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Mise à l'épreuve de la grille de pré-analyse sur article journalistique sur Chevillard - théorie implicite du récit
LEBRUN, Jean-Claude, « Ceci n'est pas un roman », dans l'Humanité, 14 juin 2001, p. 21. [à propos de Les absences du capitaine Cook]. [VA]
- Grille de pré-analyse - Chevillard
- Mise à l'épreuve - Chevillard académique
Note dans la mise à l'épreuve de la grille : Être attentif à l’ordre dans lequel sont traitées les différentes composantes du récit abordées par la critique. Par exemple, parle-t-on de la composante discursive à défaut de pouvoir dire quelque chose de l’histoire (dont on a d’abord tenté, justement, de rendre compte)? Se rabat-on sur le personnage à défaut de pouvoir établir la cohérence de l’ensemble?…
Caractéristiques du récit à observer chez la critique :
Personnage
* Quels éléments retient la critique pour présenter le personnage? S’attache-t-elle à sa description physique ? À ses actions ? À son rôle dans le récit ? En quels termes ?
- Le capitaine Cook « ne constitu[e pas] le sujet véritable de l’œuvre ».
- « Notre homme », « personnage de simple commodité dont l’auteur ne relève qu’un seul et dérisoire trait distinctif » (d’où que Lebrun ne peut le présenter). Il suit un parcours imprévisible.
- Chevillard laisse ses personnages « en plan au bord du récit ».
* Comment réagit-elle au traitement du personnage chez Chevillard ?
- Pas de réaction particulière. Il accepte l’absence du capitaine Cook et l’absence presque totale d’informations sur « notre homme ». Il y voit l’expression de la conception du roman de Chevillard, que celui-ci cherche à réinventer.
* De ces informations, quelle conception du personnage est véhiculée par la critique ?
- « L’essentiel est donc ailleurs » : ayant en premier lieu abordé la question du personnage, c’est laisser entendre que l’essentiel se trouve généralement dans la description, la substance du personnage. Faute de pouvoir présenter le personnage, il se tourne vers les autres composantes du récit. Cela dit, parce qu’il ne s’en formalise pas, il semble reconnaître que le personnage n’est pas la finalité du récit.
Intrigue / histoire
* Quels éléments retient la critique pour proposer un résumé de l’histoire ?
- L’histoire est annoncée dans le titre : les absences du capitaine Cook.
- Les titres des chapitres annoncent chaque fois un programme dont le texte se détournera invariablement.
- Lebrun ne fournit aucun résumé de l’histoire, sinon celui annoncé par le titre. Autrement, il livre quelques parcelles de l’histoire – ou des histoires, moins par dépit que par amusement : « Avec Éric Chevillard, l’on comprend définitivement pourquoi la vie du triton ne peut se réduire qu’à une imperceptible et infinie oscillation. Ou pourquoi le sommeil dans la paille est devenu inconfortable ». Chevillard déploie ainsi « d’insoupçonnés horizons narratifs », que Lebrun ne peut que présenter tel quel, puisqu’ils ne s’inscrivent pas dans une histoire homogène.
* Comment réagit-elle au traitement de l’histoire chez Chevillard ?
- Qu’il n’y ait aucune histoire à résumer ne trouble pas Lebrun.
- Il se réjouit des « surprises continûment garanties pour le lecteur ».
- « Il appartient au roman de se livrer à d’autres explorations […] sur les territoires […] de l’imaginaire ».
* De ces informations, quelle conception de l’intrigue / histoire est véhiculée par la critique ?
- Le roman, le récit, ne saurait se réduire à l’histoire racontée. Que celle-ci se fractionne en plusieurs épisodes non liés entre eux – sinon lâchement – est le signe d’une conception renouvelée du genre romanesque.
Narrateur / narration / discours
* Quels éléments retient la critique de la figure du narrateur et/ou de son discours ?
- Les récits se succèdent sur la base non pas de l’histoire, mais du discours, « poussés en avant d’eux-mêmes par des associations de mots et d’idées, des rémanences et des récurrences, des cascades d’allitération ».
