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ranx:asiles_de_fous

Résumé de l'oeuvre :

Gisèle vit avec Didier Verdery, du moins jusqu'à ce que le père de ce dernier débarque chez elle sous prétexte de changer un robinet et qu'il lui annonce que son fils la quitte. Damien retourne vivre avec ses parents qui se mêlent dès lors beaucoup de sa rupture avec Gisèle. Oscillant entre la pitié et le mépris pour la jeune femme, Solange, la mère de Damien, se met en tête de la sauver de la douleur de savoir Damien parti pour toujours. Joseph, son mari, aimerait se rapprocher un peu plus de son ex-belle-fille. Après une brève période déprime, Gisèle se remet assez vite de sa rupture et les trois Verdery finissent par s'évaporer…

- Tout le premier chapitre est hypothétique, met en scène un homme potentiel mais peu défini, générique :

« Je ne déménagerai pas. Je garderai les mêmes meubles. Damien est absent, je suis là. Puisqu’il ne m’aime plus, je ne l’aime pas. Puisque notre histoire est terminée, c’est qu’elle n’a jamais eu lieu. Elle est à ce point imaginaire que je vais vous la raconter. Sans pleurer, sans frémir, sans colère, sans émotion. C’est une fable sans morale, sans bestiole, si l’on excepte l’amour, moustique fatigué, dégoûté par nos corps de les avoir piqués de sa trompe. »

- Plusieurs personnages, complexes mais changeants selon qu’ils sont décrits par d’autres ou s’ils se décrivent eux-mêmes :

1) Damien (qui fait le lien entre tous les autres) : homme indifférent, la trentaine, constamment en état d’ébriété, qui s’adonne parfois à des relations homosexuelles :

Tel que décrit par sa mère :

« Nous aimons et estimons notre fils. Nous ne nous demanderons jamais s’il mérite nos sentiments, ou si du fait de notre lien de parenté nous nous montrons indulgents envers lui. Il est affectueux, mais sans exubérance, et nous ne sommes pas sûrs que ses rares baisers soient le symptôme d’un amour démesuré. Nous pensons cependant qu’il nous préfère vivants que morts, car tant que nous serons là il, pourra garder l’impression d’être encore un jeune homme, même si nous devenons très vieux et qu’il frise déjà la soixantaine. » (93)

« Damien, un mètre quatre-vingt-quatre, soixante-quinze kilos, cheveux châtains, yeux noirs, il chausse du quarante-trois et n’a ni le nez trop long, ni le menton fuyant. Voilà des faits irréfutables que pourrait confirmer un médecin en présence d’un huissier de justice. Il a comme nous pour nom de famille Verdery, patronyme sans particule, mais propre, net, que nous n’échangerions contre aucun autre. » (121)

Décrit par son père :

« On peut aimer un ivrogne, un pervers, un benêt, ou une combinaison lamentable de tous ces états à la fois. Mais pas quelqu’un qui n’existe pas. Damien n’a jamais eu le courage de se choisir, je me demande même si parfois il ne devient pas nain, géant, blond, roux, eunuque, cheminée, hameau déserté depuis un demi-siècle perdu au fin fond de la Lozère, tant il a décidé une fois pour toutes de varier, de se garder d’être autre chose qu’une multitude de possibilités, d’apparitions furtives, lâches, qui plutôt que fuir se métamorphosent, de crainte qu’on leur tire douze balles dans le dos. Il existe si peu, qu’à sa mort on mettra en terre un cercueil qui ne pèsera que le poids des planches. » (178)

2) Gisèle (Ex-copine de Damien); auteure du texte que l’on est en train de lire?

