Ceci est une ancienne révision du document !
Table des matières
Introduction
Dion écrit dans son introduction que ce livre est née d’un malaise. Ce malaise provient de la question suivante : « Comment un littéraire peut-il parler littérairement de la littérature ? » (p. 9) Le formulant autrement, Dion affirme par la suite que cette question pose le problème de la possibilité d’une science de la littérature. Une science de la littérature, voilà l’objectif que se seraient fixé les critiques novateurs du début du XXe siècle :
[…] tous les critiques novateurs du début du XXe siècle ont poursuivi le même objectif; ils ont tous cherché à concevoir une science de la littérature (une Literaturwissenschaft). Comme Saussure, ils ont cru que la création de cette «science» passait par la définition d’une objet de savoir spécifique. Il fallait donner aux études littéraires un objet distinct. (p. 11)
Ce passage est important dans la mesure où il met de l’avant le rôle capital qu’a joué la linguistique saussurienne dans le développement du structuralisme en France. De fait, Saussure occupe une place importante dans le livre. Dion rappelle que les structuralistes ont insisté sur l’aspect linguistique des oeuvres littéraires :
À la question «comment aborder les textes d’un point de vue strictement littéraire?», les structuralistes, qu’ils soient Russes, Praguois ou Français (laissons de côté, pour l’instant, les différences), répondent: en analysant l’aspect linguistique, et, par extension, formel, des textes. » (p. 11)
Le livre de Dion porte sur la période de 1960 à 1970. Selon lui, les parutions du collectif Sens et usages du mot structure, en 1962, et Figures III (Consulter la fiche sur Discours du récit), en 1972, délimitent cette période qui constitue l’apogée du structuralisme littéraire en France. C’est donc principalement de cette période dont il est question. Le but du livre est de montrer comment le structuralisme français de cette période a tenté de fonder une science de la littérature en pensant ses rapports avec la linguistique. Le livre souhaite montrer que ce structuralisme a constitué une première tentative d’appréhender littérairement la littérature et comment, au final, cette tentative s’est avérée insatisfaisante. Au final, Dion explore la postérité du structuralisme, c’est-à-dire les approches théoriques qui, selon lui, sont tributaires des avancées effectuées par les théoriciens structuralistes.
Chapitre I : Fondements linguistiques du structuralisme littéraire
But du chapitre : Déterminer quels sont les fondements linguistiques de la méthode structuraliste.
Ce chapitre revisite les principales théories linguistiques ayant influencé le structuralisme littéraire en France, soit la linguistique saussurienne, hjelmslevienne, la linguistique du cercle praguois et celle à la base du formalisme russe.
D’entré de jeu, Dion souligne le grand paradoxe de la reprise des théories linguistiques par les études littéraires : en effet, la linguistique refusait l’analyse d’énoncés dépassant l’échelle de la phrase :
« Dans la mesure où la dichotomie langue/parole (qui sera adoptée par la plupart des linguistes postsaussuriens) permet de circonscrire avec précision le champ de la linguistique, elle expatrie hors de ce champ toute manifestation linguistique excédant la dimension de la phrase. Si, en linguistique, la fécondité de cet exil n’est plus à démontrer, elle demande à être justifiée en littérature. Ce n’est pas le moindre paradoxe du domaine littéraire que de s’être doté d’un modèle scientifique qui prétendait l’exclure. » (p. 27)
Dion explique par le suite que, malgré ce paradoxe pour le moins embarrassant, les défenseurs de l’analyse structurale du texte littéraire ont été charmés par le fait que la linguistique proposait une approche formelle de la langue. Le structuralisme se serait ainsi développé dans l’esprit que « […] le jeu des différences formelles est le seul qui puisse, dans la langue comme dans la littérature, faire l’objet d’observations sûres et mesurables (p. 32)
Influences de Saussure :
Immanentisme : Dion suggère que la linguistique de Saussure a été déterminante dans l’approche (parfois férocement) immanentiste du structuralisme littéraire. C’est la valorisation d’une approche synchronique plutôt que diachronique qui serait à l’origine de cette approche : « Parce qu’elle met l’accent sur le système comme réseau de relations et qu’elle s’inscrit en faux contre une démarche historisante, la démarche synchronique ouvre la porte à une étude immanente de l’oeuvre littéraire, si bien que, de manière indirecte, les théories saussuriennes se trouvent à cautionner la poétique structurale. » (p. 34)
Abstraction : Le structuralisme littéraire serait également redevable à Saussure en ce qui à trait à l’abstraction du fait littéraire. Dion donne l’exemple de Todorov et de son concept de «littérarité». En effet, la littérarité est étudiée par Todorov en tant que structure abstraite (le propre de la littérature), plutôt que dans l’ensemble des faits empiriques (les oeuvres littéraires). Todorov définissait la littérarité comme étant «la propriété abstraite qui fait la singularité du fait littéraire.
