Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Carpentier, André
Titre : Gésu Retard
Éditeur : Boréal
Collection : -
Année : 1999
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : Roman (couverture)
Quatrième de couverture :
« Abandonné enfant dans les poubelles des sœurs de la Charité de Québec par une fille à marins, Gésu Retard, né un 26 décembre, autrefois professeur de géographie au secondaire et maître ès canulars, vit aujourd’hui sur le Plateau Mont-Royal, sous son casque et ses lunettes d’aviateur de la Première Guerre mondiale, en original un peu détraqué qui n’aime rien tant qu’agir en critique de tout et de rien. Gésu est membre du réseau Spek, mouvement poétique international dont la vocation consiste à épier la banalité coutumière, autour de soi et en soi, et d’en témoigner par des haïkus diffusés anonymement auprès de membres locaux du Réseau. Or, un jour, Gésu accueille chez lui un célèbre mathématicien antillais, Washington Desnombres, membre bostonien du mouvement Spek, dont il ne sait guère rien et qui disparaît aussitôt arrivé. Séduit et intrigué par cet homme venu lui imposer le mystère de sa disparition, Gésu part à sa recherche sur le Plateau, qu’il sillonne à bicyclette, car pour lui il n’est rien de tel que ces flâneries sur deux roues. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Gésu Retard (c'est son nom !) est une sorte de marginal, tête en l'air, mais inoffensif qui se promène, affublé d'une érection permanente, sur le Plateau Mont-Royal. Le plus souvent, il erre à vélo avec un casque et des lunettes d'aviateur de la Première Guerre mondiale, ainsi qu'un gros sifflet de marin accroché au cou, afin de se faire reconnaître de son père - un matelot qu'il n'a jamais connu - au cas où il le croiserait. Ancien spécialiste en canulars, Gésu est aussi passionné par les haïkus et fait partie du réseau Spek, « mouvement poétique international dont la vocation consiste à épier la banalité coutumière, autour de soi et en soi, et d'en témoigner par des haïkus diffusés anonymement auprès de membres locaux du Réseau ». C'est justement par l'intermédiaire de ce réseau de haïkus que Washington Desnombres, un éminent mathématicien de Chicago, s'amène chez Gésu pour y habiter. Toutefois, le mystérieux Desnombres disparaît rapidement en laissant derrière lui une ébauche de chasse au trésor, ce qui pousse Gésu à enquêter au mieux de ses capacités… Il est cependant troublé par l'arrivée de la magnifique femme de Desnombres qui vient tenter mollement de retrouver son mari. Gésu finit par être mis en état d'arrestation (il faut dire qu'il ne se disculpe pas très efficacement) et accusé d'être la cause de la disparition du mathématicien. Grâce à divers indices plus qu'énigmatiques, Gésu réussit enfin à indiquer à la police où se trouve le cadavre de Desnombres et part ensuite pour Québec en laissant entrevoir confusément le début d'une renaissance à travers une réconciliation avec son passé familial tourmenté.
Thème(s) : Marginalité, famille, enquête policière, haïkus.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Gésu Retard est un personnage que la volonté de se singulariser a poussé dans les plus étranges racoins de la marginalité. La description que fait Tino Mongras de Gésu dans le Liminaire est éloquente à cet égard:
“Gésu Retard était un être diffus, plutôt imprévisible, chez qui tout paraissait extrême, un fou de randonnée à bicyclette, un fouineur qui effrayait les enfants et attirait sur lui la suspicion plutôt que l'affection, un itinérant de cœur, un marginal par la force des choses ; seul toujours parce que trop épuisant pour les autres et trop éreinté par tous pour frayer. Pour si asocial qu'il fût, cependant, il n'en fréquenta pas moins, et avec ferveur, le méandre des rues, des parcs et des places. Il vécut parmi tous, bien qu'à l'écart de chacun, seul avec ce qu'il aimait. Pour lui, vivre en société comptait autant comme cela importait peu.”