Telle que décrite par Solange, la mère de Damien :

« J’ai dit la vérité sur nous, vous pouvez donc me croire à présent si je vous parle d’elle. Nous n’avons jamais mis en doute son identité, car comme pour certaines voitures d’entrée de gamme, qu’elle que soit la marque inscrite sur la carte grise, les performances sont connues d’avance et ne font pas rêver ceux qui en sont réduits à s’en porter acquéreurs. Elle doit mesurer un mètre soixante-neuf, elle a évoqué en notre présence ses cinquante-deux kilos, ses études supérieures inachevées, son père gérant d’une entreprise de ramonage industriel, sa mère préparatrice en pharmacie, et sa sœur jumelle, pourtant haïe, mariée, et pourvue d’une descendance des deux sexes. » (95)

« Nous ne savons rien d’autre de sa famille. Quant à Gisèle, nous ne l’avons jamais aimée. Si nous avions été enseignants, nous aurions sans doute attribué à son physique une note inférieur à la moyenne, tant la forme de son crâne nous a toujours déplu, tant sa chevelure demeurait grasse malgré les shampoings, tant elle portait mal ses longues jambes dont elle se servait avec moins de grâce que des prothèses, des béquilles, des roulettes, comme me le murmurait parfois mon mari à l’oreille en ricanant. […] Elle avait une intelligence à peu près équivalente à celle de Damien, mais alors qu’il en avait toujours fait le meilleur usage, elle avait passé son temps à la gaspiller. Plutôt que d’étudier utilement, elle s’était inscrite en faculté de lettres, évitant même de se rendre à ses cours, et s’enfermant dans sa chambre pour écrire. » (96, suite p. 97)

- Gisèle a un statut ambigu, à la fois personnage, narratrice, peut-être auteure du roman qui nous est donné à lire, mais vers la fin du roman elle semble remettre en question son existence même :

« J’étais arrivée à convaincre un écrivain d’écrire à sa place son prochain roman, une histoire d’amour triste et hurluberlue dont j’avais dû lui proposer le sujet, tant à cinquante ans il était vidé de sa substance comme un vieux poulpe de sa dernière goutte d’encre. Il était si apathique, qu’il signerait l’ouvrage dont vous parcourez la fin en ce moment sans prendre la peine de le lire. » (205)

« Je suis une femme verbale, quelqu’un d’imaginaire et variable, comme tous les autres gens de cette histoire. Pourtant, avant de disparaître, j’aimerais m’incarner un instant. Le temps de vous avouer que Damien n’est pas celui dont je vous ai parlé. […] Je l’ai aimé, même s’il est resté tout au long de notre histoire enfermé dans le langage, prison mobile qu’il confondait avec la liberté et dont il ne sortira un jour que pour expirer. Car je suis sûre qu’il est toujours plus ou moins vivant, assez sans doute pour avoir écrit ce roman. » (213)

3) Solange (Mère de Damien) : elle se proclame objective, mais son discours, fort biaisé, ne cesse de changer. Se définit d’abord et avant tout comme une mère.

« Nous nous sentions humiliés que notre fils partage la vie d’une femme pourvue d’un physique inférieur au sien. Damien n’est pas une beauté, mais il est grand, svelte, musclé, et l’été avec sa peau hâlée on le dirait coulé dans le bronze. » (97)

- Un exemple de contradictions dans son discours :

« Nous comptons fermement sur sa paresse [Gisèle] pour qu’elle se garde de recommencer à écrire, car à force de perfidie, elle parviendrait peut-être à machiner un petit ouvrage sordide au titre rutilant qui séduirait un éditeur avide de profits. Un jour d’automne, Damien se verrait jeté sur les tables des libraires sous le nom de Fabien, garçon sans envergure assez minable pour envoyer son père rompre à sa place à l’occasion de la pause d’un robinet. Elle donnerait assez de détails scabreux sur leur histoire pour susciter l’attention des médias, et un soir elle se laisserait aller sur un plateau jusqu’à révéler la véritable identité de son personnage. » (99)

vs

« J’aimais Gisèle comme ma fille, et si Damien était mort d’un accident de moto, nous l’aurions couchée sur notre testament. Si elle s’était décidée à faire augmenter le volume de sa poitrine, nous lui aurions offert le meilleur chirurgien. Si sa mère que je n’avais vue avait eu besoin d’un rein, je lui aurais proposé un des miens. Je l’aimais plus encore qu’elle n’aimait notre fils, et c’est justement parce que mon amour pour elle était démesuré que j’ai abjuré Damien de rompre. Je ne voulais pas qu’il la fasse souffrir. [..] En tout cas, nous en avions assez, elle ne correspondait en rien au cahier des charges auquel nous nous référions sans le nommer, sans même l’avoir rédigé, quand nous pensions à la femme qui conviendrait à Damien. » (112)

