

Son cas son montre néanmoins, au moment où se déroule l'action, encore pire qu'habituellement. Lorgnant la mince limite qui sépare la vie de la mort, ses mouvements sont mécaniques est irréfléchis. On dit de lui qu'il “[flotte] vers le nord, sans savoir où la journée le mènerait. Ses pas l'ont conduit trois coins de rue plus loin” (217). “[I]l s'est [également] lui-même abandonné à sa totale absence de souffrance, cet état vide qui le caractérise quand il pense à lui. Cette vacuité de sentiments, l'absence profonde d'une volonté d'exister ou de ne pas exister l'a frappé comme un mur de briques s'effondrant sur sa personne.” (222) On voit ainsi que le personnage ne semble pas avoir la moindre intention: ce serait plutôt son corps qui le ferait “flotter” et le “conduirait”. En fait, il est plongé dans le plus profond état “d'abandon”. Même son métier, qui pourtant est sa source de fierté, ne lui provoque plus que “des haussements d'épaules” (12). Ayant plus en commun avec la machine qu'avec l'humain, “il préférerait se penser comme un simple objet” (66).

“Une immense fatigue. Quelque chose entre l'être et le non-être, il se sent lui et pas lui, autre chose, un machin vivant bien que peu animé. Un escargot ou un nénuphar, qu'on peine à considérer comme du vivant. Une vie éphémère, juste une sorte de petite respiration qu'il assure.” (130)

On remarque toutefois la présence d'une intrigue - le personnage va-t-il se suicider ? - et d'un noeud - il entreprend finalement de plonger vers la mort. D'ailleurs, le récit débute sur une intention et action nette du protagoniste, c'est-à-dire rencontrer ses amis, et se clôt sur une seconde action, c'est-à-dire se suicider (et même là, il ère d'abord en souhaitant être tué accidentellement). Ainsi, ce n'est qu'en marchant vers la mort que le principal intéressé fait preuve de réalisation actionnelle. C'est justement pourquoi on dirait de lui “[qu']il ne savait plus imaginer la fin de quelque chose, seulement la fin de tout.” (108) Seulement cette issue le mène à réaliser quelque chose. Désincarné, les derniers efforts qu'il fait n'ont pas pour but la survie (il a d'ailleurs une réflexion sur le choix du mode suicide à la page 21).

b) interprétative : difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.

Le personnage, sans être complètement désorienté, peine à imprégner le monde: il est d'ailleurs ignoré de plusieurs. Son état s'explique par le fait qu'il est un mort en sursis: il se voit plus comme une pierre tombale que comme un humain (14) et c'est pourquoi il ne parvient pas à s'intégrer à ce monde qui n'est pas le sien. Pour lui, la vie est une maladie (28).

“Il ressent avec force, de manière impitoyable, la réalité qui l'entoure. Il la touche, en même temps elle s'étiole, devient poreuse. Ou encore, c'est comme si elle ralentissait à son contact. Le réel ralentit à mesure qu'il le sent avec plus d'acuité.” (130) Il a conscience de son environnement, mais celui-ci lui échappe partiellement : “Ce qu'elle disait, les mots, les phrases, il les entendait. Mais ils lui parvenaient sans avoir d'effet.” (48) Épuisé, son cerveau capte, mais ne décrypte et n'analyse plus. Rien ne semble avoir de réelle définition. En fin de vie, il ne parvient plus à faire aucune nuances (65).

Même dans ses meilleurs jours, il n'arrivait pas à prendre possession de ce qui l'entourant. D'abord parce que “En dehors de la physique et de la politique, beaucoup de choses lui échappaient.” (110) Chaque personne qu'il rencontre (ou presque) insiste sur le fait qu'il n'a que très peu de culture générale. On lui cite des auteurs, des cinéastes, des psychologues… et il n'en connait aucun. Le seul domaine où il est réellement à l'aise est celui de la physique. Sinon, tout ce qui touche plus l'humanité lui échappe: “Les vrais de vrais humains, t'y comprends rien.” (54) Socialement mésadapté, il n'a toujours fait que vivre en surface du monde, ne parvenant jamais réellement à comprendre ce et ceux qui l'entouraient: “Tu corresponds au modèle du solitaire, le genre de type incapable de comprendre les humains à l'état brut, de saisir ce qu'ils veulent. Tu ne sais pas décoder les signes. Tu les apprivoises longuement, les gens, tu les abordes vraiment très lentement, et encore.” (72)

Le héros ne parvient donc pas à donner du sens au monde puisque ledit monde lui a toujours échappé étant donné son flagrant manque de culture et d'altérité.

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)

La narration alterne entre périodes d’attente entre deux discours, appelées « intermèdes », et dialogues d’encouragement prononcé par l’entourage du personnage. Dans le premier cas, la narration est prise en charge par un narrateur semi-omniscient (il hésite quelquefois, mais connait assez bien l’état du protagoniste) alors que dans le second cas, il s’agit d’un dialogue qui ne va que dans une seule direction : on a parfois conscience que le personnage principal réagit aux propos puisque l’interlocuteur en fait mention, mais sinon il s’agit essentiellement d’un monologue (ami –> personnage). D’ailleurs, chacune de ces parties débute par « Écoute », ce qui illustre plutôt bien, pour ce deuxième type de narration, le peu de participation du héros.

ranx/24h_dans_la_vie_d_un_mort.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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