Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Schreiber, Boris
Titre : L'excavatrice
Éditeur : le Cherche midi
Collection : -
Année : 2000
Éditions ultérieures : - (J'espère qu'il n'a jamais été et ne sera jamais réédité)
Désignation générique : roman
Quatrième de couverture :
« Une chose est certaine : je n'ai rien à dire. Comme tant d'autres, me dira-t-on, qui n'arrêtent pas de parler. Peut-être. Et qui, en outre, plastronnent et jargonnent. Pour initier un débat, pour générer une affaire… Sans doute. Tant de « jargonautes », partout ! Il n'empêche, je n'ai rien à dire. C'est pour cette raison que je commence un journal. Lorsqu'on n'a rien à dire, il faut un confident. Pour fermer la porte à la horde du vide qui veut entrer. Mais moi, je ne veux pas qu'elle entre. Pourtant ce serait une tentation de la laisser entrer, cette horde. Grâce à elle, devenir pareil aux autres, n'avoir rien à dire, comme eux, ouvertement, alors que moi, je veux n'avoir rien à dire, pas ouvertement. »
Ces lignes ouvrent mon roman. Non seulement je ne les renie pas, mais je persiste et signe. Je ne veux pas que l'Indifférence dévore ce qui m'est le plus cher : mes jours clairs, mes jours sombres. Elle qui se nourrit de tout, car l'oubli, la mort lui servent de transport en commun. Comment lui échapper ? C'est mon secret. Et la puissante excavatrice qui se dresse dans ce chantier qu'est notre vie, nous attend-elle pour nous broyer ou pour nous délivrer ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.
B. Schreiber
Boris Schreiber s'affirme, une fois de plus, comme le plus insolent, le plus déroutant, des écrivains contemporains.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Dans un journal intime - son “petit journal chéri” -, un misanthrope s'efforce de ne rien dire ou, en tout cas, d'en dire le moins possible. L'objectif de cette rétention d'information, selon lui, est d'échapper à l'Indifférence et aux sbires de celle-ci qui seraient à ses trousses. Que veut-il dire par cette “Indifférence” ? Je n'en sais rien, malgré qu'il répète au moins une fois par entrée de journal qu'il tente de passer sous son radar. Mais cette opération semble se compliquer avec l'avancée du journal, car il est de plus en plus difficile de ne rien dire: « On me dira : “Tu finis, comme tout le monde, comme nous tous, par la raconter, ton histoire. Et tu espères bel et bien qu’elle bouleversera. Or, on s’en fout ! L’Indifférence s’en est déjà emparée”» (p. 96). Enfin, une histoire moins qu'embryonnaire commence à prendre forme autour d'un hôpital où le misanthrope aurait séjourné et de sa femme avec laquelle il se serait - peut-être temporairement, c'est vague - séparé après qu'elle ait refusé de lui dire “Mon amour, tu ne mourras jamais”, parce que, selon ses dires, il veut y croire et qu'elle est la seule personne qu'il croit (p. 153).
Thème(s) : Écriture, ?
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Sorte de paroxysme de la déconnexion du personnage. Pas agréable à lire et je suis incapable de distinguer des types de rupture dans tout ça. Je ne suis pas certain que sa potentielle pertinence pèse plus lourd dans la balance que la rage qu'il fait naître chez le lecteur…
Appréciation globale : Ma haine de ce roman m'a conduit à en traiter dans le point précédent.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
J'imagine qu'il y a une rupture dans ce roman, car autrement un personnage ne pourrait agit ou penser ainsi. Toutefois, je suis incapable de définir cette rupture que j'avais identifiée, dans l'ancienne fiche, comme “narrative ?”. La lecture de ce roman a engendré trop de haine en moi pour espérer voir clair dans ce mess (mélange entre désordre et dégât qui convient parfaitement à L'excavatrice). Bref, voici en vrac toutes mes observations et toutes mes excuses pour le manque de cohérence (à mon tour):
Incipit du roman: “Une chose est certaine : je n'ai rien à dire. Comme tant d'autres, me dira-t-on, qui n'arrêtent pas de parler. Peut-être. Et qui, en outre, plastronnent et jargonnent. Pour initier un débat, pour générer une affaire… Sans doute. Tant de « jargonautes », partout ! Il n'empêche, je n'ai rien à dire. C'est pour cette raison que je commence un journal. Lorsqu'on n'a rien à dire, il faut un confident. Pour fermer la porte à la horde du vide qui veut entrer.” (p. 7)
On le voit, le narrateur s'astreint à produire un texte le plus vide possible, le plus éloigné possible d'un récit qui serait happé par l'Indifférence. Pour ce faire, il tente de donner aussi peu de contenu que possible à son journal: “lorsque moi – moi, celui qui n’a rien à dire – j’emploie des mots qui disent « les gens », qui disent « la Mort », il me semble donc que lorsque c’est moi qui les dis, ils ne disent plus rien. Donc, je suis rassuré. Donc, elle fonctionne parfaitement, ma réduction. L’Indifférence n’aura pas de prise sur mes mots. Ils sont trop aplatis, ils sont vidés dans la mesure où je me suis rempli de leur contenu. Ce sont des outres dont j’ai bu l’outrance. Je les aligne sans crainte, les dispose comme je veux dans mon petit journal chéri. » (p. 83) Le narrateur semble donc craindre, en transformant sa vie en récit, de perdre sa singularité au profit de l'Indifférence et c'est pourquoi il retiendrait avec autant d'acharnement la moindre information susceptible de l'identifier et répugnerait à quelque mise en intrigue que ce soit.