- Narratrice non fiable (aucun des narrateurs n'est vraiment fiable, mais Solange avoue mentir souvent) :

« J’ai juré de dire la vérité, pourtant j’ai menti à plusieurs reprises. […] J’ai menti pour donner une meilleure image de notre couple, et j’ai menti probablement à propos de vétilles sans l’avoir voulu, tant la mémoire mélange les éléments du passé jusqu’à nous donner une représentation caricaturale de ce que nous avons été, et par conséquent de ce que nous sommes. » (120)

- Elle s'adresse à un interlocuteur indéterminé :

« Vous pensez que je ne la décris pas sous son meilleur jour, et j’exagère à la fois sa malfaisance et sa méchanceté. Je ne suis qu’une mère, mon amour pour Damien est bien le seul qu’une femme lui vouera jusqu’à la fin de ses jours. »

4) Joseph/François (Père de Damien) : le moins présent du lot.

- Lors de sa première apparition, Gisèle l'appelle François, alors que son nom est Joseph.

- Typique des personnages plats de Jauffret qui se contentent d'une vie insipide :

« Quand j’ai appuyé sur le bouton, [le rasoir] s’est mis à feuler, et la barbe coupée à ras s’est vue aspirée au fur et à mesure dans le réceptacle prévu à cet effet. Lorsque l’opération serait terminée il me suffirait de le vider dans le caniveau. Ma vie est faite de ces satisfactions prosaïques, elle n’est pas plus ratée qu’une autre. » (183)

- Questions sur l'identité :

« En définitive, nous étions une famille unie, homogène, et chacun de nous était doté d’une personnalité variable comme ces journées bretonnes qui ridiculisent les prédictions des météorologues. Nous n’avions jamais su dire qui nous étions exactement, et si Damien variait davantage que nous, il n’en était pas moins notre rejeton aux caractéristiques à peine accentuées par la décadence de nos gènes et notre éducation exécrable. […] Notre avenir n’est pas tracé, nous nous modifions beaucoup trop, nous sommes chaotiques, et je me dis parfois qu’à notre mort nous laisserons derrière nous la myriade de cadavres de tous ces gens que nous avons été pleinement, mais l’espace d’un instant, d’une semaine, ou de quelques années. » (191-192)

« Gisèle était vivante, unique, elle fonctionnait comme un être humain avec la colonne de ses souvenirs qu’elle était certaine d’avoir vécus, et surtout cette sorte d’âme compacte, indubitable, identique de jour en jour, où elle demeurait. Elle connaissait beaucoup de ses caractéristiques, elle aurait presque pu se démonter et les poser sur la table basse comme les rouages d’une montre. Elle ne doutait pas de leur solidité, ces rouages de s’altéreraient qu’avec elle. » (193)

Caractéristiques générales du texte :

- Écrit au futur dans le premier chapitre, puis au passé, souvent au conditionnel, ce qui fait qu'il est difficile de démêler ce qui est vrai ou fantasmé, de départager les actions et les intentions des personnages.

- Monologues et dialogues de sourds, parfois contradictoires (celui de la mère, p.74-86); chaque personnage présente une, voire deux versions de la réalité.

- Il y a beaucoup de descriptions qui se rapportent à un type de gens, ou aux gens en général (les mères, les gens (80))plutôt que de se concentrer à la description du personnage représenté.

-Le point de vue peut changer au cours d'un paragraphe; les relais dans la narration ne sont pas indiqués, ce qui fait qu'il est souvent difficile de déterminer qui parle. C'est d'autant plus surprenant qu'un changement de narrateur peut survenir quelques lignes après le début d'un nouveau chapitre par exemple. les divisions du texte ne sont d'aucune utilité pour délimiter le discour de chacun.

- Seules les répliques du personnage qui qui assure la narration à ce moment précis du texte sont indiquées, comme s’ils ne faisaient que s’écouter eux-mêmes.

ranx/asiles_de_fous.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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