Notice bibliographique : BREBEL, Sébastien, Villa Bunker, Paris, P.O.L., 2009, 151 p.
Je laisse l'ancienne fiche, au moins pour l'instant, puisque je ne me souviens pas assez de ce roman pour évaluer sa véritable pertinente et refondre la fiche de lecture…
Résumé de l’œuvre :
Le père et la mère du narrateur emménagent dans une villa située au sommet d'une falaise au bord de la mer. Ils désenchantent toutefois assez rapidement: la villa est tellement austère et dépourvue d'ornementation qu'elle ressemble à une prison, elle est en bien mauvais état et il est impossible d'en faire le tour puisqu'elle semble prendre sans cesse de l'expansion tout étant labyrinthique. Les parents du narrateur vivent dans l'illusion qu'ils pourront mener à bien des travaux de réfection et ainsi s'approprier véritablement la maison, mais cela s'avère bien vite impossible. La villa se révèle inhabitable puisqu'ils ne parviennent pas à avoir d'elle une image stable, la villa se métamorphosant de jour en jour (des pièces apparaissent et disparaissent, des portes sont un jour condamnées, le lendemain s'ouvrent toutes seules) et même de pièce en pièce (l'une est tropicale, l'autre est glaciale, l'une est meublée comme si elle était habitée, l'autre vide et poussiéreuse). Après avoir photographiés les moindres recoins de la villa et avoir laissé les photos traîner un peu partout, le père s'enferme dans la tour, à laquelle il accède par un escalier secret, perdant alors contact avec la mère qui écrit compulsivement des lettres à son fils où elle raconte leur vie à la villa, lettres que ce dernier reçoit, mais qu'il ne lit pas. Plus tard, la mère trouve un “petit être” dans la villa. Elle entreprend de lui raconter sa vie, de lui parler, lui parler et encore lui parler, comme elle pourrait le faire pour un enfant, jusqu'à ce que le “petit être” aussi se mette à lui parler une langue étrangère. Enfin, le narrateur termine son récit en affirmant que sa mère “devrait se dire que la villa n'existe pas, […] il n'y a pas de chambres, pas de couloirs, l'enfant trouvé n'a jamais existé que dans son imagination, et mon père non plus ne l'attend pas, mon père l'a quittée depuis des années, c'est devenu un parfait étranger qui vit avec une autre femme, il est impossible pour elle d'entrer en contact avec lui, il ne répond plus au téléphone et l'évite dans la rue. Il ne lui confie plus de photos à faire développer, il se fait de plus en plus en plus rare. Il ne dit plus rien. Elle entend son pas irrité au-dessus de sa tête.” (p. 151). Quant au narrateur, une des seules choses que l'on sait à son propos, c'est qu'enfant il détestait la musique et qu'il tente depuis dix ans d'écrire une thèse sur Foucault mais sans succès.
Narration : extradiégétique, homodiégétique...
Explication : Le narrateur est le fils. Il affirme raconter la vie de ses parents à la villa grâce aux nombreuses lettres que sa mère lui envoie. Or, il avoue lui-même ne pas ouvrir ses lettres: “C'était la énième lettre qu'elle rédigeait à mon intention, je ne répondais jamais à ses lettres, opposant une fin de non-recevoir calme et régulière à ses nombreuses tentatives pour entrer en contact avec moi, je ne daignais pas plus les ouvrir, me contentant de vérifier négligemment l'écriture sur l'enveloppe et jetant tout aussi négligemment la lettre au panier […]” (113-114). Sa narration, impossible, attire forcément l'attention sur la fictionnalité du récit et remet en cause le moindre de ses propos: ses parents ont-ils emménagé dans une villa ? Sont-ils toujours en couple (voir citation du résumé) ?… De plus, le récit est divisé en 133 fragments/paragraphes numérotés.
Personnage(s) en rupture : ça dépend de la manière dont on comprend le roman...
1. Si on prend en considération la dernière page du roman, qui remet en question l'ensemble du récit, seule la mère est déconnectée du monde puisqu'elle s'est inventée une vie avec son mari qui l'a en réalité quittée.
2. Si on considère la dernière page comme une élucubration du narrateur, la rupture affecte plutôt les deux membres du couple, qui n'ont plus de relation l'un avec l'autre ni avec l'extérieur.