En effet, tout au long de son journal, le narrateur applique ou tente d'appliquer ce qu'il appelle sa technique de réduction, c'est-à-dire laisser filtrer le moins d'information possible afin d'échapper à l'Indifférence. Cette technique semble comprendre l'utilisation de jeux de mots douteux du genre “on a beau, nabot (j’adore les jeux de mots!), n’avoir rien à dire […]» (p. 11) et de nombreux dictons. expressions et proverbes en tous genres et toujours avec les mêmes formulations d'introduction et de conclusion, que j'indique ici en italique: « La preuve : est-ce qu’on ne dit pas : « Les paroles s’oublient, les récits restent « ? Si, on le dit. De sorte que… » (p. 109).
Par ces jeux sur la sonorité des mots et ces expressions tellement usitées que pratiquement dévidées de leur sens, on peut penser que le narrateur tente d'attirer l’attention sur la forme des mots plutôt que sur ce qu’ils pourraient éventuellement signifier. Il évite ainsi d'exprimer clairement ses sentiments, ce qui sert son but de dire sans rien dire pour éviter de “donner prise” (p. 184). En somme, si on se fie au schéma de la communication de Jakobson, le narrateur mettrait l'accent sur la fonction poétique plus que sur la fonction expressive.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Narrateur pas trop fiable et surtout désagréable: La volonté du narrateur d'échapper à l'Indifférence (l'ignoble Indiff., comme il la surnomme le plus souvent)) se manifeste par une certaine paranoïa : « Et la question brûlante de mon journal intime : dire ou ne pas dire en ce moment ? Ne pas le dire risque de grossir le non-dit, au point de m’en faire perdre le contrôle. Mais le dire risque d’alerter les sbires [de l'ignoble Indiff.], comme le moindre bobo attire les piranhas. » (p. 64). D'une part, de telles craintes envers l'Indifférence et ses sbires sont compulsivement répétées, comme dans un délire paranoïaque, le narrateur s'adresse fréquemment aux non-toc qui le prennent lui pour un toc-toc et il dialogue souvent avec “on”: “On me dira… Alors, je réponds…”, comme s'il entendait des voix dans sa tête, les voix du reste du monde. De plus, pour une raison que j'ignore et qui m'a rendu légèrement colérique, chaque entrée de journal de journal se termine par une phrase à peu près identique, sans la moindre explication : “Reste, bien sûr, cette question du Moi cosmique…” C'est enrageant !
D'autre part, le narrateur dissimule des informations. Non seulement il s'efforce de raconter le peu qu'il raconte de la manière la plus floue et ambiguë possible (“Quant au contenu de ce que je lance, je n’en dirai rien, car c’est un piège que l’on me tend pour savoir comment je m’y prends pour n’avoir à ce point rien à dire en le disant à ce point” (p. 74)) , mais il rend aussi les entrées de son journal de plus en plus imprécises. Par exemple, de la mention “20 juin” (p. 16), on passe à “Juillet”, à “Août, X heure” (p. 84: “Moi, je sais de quelle heure il s'agit:une heure qui me rassure. Cela dit, je ne veux pas qu'il soit dit que je la révélerai, cette heure.”), puis à “Septembre, sans heure” (p. 179). Il refuse aussi une bonne trentaine de fois de donner son nom et parle de sa femme en la désignant seulement comme elle.