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ranx:un_homme_efface

FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Postel, Alexandre

Titre : Un homme effacé

Éditeur : Gallimard

Collection : Blanche

Année : 2013

Éditions ultérieures : -

Désignation générique : roman (couverture)

Quatrième de couverture :

Damien North est professeur de philosophie dans une université cossue. Veuf, il mène une vie triste et solitaire. Mais un jour, il est embarqué par la police qui l'accuse d'avoir téléchargé sur son ordinateur des images provenant d'un réseau pédophile… L'affaire fait grand bruit, d'autant que Damien est le petit-fils d'Axel North, figure politique historique.
L'inculpé a beau se savoir innocent, chacun se souvient d'un geste, d'une parole qui, interprétés à la lumière de la terrible accusation, deviennent autant de preuves à charge. Même une banale photo de sa nièce, unique enfant de son entourage, ouvre un gouffre d'horribles suppositions. Le terrible engrenage commence tout juste à se mettre en marche.
Alexandre Postel décrit avec acuité la farce des conventions sociales, les masques affables sous lesquels se cachent le pouvoir, la jalousie ou le désir de nuire – et les dérives inquiétantes d'une société fascinée par les images.

Alexandre Postel est né en 1982. Un homme effacé est son premier roman.

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre :

Honnêtement, la quatrième de couverture remplit très bien ce rôle. Ajoutons à cela que North, suivant les conseils de son avocat, plaide coupable et sera emprisonné pendant environ un an avant que le véritable coupable n'avoue son crime.

Thème(s) : Justice, culpabilité, pédophilie, université, relations de voisinage.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix :

Ce n'est certainement pas l'exemple le plus spectaculaire de notre corpus, mais tout de même le personnage principal du roman perd la maîtrise de son existence. Ça peut sembler banal pour un roman, mais Un homme effacé insiste tellement sur cette dépossession de soi qu'il mérite d'être considéré.

Appréciation globale : C'est en même temps bon et profondément frustrant. Et peut-être bon parce que frustrant. Frustrant, car on ne peut s'empêcher à plusieurs reprises de dire au personnage principal: Fais quelque chose, bon sang !, Ne te laisse pas faire comme ça !, Arrête d'être à la remorque des événements !, etc.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle :

Globalement, on peut dire que Damien North n'est pas quelqu'un de très proactif: il prend peu d'initiatives et, à part la philosophie et l'arbre de sa cour, il n'est animé d'aucune passion. À la page 133, il fait lui-même l'inventaire de ses réalisations au cours de sa vie ; cela ne fait que le déprimer davantage.

Sa décision de plaider coupable à un crime qu'il n'a pas commis est révélatrice de cette difficulté à s'imaginer le monde transformable. Il se voit déjà condamné et ne voit pas l'intérêt de se battre, de se défendre.
Ainsi, quand son avocat lui conseille fortement de plaider coupable, parce que même s’il le croit innocent (bien sûr…), les preuves sont accablantes, Damien North sent qu’il perd le contrôle de son existence : « North avait baissé la tête. Il sentait naître une sensation qui commençait à lui devenir familière : une irrespirable légèreté, comme si la part la plus vivante de lui-même, exilée par la peur ou le chagrin, se retirait peu à peu de son corps devenu pulpe inerte, coquille vide, souffle sans souffle. » (89)

La résolution du roman est, disons, partielle: North se fait à nouveau accuser (ses voisins affirment qu'ils observent la baignade des enfants des voisins depuis l'arbre de sa cour), mais un bon samaritain l'aide à se sortir de ce mauvais pas. Résultat mitigé, donc, mais une chose est sûre: Damien North ne pourra jamais s'en sortir seul.

b) interprétative : Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.

Le problème interprétatif de Damien North se développe sur deux axes. Premièrement, il ne comprend pas grand-chose aux conventions sociales. Lorsqu'il les comprend, c'est après avoir fait une gaffe, par exemple ses déclarations spontanées à la journaliste qui ne font que l'incriminer davantage (p. 61 et 66). En fait, ses relations avec les autres sont soit minimales (ses collègues, ses voisins ; les relations obligatoires, bref), soit laborieuses et conflictuelles.

Deuxièmement, North est passablement perturbé à sa sortie de prison. Il se remet continuellement en question et semble même craindre ce que cette histoire lui a appris à propos de lui. Après être sorti de prison : « Lui-même était à ses propres yeux un mystère, une énigme. Mais s’il était incapable de connaître, pourquoi attendait-il des autres qu’ils le comprennent ? Ils ne pouvaient rien pour lui. Ce n’était pas leur faute; simplement ils ne pouvaient rien. Entre eux et lui, il n’y aurait jamais rien d’évident. Monstre hier, aujourd’hui victime : tout ce qui avait changé, c’était la nature du malentendu. Mais le malentendu lui-même, le malentendu persisterait jusqu’à la fin des temps. » (207)

Damien North est de moins en moins convaincu de son inoffensivité, que son entourage semble prendre pour acquis depuis qu’il est sorti de prison : « L’évidence peu à peu s’imposa : c’était de lui-même qu’il se défilait. Il avait l’impression de ne plus se connaître. Et les autres ne le connaissaient pas mieux. Tu ne ferais pas de mal à une mouche : c’était faux. Il avait failli tuer un homme en prison. […] il était semblable aux autres : violeurs, pédophiles […]. Était-il un homme dangereux ? De quoi était-il capable ? Ces doutes s’alourdissaient de sa conscience qu’il avait d’incarner, aux yeux des autres, l’innocence absolue. On lui déniait toute aptitude au mal. Ayant subi une injustice, il était nécessairement blanc comme neige. Tu ne ferais pas de mal à une mouche. Poussé en sens inverse par une sorte de mouvement pendulaire, il sentait en lui des abîmes. Des cruautés oubliées lui revenaient en mémoire. Il se voyait dans un miroir d’infamie. » (217)

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

La grande majorité des éléments et des avancées de l'enquête sont présentées par l'intermédiaire d'articles de presse insérés dans le récit, comme pour accentuer l'impression que Damien North n'a absolument aucun contrôle sur la mécanique qui s'est enclenchée depuis son accusation.

À certains moments du récit, on en vient nous aussi à douter de l'innocence de Damien North. D'une part, les preuves sont réellement accablantes et, d'autre part, le personnage-narrateur lui-même devient de moins en moins attachant. C'est subtil comme transformation, mais on en vient à suspecter sa culpabilité et, donc, une narration non fiable.

VI - Extraits

En prison, il écrit dans son journal : « L’homme des temps préhistoriques ne laissait derrière lui aucune archive, mais pléthore de traces. Je ne laisse pour ainsi dire aucune trace, mais pléthore d’archives. Nous nous ressemblons, lui et moi, en ce que ni lui ni moi ne maîtrisons ce que nous laissons derrière nous. Ce qui fait de nous des proies. Les âges où nous sommes dépassés par la masse de ce que nous laissons derrière nous sont des âges de peur. Ce sont des âges où les hommes, tout absorbés qu’ils sont par la surabondance des signes – traces ou archives –, ne se parlent pas, ne se regardent pas, se connaissent moins qu’ils ne se traquent. » (149)

De retour chez lui, il n'aspire qu'à avoir la paix, seul: « Il s’imaginait vivant ainsi qu’un ours, un gros ours blanc, paisible et solitaire. Il en avait besoin. Il fallait tout recommencer, renaître à soi, reconquérir une liberté, des désirs, une vie. Les autres, il s’en occuperait plus tard. » (225)

ranx/un_homme_efface.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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