3. Si le narrateur dit vrai et qu'il n'a jamais lu une seule des lettres que sa mère lui envoie, eh bien il est même le seul à être en rupture, vivant coupé de la société, mais on dispose de très peu d'information à son sujet.
A) Nature de la rupture : Interprétative
Explication : Il me semble, de façon très vague (j'ai un peu peiné sur ce roman…), que la villa vient en quelque sorte révéler ou exacerber les problèmes de communication dont souffre chacun des membres de cette trinité familiale. Par exemple, le narrateur écrit: “Un jour nous ne reconnaissons plus nos parents, nous savons qu'ils sont nos parents, mais nous avons toutes les difficultés pour nous convaincre que ces deux êtres devenus imprévisibles et inquiétants à force d'étrangeté sont effectivement nos parents, et nous avons beau faire et nous répéter que nos parents sont parfaitement libres de faire ce qu'ils veulent, nous nous mettons à craindre qu'ils se soient lancés dans une entreprise radicale et suicidaire et nous redoutons de voir nos craintes confirmées à chaque instant. Nous nous disons alors que nous ne comprenons plus rien à nos parents, nous nous disons que nous ne comprenons plus rien à leurs agissements et que nous ne sommes pas en mesure de deviner les mobiles de leurs actes, nous regardons nos parents agir et nous déplorons le caractère arbitraire et absurde de leurs faits et gestes.” (p. 19-20)
B) Origine de la rupture : ?
Explication : ?
C) Manifestations : volitives (parents) et langagières (fils)
Volitive: Dès que les parents prennent conscience de “l'inhabitabilité” de la villa, toute volonté semble les quitter: l'homme s'enferme dans la tour, la femme s'essaie un temps à la botanique puis renonce et erre autour du salon de réception.
Langagières: Le narrateur a séparé son récit en 133 fragments/paragraphes numérotés et, le plus souvent, fait un usage très très modéré des pronoms de remplacement, ce qui donne des phrases du genre: “Nous achetons une maison, nous savons que dans son état actuel cette maison ne convient pas, mais nous avons bon espoir de remettre cette maison en état et d'aménager cette maison à notre goût.” (p.41) Puisqu'il ne peut terminer sa thèse sur Foucault, peut-être par excès de dissipation mentale (on n'en sait rien, en réalité, j'extrapole), ces deux éléments peuvent laisser croire que le narrateur tente de s'astreindre à son récit, d'être le plus neutre possible en posant un regard presque scientifique pour s'empêcher de partir en vrille. C'est un peu contradictoire avec le fait que son récit, à l'en croire, est inventé…
D) Objets : Projets qui ne se forment pas ou n'aboutissent pas
Explication : La mère et surtout le père sont incapables d'entreprendre des rénovations dans la villa. Le père s'enferme dans la tour, soi-disant pour avoir une vue d'ensemble sur la maison et y examiner des plans, mais il n'en redescend pratiquement jamais.
Le fils, quant à lui, à entrepris la rédaction d'une thèse sur Michel Foucault une dizaine d'années plus tôt, mais il se dit incapable de l'achever : “une thèse qui était devenue avec le temps une obsession monopolisant tout mon temps et toute mon intelligence (en effet), une obsession qui avait éteint toute curiosité et tout intérêt pour ce qui échappait à la sphère de mes préoccupations philosophiques, une idée fixe qui avait fini par tuer toute sympathie pour le monde et qui m'avait finalement coupé du monde, qui m'avait rendu indifférent à tout en effet, y compris et surtout à moi-même, incapable que j'étais de m'intéresser désormais à autre chose qu'à Foucault” (p. 114-115).
E) Manifestations spatiales : lieux labyrinthiques et étrangers
Lieux représentés : la villa est représentée comme une sorte d'univers en perpétuelle expansion et en qui ne cesse de se métamorphoser : de nouvelles pièces apparaissent, certaines qui semblaient vides paraissent plus tard habitées, d'autres semblent posséder un tempérament autonome, une saison propre. De manière générale, la villa semble inhabitable parce que trop grande, inquiétante, à l'architecture délirante et aberrante, et elle ne correspond pas aux plans dont le couple dispose, ce qui conduit finalement l'homme et la femme à s'exiler chacun dans une partie de la maison, lui dans la tour, elle dans le salon de réception.