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ranx:la_television

FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Toussaint, Jean-Philippe

Titre : La télévision

Éditeur : Minuit

Collection : -

Année : 1997

Éditions ultérieures : -

Désignation générique : roman (couverture)

Quatrième de couverture : -

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre :

Un homme prend une année sabbatique pour se consacrer entièrement à l'écriture d'un essai sur le peintre Titien. Le roman raconte l'été qu'il passe à Berlin, loin de sa femme enceinte et de son enfant partis en vacances, à se préparer à écrire. Oui, vraiment, il passe l'été à se préparer à écrire son essai. Simultanément, il décide de cesser de regarder la télévision. Le roman constitue à la fois une description de son travail au quotidien (petits déjeuners studieux, piscines berlinoises, promenades dans les parcs) et, quoique dans une moindre mesure, une étude de son état d'esprit depuis qu'il a arrêté de regarder la télévision. Il doit de plus s'occuper des plantes que ses voisins lui ont confié pendant leurs vacances, mais, même s'ils lui ont laissé un horaire d'arrosage détaillé, il ne parvient pas à remplir cette délicate mission.

Thème(s) : télévision, peinture, procrastination, histoire de l'art.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix :

Appréciation globale : Lecture agréable, souvent drôle.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle :

Le narrateur et personnage principal de La télévision a de sérieuses difficultés avec la prise de décision. De prime abord, il semble particulièrement ardu pour lui de décider de choses en apparence bénignes, ayant peu de conséquences. L'exemple le plus patent est sans doute sa tentative de commencer à écrire son essai sur Titien Vecellio :
« Cela faisait trois semaines maintenant que j'essayais vainement de me mettre au travail. Dès le début, en vérité, dès le premier jour, quand je m'étais présenté pour la première fois dans mon bureau dans la magnifique lumière tamisée du lever du soleil et que j'avais mis mon ordinateur sous tension, je m'étais heurté à une petite question passablement complexe, que, plutôt que de résoudre dans l'heure avec la sûreté instinctive des décisions prises dans la chaleur du commencement, j'avais préféré soupeser et examiner longuement sous différents aspects, au point de me trouver assez vite complètement bloqué et incapable, ni de commencer, ni, à plus forte raison, de continuer. […] La petite question épineuse qui m'occupait ainsi l'esprit était tout simplement comment appeler le peintre dont j'allais parler, comment le nommer » (48-9).
S'ensuit une série de noms possibles du Titien, chacun étant accompagné d'un bref argument en sa faveur. Le narrateur ne peut toutefois trancher et ne fait même pas l'effort de le faire: une fois ses arguments présentés, il passe à autre chose, comme si cette question n'importait plus. Mais trois semaines plus tard, il avoue que ce « petit problème » qui lui occupe l'esprit par intermittence n'est toujours pas résolu et que d'ailleurs, et il se félicite de ce délai passé à réfléchir, à se promener dans les parcs, etc.:
« j'essayais de me consoler de ne pas encore avoir arrêté de choix définitif en pensant que, paradoxalement, c'est plutôt si je m'étais mis à écrire tout suite, sans me poser vraiment à fond la question du choix du nom, qu'on aurait pu me soupçonner de vouloir me dérober à l'effort pour me la couler douce à Berlin cet été, et qu'il y avait plutôt lieu de se réjouir, dans le fond, que, depuis bientôt trois semaines, par scrupules exagérés et souci d'exigence perfectionniste, je m'étais ainsi contenté de me disposer en permanence à écrire, sans jamais céder à la paresse de m'y mettre. » (115)
Cette inversion travail-paresse (le travail, c'est se balader au parc et se baigner au lac; la paresse serait de se mettre au travail) révèle clairement un problème d'intention: non seulement les actes qu'il pose ont l'effet inverse qu'il leur suppose (à moins que tout cela ne soit que de l'ironie de la part du narrateur, bien sûr), mais, surtout, son indécision maladive paralyse toute entreprise intellectuelle de sa part.