De plus, ses décisions comme ses actions semblent pour la plupart incohérentes et peu appropriées ou efficaces.
Appréciation globale : Le mélange entre un personnage principal sans queue ni tête et une enquête policière est, à mon avis, douteux. Comme si le contraste entre l'extravagance de l'un et la banalité de l'autre (tellement l'enquête policière est un classique du roman) empêchait d'adhérer à la fiction, de prendre plaisir à la lecture…
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : Ce qui est le plus évident quand on regarde évoluer Gésu, c'est qu'il ne pense pas comme les autres gens, c'est-à-dire normalement. De par son esprit décalé, il est en rupture quasi perpétuelle avec le reste du monde. Par exemple, il se consacre depuis plusieurs années à une encyclopédie des bruits quotidiens de la vie occidentale, qui le pousse à enregistrer divers sons qu'il joint à des photos. Œuvre inachevée et inachevable, il la mène pourtant avec une énergie surprenante qui contraste vivement avec son absence de motivation pour les trucs plus concrets et terre-à-terre.
Gésu a également besoin de noter tout ce qu'il fait et tout ce qui lui arrive (d'où les dictées), car, selon ses dires, sa mémoire est incapable d'enregistrer des informations plus d'une journée ou deux. (Bien que Gésu Retard semble avoir peu d’affinités avec Dondog de Volodine, peut-être y a-t-il tout de même un lien étant donné les deux héros amnésiques.) Disons simplement que c’est un peu handicapant pour un personnage et que ça compromet sa capacité à mener à bien des actions, à s’inscrire dans le temps.
Enfin, à ma grande surprise, le roman contient une certaine résolution. En effet, Gésu semble confusément renouer avec son passé, mais ça fait un peu « il nous faut à tout prix un happy end ».
b) interprétative : Gésu se décrit lui-même ainsi: « Ils ont dû me prendre pour ce que je suis, un de ces hippies d’autrefois qui ont cru à un monde meilleur et qu’ils méprisent tant, ou pour ce que je ne suis pas, un de ces artistes diplômés qui tournent autour de ce spectacle qui les dispense d’assumer eux-mêmes leur révolte, et ils m’ont renvoyé une seconde fois, comme on éconduit un grand frère agaçant. (112) ». En somme, Gésu refuserait de voir le monde tel qu’il est vraiment et ses différentes excentricités seraient un moyen d’échapper à une société qu’il déteste et dans laquelle il ne se retrouve pas – ou plus.
Globalement, il est difficile de cerner la rupture de Gésu puisque le roman ne raconte pas vraiment l’évolution du personnage vers la rupture. Au contraire, dès le début, Gésu est déjà un marginal et ne le deviendra ni plus ni moins au courant du récit, même si, vers la fin, il semble renouer d'une manière nébuleuse avec ses origines. Tout ça pour dire qu'on ne connaît pas vraiment l'origine exacte de la rupture du personnage, mais que celle-ci est manifeste et provient sûrement de lui-même et de son irrépressible volonté de singularité. Bref, comme le dit Mongras, il pourrait simplement être un de “ces originaux et détraqués, comme il s'en trouve aux abords de tous les quartiers latins du monde, ces solitaires qui ne pensent ni ne font rien comme la majorité” (10-11).
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
À l'exception du “Liminaire”, écrit à la première personne par Tino Mongras , un ami de Gésu qui affirme publier dix ans plus tard les textes que celui-ci lui a envoyés, le roman est divisé en 17 “dictées” dans lesquelles Gésu raconte à la première personne ses péripéties. Évidemment, on ne prend pas pour acquis tout ce qu’affirme Gésu comme narrateur étant donnée sa bizarrerie. Toutefois, il n’est pas un narrateur retors, il n’essaie pas de leurrer le lecteur par ses propos pas toujours cohérents ; il est seulement très très bizarre…