Influences de Hjelmslev :
Sémantique structurale de Greimas : « En proposant d’insister sur la forme Hjelmslev fait apercevoir non seulement la forme de l’expression, mais aussi celle du contenu, négligée jusque-là (Essais, p. 45-46). Il ouvre ainsi la voie à un courant de recherche majeur, dont Greimas sera l’un des principaux représentants en France. Hjelmslev est sans contredit le principal inspirateur de la sémantique structurale (ou sémantique formelle), qui se développera sous l’appellation peircienne de «sémiotique». (p. 42)
Confusion dans les termes : Il semblerait que la linguistique de Hjelmslev soit assez complexe (je n’ai pas vérifié, mais le résumé de Dion est suffisamment tortueux pour m’en convaincre…!). De cette complexité résulterait une sorte de confusion venant de la part littéraire entre la dyade proposé par Hjelmslev «expression/contenu» et celle de fond/forme : « À cause de sa complexité, la théorie de Hjelmslev a pu susciter chez les littéraires de nombreux contresens. Bien peu de littéraires étaient préparés à manipuler un vocabulaire aussi technique. […] Ainsi, on peut déplorer que l’opposition expression/contenu ait involontairement ressuscité celle, canonique, du fond et de la forme. » (p. 45)
Influences des formalistes russes Article important de Tynianov et Jakobson, « Les problèmes des études littéraires et linguistiques » : Selon Dion, cet article marque la fin du formalisme et le passage au structuralisme. Les auteurs y emploient l’expression «loi structurale» pour la première fois et annoncerait clairement ce que Dion nomme l’obsession structuraliste à venir. Dion insiste sur l’importance de l’expression «loi structurale» pour les études à venir : « […] cette expression devait connaître une grande fortune : associant l’idée de «prédétermination» (loi) à celle d’«organisation» (structure), applicable à l’évolution (loi évolutive) et à la composition (structure compositionnelle), elle a représenté, d’une certaine façon, un sésame structuraliste. » (p. 53-54)
Adaptation de l’opposition saussurienne langue/parole : Dans le même article, Tynianov et Jakobson aurait formé le pendant littéraire de cette opposition langue/parole. Ils développent l’idée de «norme littéraire», qui est l’équivalent de la langue, et celle des «énoncés individuels», soit les textes, qui constituent l’équivalent de la parole en linguistique.
Vocabulaire annonciateur de la narratologie : Dion relève dans le vocabulaire formaliste de Tomachevski les notions de fable (la somme des événements) et de sujet (qui correspond à la façon dont les événements sont racontés) : « En somme, Tomachevski propose un ensemble cohérent de notions qui couvre l’ensemble des problèmes du récit. Il inaugure une poétique narrative dont les principaux acquis fonderont celles de Propp, de Genette, de Greimas. La filiation de Tomachevski à Genette est particulièrement évidente; on croit déceler chez le premier une répartition des phénomènes narratifs en éléments ressortissant aux catégories genettiennes de Temps, de Mode et de Voix. » (p. 56-57)
Le modèle de Propp : La schématisation du conte merveilleux proposée par Propp a eu une fortune importante en théorie littéraire. Dion y voit le prédécesseur du schéma actantiel de Greimas : « Le modèle actantiel à six actants (sujet, objet, destinateur, destinataire, adjuvant, opposant) ainsi que le modèle à deux actants et deux relations (sujet, objet; conjonction, disjonction), formulés par Greimas, constituent des états plus achevés du modèle proppien, parce qu’ils épuisent l’ensemble des possibilités narratives tout en étant plus simples que le modèle à trente et une fonctions. » (p. 59-60) Jakobson et ses fonctions du langage : Ces fonctions dégagées par Jakobson ont eu la fortune qu’on leur connaît. Dion nous apprend que les principaux textes de jakobson ont été traduits en français et réunis dans Essais de linguistique générale 1 (1963) et les Questions de poétique (1973). Ce sont dans ces volumes que nous trouvons les concepts « aujourd’hui incontournable », par exemple celui de « fonctions du langage» ainsi que la dyade «métaphore/métonymie. » (p. 63)
Définition de la poétique par Jakobson : Pour Jakobson, la poétique est « […] cette partie de la linguistique qui traite de la fonction poétique dans ses relations avec les autres fonctions du langage. La poétique au sens large du mot s’occupe de la fonction poétique non seulement en poésie, où cette fonction a le pas sur les autres fonctions du langage, mais aussi en dehors de la poésie, où l’une ou l’autre fonction prime la fonction poétique. » (Essai de linguistique générale 1, p. 222) (cité par Dion p. 68)
Conclusion partielle : Premièrement, Dion conclut à l’existence de plusieurs structuralismes littéraires, qui proviennent de souches linguistiques différentes. De plus, il a remarqué que les concepts au coeur de ces linguistiques ont le plus souvent été adaptés, modifiés afin de mieux correspondre au texte littéraire. Finalement, Dion conclut que la linguistique a joué un triple rôle dans la naissance du structuralisme : « En conclusion, nous pouvons affirmer, avec Jonathan Culler, que la linguistique aura joué, par rapport aux études littéraires, le triple rôle de modèle de scientificité, de réservoir de concepts (plus ou mois métaphoriques) et de mode d’emploi de l’investigation sémiotique. » (p. 77)