Il n'y a pas que prendre des décisions qui soit difficile; il y a aussi prendre des décisions en fonction d'un objectif, des décisions fondées, sensées, normales. Le roman commence justement par un constat qui suggère qu'une décision a été prise :
« J'ai arrêté de regarder la télévision. […] Je revois très bien le geste que j'ai accompli alors, un geste très simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s'allonge et qui appuie sur le bouton, l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je n'ai plus jamais regardé la télévision. » (7)
Certes, il a pris une décision : il a cessé de regarder la télévision, mais jamais il ne relie cette décision au fait d'avoir plus de temps pour écrire son essai et de pouvoir se concentrer plus facilement, ce qui aurait été, admettons-le, normal, voire louable. Au contraire :
Il raconte qu'avant il ne regardait pas souvent la télévision, qu'il n'en n'était pas dépendant. Mais : « Depuis quelques mois, cependant, j'avais constaté une très légère dérive [!!!] dans mon comportement. Je restais presque tous les après-midi à la maison, pas rasé et vêtu d'un vieux pull en laine des plus confortables, et je regardais la télévision pendant trois ou quatre heures d'affilée à moitié allongé dans le canapé, un peu comme un chat dans sa litière pour ce qui est des privautés que j'avais prises, les pieds nus et les mains sous les parties. Moi, quoi. ». (10)
« Je ne faisais rien, par ailleurs. Par ne rien faire, j'entends ne rien faire d'irréfléchi ou de contraint, ne rien faire de guidé par l'habitude ou la paresse. Par ne rien faire, j'entends ne faire que l'essentiel, penser, lire, écouter de la musique, faire l'amour, me promener, aller à la piscine, cueillir des champignons. Ne rien faire, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer un peu vite, exige méthode et discipline, ouverture d'esprit et concentration. » (11)
« Ainsi m'est-il donc apparu, tout occupé à ne rien faire, que je n'avais plus le temps de regarder la télévision. » (13)
Même que d'arrêter de regarder la télévision ressemble de plus en plus à un simple geste que rien ne motive plutôt qu'à une décision réfléchie:
« Et je me demandai alors pour quelles raisons, dans le fond, j'avais fini par arrêter de regarder la télévision. […] [S]i Delon m'avait posé la question cet après-midi, ou John, ce soir, au restaurant, j'aurais sans doute été bien incapable de répondre. C'est un faisceau de raisons, sans doute, qui était à l'origine de ma décision d'arrêter de regarder la télévision, toutes étant nécessaires, aucune n'étant suffisante, et il serait vain, je crois, de chercher une raison unique susceptible de pouvoir expliquer mon passage à l'acte. » (162-3)

Bref, les décisions que prend le personnage principal de La télévision entravent sérieusement ses actions. Plus souvent qu'autrement, il semble n'avoir aucune intentionnalité, c'est-à-dire qu'il ne vise aucun objectif en particulier (éteindre la télévision), ou bien, lorsqu'il a un objectif, il fait exactement le contraire de ce qu'il devrait faire: au lieu de se concentrer sur son essai, il passe son temps à divers passe-temps, ce qu'il appelle travailler ; au lieu d'arroser les plantes de ses voisins à partir du calendrier qu'ils lui ont laissé, il regarde les plantes mourir et essaie ensuite de les ressusciter, notamment en les mettant au réfrigérateur. Cette décision de mettre la fougère au réfrigérateur le forcera d'ailleurs à toutes sortes d'acrobaties farfelues pour éviter que les voisins en question ne soient horrifiés par son geste. Épique…

b) interprétative

Le personnage principal a aussi de la difficulté à imaginer ce que les autres pensent, à se mettre à la place des autres. Il interprète mal les propos et les gestes des autres, ce qui entrave passablement sa compréhension du monde qui l'entoure.

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

J'ai eu souvent l'impression, comme j'en ai brièvement parlé dans la section précédente, que les réflexions du narrateur sur son état en tant que personnage (voir entre autres les citations des pages 10 et 115) pourraient être ironiques, mais qu'auquel cas, et si on étend cette ironie à l'ensemble du roman, celle-ci pourrait venir en quelque sorte désamorcer les problèmes d'intentionnalité du personnage pour les réduire à une simple auto-dérision.

L'intrigue, minimale: le roman commence par le narrateur qui arrête de regarder la télévision et se termine par le narrateur qui regarde la télévision. Toutefois, la plupart des événements (parler de péripéties serait un peu ambitieux) concernaient plutôt l'écriture de l'essai sur Titien, qui ne sera évidemment jamais achevé. Bref, une bonne partie des actions décrites sont donc “sans importance”, au sens où elles n'ont pas vraiment de lien avec l'intrigue principale.

ranx/la_television.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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