I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Marie Lefebvre
Titre : Flou
Éditeur : Leméac
Année : 2014
Désignation générique : Roman
Quatrième de couverture : «Francesca a sauté. Mais avant, elle a certainement aperçu sur la vitre, en s’en approchant à une vitesse impressionnante, à une vitesse meurtrière, son propre reflet en train de grossir : le reflet de ses jambes musclées, de ses seins balancés par le mouvement de la course. Oui, Francesca a certainement aperçu le reflet de son visage déformé par la peur et la douleur, par la détermination. Et pendant ce temps, quelques secondes à peine, pendant ce temps, depuis toujours, la vitre laissait voir le monde extérieur : les escaliers de métal, les édifices en brique, le gris poudreux, déprimant du ciel urbain.
Librement inspiré de la vie de Francesca Woodman, cette artiste disparue prématurément, Flou est une création unique, inclassable; le récit de la rencontre fulgurante entre une écrivaine et une photographie poétique, surréelle; l’histoire d’un destin tragique, d’une existence trop courte, mais qui continue pourtant de résonner à l’infini. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre : Francesca se défenestre. Mais pourquoi? C’est ce que tente de comprendre sa sœur, née après sa naissance, même s’il n’y a peut-être rien à comprendre. Nous suivons Francesca, lorsqu’elle était très jeune et un peu à l’écart des autres. Puis, son anorexie débutée à l’adolescence, ses expériences traumatiques avec des hommes plus âgés qu’elle. Son isolement, son temps passé dans son lit à ne rien faire. Elle décide de devenir photographe. Une femme très belle l’obsède : elle la prend en photo. Entre quelques voyages à Rome, elle rencontre David, qu’elle désire posséder. Ce dernier s’intéresse à sa colocataire, mais Francesca vit tout de même une histoire d’amour avec lui. Avec d’autres aussi, mais il semble que David soit le plus important. Elle se lie d’amitié avec Rose et quelques autres filles. Incapable d’atteindre ce qu’elle veut atteindre, Francesca se suicide. Voulait-elle disparaître du monde? Le transcender par son art? Impossible de saisir la véritable nature de son acte. Sa sœur admet qu’un homme en est peut-être la cause, mais il est certain que l’existence est ridicule et que nous sommes déjà morts…
Thème(s) : Orange (le fruit), photographie, anorexie, figure paternelle, désir de disparaître, hommes, mode, création, suicide, l’âge, la mort.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Le titre du roman est prometteur. De plus, les premières pages nous plongent dans la jeunesse de Francesca : il s’agit d’une petite fille déphasée qui tend à disparaître…
Appréciation globale : Intéressant. Le personnage de Francesca est intéressant. Le roman se lit rapidement et il me reste une étrange impression d’avoir la vie et les étranges aspirations du personnage imprimés sur la rétine. Mais pour la forme, j’ai moins aimé.
IV – TYPE DE RUPTURE
A) Rupture actionnelle : Le véritable but de Francesca est assez flou, mais il semble qu’elle tende à disparaître, à se fondre dans le monde comme un fantôme. La photographie lui permet de faire de la réalité ce qu’elle veut… pendant un temps. Sauf que la jeune artiste désire quelque chose d’impossible, d’intangible. Il est impossible de deviner quoi, exactement. Dans tous les cas, elle échoue et se suicide. Mais qu’attendait-elle de la vie, au juste? Comment voulait-elle s’y inscrire? Un vide l’assaille sans cesse. «S’il faut qu’elle soit regardée, elle se fera disparaître. Voilà. Devenir grise, puis transparente.» (p.20)
«Elle a compris qu’elle pourrait vivre, oui, mais que la vie, telle la musique au musicien sourd, lui serait inaccessible.» (p.29)
B) Rupture interprétative : Francesca tend à s’égarer dans le monde, à ne plus trop savoir où elle en est, à interpréter les choses de façon confuse. Le monde est flou autour d’elle. « Francesca a choisi la photographie parce que la photographie est un échec, parce qu’elle n’a rien à voir avec la réalité, même quand elle veut la dépasser. La photographie réduit l’espace, arrête le temps, tue le sujet en le figeant.» (p.30)
«Francesca joue avec l’espace et ses limites, surtout avec les limites. Si la jeune femme s’offre à un homme, c’est seulement pour l’ébranler. Mais en se comportant ainsi, elle se compromet elle-même, elle s’égare, finit par ne plus savoir où elle est, où aller, et elle perd la place privilégiée qu’elle occupait pour regarder le monde. » (p.46)
Nous pouvons aussi bien considérer ce type de rupture du point de vue de la narratrice. Elle est incapable de saisir les motifs, les buts et les pensées de sa défunte sœur. Le roman tourne autour de cette question, sans nécessairement la formuler : pourquoi Francesca s’est-elle suicidée? La narratrice n’y répond que par hypothèses. Justement, l’univers du récit est présenté comme une hypothèse. Le monde ne peut être compris que par des hypothèses. Elle dit souvent qu’ « [o]n ignore pourquoi» (p.36) elle a fait telle ou telle chose.
«Par ces installations troublantes, ces accoutrements théâtraux, que voulait transmettre Francesca?» (p.18)
«Franchement, de l’apparition d’une vie jusqu’à sa fin, on peut sous-entendre tout ce que l’on veut sur elle.» (p.37)
« Avec Francesca, il n’est pas question de liberté ni d’affranchissement. Ce serait l’ère de l’ambivalence. » (p.77)
« En fin de compte, Francesca est-elle née? Oui, vraiment, depuis toujours, on peut raconter n’importe quoi, dire tout ce que l’on veut. » (p.85)
« Finalement, le monde n’est pas simple, il ne suit aucune règle. Et le tracé d’une vie est approximatif, imprécis. » (p.98)
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
La narratrice est extradiégétique, mais fait partie de l’univers du récit. Elle est un témoin futur de la vie de Francesca, de ce qu’elle a laissé (souvenirs des autres, photographies). Les pensées de Francesca sont souvent en italique dans le texte, rapportées directement par la narration.
Le père de Francesca lui montre comment peler une orange en spirale et la reformer. Ainsi, nous nous retrouvons avec un semblant d’orange. L’illusion est souvent mentionnée dans le texte ainsi que les oranges. Nous pouvons croire à une métaphore de Francesca elle-même ou de la vie : quelque chose qui semble plein, mais qui est vide. Quelque chose d’illusoire.
Les sensations sont plus importantes que la logique : « Elle aime pouvoir distinguer les muscles qui la composent et savoir par sensation plutôt que par les livres d’anatomie à quoi tous ces muscles peuvent servir.» (p.22) L’art de la photographie semble aussi être une façon de comprendre le monde par l’instinct, par les sens.