- Le discours assure la progression et la cohésion du récit, suivant l’idée selon laquelle il s’agit avant tout d’une « aventure langagière » : « Offrant à l’esprit des opportunités de voyages sans limites, de passages vers des univers dont la dynamique des mots constitue la seule force gravitationnelle, sans pour autant déraper vers le formalisme, encore moins l’hermétisme ».
* Comment réagit-elle au traitement de la figure du narrateur et/ou du discours chez Chevillard ?
- Que le récit s'organise sur la base du discours ne semble pas troubler Lebrun, qui y voit un « roman en train de s'inventer une autre dimension ». Il apprécie, pour peu que cela ne bascule pas vers le formalisme - ce que Chevillard évite en faisant preuve d'une virtuosité et d'une profondeur inégalables.
* De ces informations, quelle conception du discours, dans son rapport au récit et/ou à l’histoire, est véhiculée par la critique ?
- Lebrun ne se rabat pas sur le discours à défaut de pouvoir retracer une histoire homogène ou un personnage fort. Que le récit – sa progression, sa cohésion, sa cohérence – repose sur le discours semble faire partie de la conception du récit de Lebrun – ou, plutôt, de ce que pourrait devenir le récit dans la forme romanesque renouvelée que propose Chevillard.
Digression
* Impact sur la progression de l'intrigue, sur la structure narrative ?
- Les digressions, interminables et superflues, donnent chair à la matière du roman. Privé d’une histoire homogène, le récit se construirait selon toute vraisemblance sur ces développements superflus.
* Réaction de la critique
- Les coq-à-l’âne sont jugés « éblouissants ». Interminables, superflus, ils ne participent pas moins du plaisir de lecture ; ils constituent des surprises.
Fragmentation
* Impact sur la progression de l’intrigue, sur la structure narrative, sur l’œuvre ?
- Des récits qui se succèdent. On devine la fragmentation, à hauteur de narration et d’œuvre, mais cette fragmentation semble être le moteur narratif.
* Réaction de la critique
- Là encore, la fragmentation semble participer du plaisir de lecture (d’une certaine façon associée à la surprise, l’éclatement de la trame narrative ne permettant pas de prévoir ce qui s’en vient).
Cohérence de l’ensemble
- Lebrun fait reposer la cohérence de l’ensemble sur la volonté de Chevillard d’arpenter les nouvelles possibilités du roman. La prédominance du discours, l’absence – ou presque – de personnages et d’intrigue, les digressions… : tout cela traduirait la conception du genre romanesque de Chevillard. En ce sens, d’aucune façon il ne qualifie l’ensemble d’incohérent. Au contraire, il fait état d’une parfaite maîtrise de la part de l’écrivain.
Varia
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Stratégies rhétoriques à observer chez la critique
(Par rapport aux caractéristiques indiquées ci-dessus, mais aussi de façon générale ; ces stratégies tendent à trahir les limites des théories narratives dont fait usage la critique pour tenter de saisir l’œuvre de Chevillard) :
Usage de la métaphore
- - (Langage clair, direct, concret, précis)
Citations de l’œuvre
* Reprises et citations de l’œuvre de Chevillard pour décrire celle-ci, dans un geste circulaire. Autrement dit, la critique utilise (ou transforme ?) l’œuvre de Chevillard comme matière théorique pour commenter l’œuvre.
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Déclarations de l’écrivain
* Recours aux entrevues de l’écrivain pour appuyer ses idées – comme figure d’autorité ou pour d’autres usages qu’il faudrait identifier, le cas échéant.
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Comparaisons / rapprochements intertextuel(le)s
* Lesquel(le)s ? Vérifier si ces rapprochements intertextuels sont énoncés faute de pouvoir rendre compte de l’œuvre (incapable de décrire celle-ci, la critique se résout à comparer pour donner au moins « une idée » de l’œuvre). Vérifier si ces rapprochements sont seulement énoncés ou expliqués.
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Vocabulaire approximatif
* Étrange, singulier, bizarre, incongru, déroutant, insaisissable : les qualificatifs passe-partout qui empêchent d’avoir à décrire l’œuvre.
- « Le roman est en train de s’inventer une autre dimension » : mais laquelle ? Tout au plus Lebrun fait-il état de cette invention d’une autre dimension après avoir constaté que l’œuvre de Chevillard rompt avec la représentation classique. Une sorte de description par la négative qui évite les véritables enjeux.
Varia
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