I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Philippe Claudel
Titre : L’Enquête
Éditeur : Stock
Collection : –
Année : 2010
Éditions ultérieures : –
Désignation générique : Roman (sur la couverture)
Quatrième de couverture :
« Nous traversons des temps difficiles, vous n'êtes pas sans le savoir. Très difficiles. Qui pourrait prévoir ce que nous allons devenir, vous, moi, la planète…? Rien n'est simple. Un peu d'eau? Non? Comme vous voulez. Après tout, si vous permettez, je peux bien me confier à vous, à mon poste, on est bien seul, terriblement seul, et vous êtes une sorte de médecin, n'est-ce pas? -Pas vraiment…, murmura l'Enquêteur. -Allez, ne soyez pas si modeste!“ reprit le Responsable en lui tapant sur la cuisse. Puis il inspira longuement, ferma les yeux, expira l'air, rouvrit les yeux. “Rappelez-moi le but exact de votre visite? -A vrai dire, ce n'est pas vraiment une visite. Je dois enquêter sur les suicides qui ont touché l'Entreprise. -Les suicides? Première nouvelle… On me les aura sans doute cachés. Mes collaborateurs savent qu'ils ne faut pas me contrarier. Des suicides, pensez donc, si j'avais été au courant, Dieu seul sait ce que j'aurais pu faire! Des suicides? »
Philippe Claudel, né en 1962, est notamment l’auteur des Âmes grises (Stock, 2003) de La petite fille de Monsieur Linh (Stock, 2005), du Rapport de Brodeck (Stock, 2007), romans couronnés de nombreux prix littéraires et traduits dans le monde entier. Nominé deux fois aux Golden Globes, son premier film, Il y a longtemps que je t’aime, avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein, a remporté le Bafta du meilleur film étranger, deux César, et a connu une grande carrière internationale.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
L’Enquêteur, un homme petit, rond et un peu chauve, « sitôt vu, sitôt oublié » (p. 11) est envoyé par son employeur dans une ville anonyme. Il est chargé d’enquêter sur une vague de suicides survenus dans la mystérieuse et tentaculaire Entreprise. Or, là-bas, personne ne semble attendre l’Enquêteur : on ne le laisse pas entrer dans l’enceinte du bâtiment et l’Enquêteur se trouve forcé à errer des heures pour se trouver un hôtel, minable et étrange, tenu par une Géante. Le lendemain, l’hôtel, qui semblait désert et éloigné du Poste de Garde, se révèle rempli de Touristes et situé à quelques mètres du poste, où on l’accueille cordialement… Alors que les faits bizarres s’accumulent, l’Enquêteur a de plus en plus l’impression de sombrer dans un cauchemar. Les gens d’abord sympathiques – comme le Policier – deviennent soudainement hostiles, on ne le laisse pas manger, la documentation qu’on lui fournit à l’Entreprise est sans ni tête, il a froid, puis chaud, son Guide disparaît et il se retrouve, seul, dans une salle d’attente immaculée… Après une série d’épisodes absurdes, l’Enquêteur – incapable de commencer son enquête – fini dans le désert, sous un soleil brûlant, entouré de conteneurs dans lesquels sont enfermés des centaines – voir des milliers – d’hommes qui revendiquent tous la même identité : ils sont l’Enquêteur. Seule l’Ombre parvient à faire taire les voix qui harcèlent l’Enquêteur, qui reconnaît tout de suite le vieil homme : il est le Fondateur, celui dont le portrait est affiché partout sur les murs de l’Entreprise. Peut-être l’Enquêteur a-t-il, sans le savoir, mené à bien son enquête finalement…
Thème(s) : absurde, enquête, solitude, individualité
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Le premier point d’intérêt du roman est que tous les personnages sont désignés par leur fonction (l’Enquêteur, le Policier, le Serveur, etc.). (p. 58 : « Mais n’ayez pas peur voyons ! Je suis le Policier, pas l’Assassin! Chacun son rôle! Le vôtre, c’est bien d’être l’Enquêteur, non? »). Conscients de leur rôle au sein du récit, les personnages se limitent à remplir cette fonction qui leur a été attribuée. Le protagoniste aussi ne dépasse pas les limites de sa fonction, ce qui laisse présager des problèmes d’intentionnalité certainement intéressants. La configuration narrative ne semble pas particulièrement intéressante par contre…
Appréciation globale : Le roman est divertissant, quoiqu’un peu angoissant à la longue. La fin m’a toutefois laissée sur ma faim (!), puisque le personnage fini par se dissoudre (littéralement) sans donner sens au monde qui l’entoure…
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : - remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation) : le personnage est chargé d’une mission par son patron, et il se doit de la remplir car c’est sa fonction. C’est le fait que toutes les actions des personnages reposent sur leur devoir de remplir le rôle qui leur a été attribué qui laisse penser qu’ils sont dépourvus d’intention. Tout le roman, et la fin en particulier (le texte se termine par « Il crut entendre un faible son, comme celui que fait l’écran d’un ordinateur portable qu’on rabat sur le clavier aux touches encore tiédies par les doigts qui les ont pendant si longtemps effleurées », p. 278) suggère une puissance – un « maître du jeu » (p. 29) qui ordonne le monde et permet le succès de l’Entreprise.
- difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable) : à quelques reprises seulement dans le texte. Le monde dans lequel le personnage est introduit semble soumis à des lois tellement rigides et inexplicables que l’Enquêteur ne s’imagine pas le changer. Il conçoit tout de même le fait de pouvoir réussir à agir malgré ce monde (p. 75), mais n’y arrive pas.
b) interprétative : - énigmaticité et/ou illisibilité du monde : le monde est tellement changeant que le personnage est incapable de le comprendre; alors qu’il croit avoir saisi le fonctionnement de l’Entreprise, ou la personnalité de quelqu’un, les choses changent et son interprétation devient caduque. De plus, personne ne prend le temps de lui expliquer quoi que ce soit; c’est lui qui paraît étrange, non adapté au monde.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES Validation du cas au point de vue narratif/poétique (voix, fiabilité du narrateur, registres fictionnels, temporels, type de configuration narrative, etc.)
Mis à part les ellipses dans le récit, le roman ne présente pas de particularités poétiques très remarquables (narration hétérodiégétique, chronologique, etc.). On y retrouve des dialogues absurdes, mais livrés de façon traditionnelle. Le caractère métadiscursif, bien mis en évidence, laisse croire à une narration auctoriale, mais aucun indice assez explicite ne me permet de l’affirmer…