fq-equipe:recherche_sur_les_polemiques_litteraires

Ceci est une ancienne révision du document !


Recherche sur les polémiques littéraires

Les polémiques littéraires au Québec (1980-2015)

Par Daniel Letendre et Jean-François Thériault (dépôt: novembre 2015)

Présentation

Le travail qui suit est le résultat d’un travail en archives qui vise à reconstituer le fil des événements qui a donné lieu aux diverses polémiques littéraires qui ont occupé un certain espace médiatique depuis 1980, afin d’en offrir de brefs panoramas. Il s’agit ici de voir de quelle façon la littérature peut être un élément déclencheur à des débats qui l’englobent mais la transcendent. On notera que de nombreux travaux sur le polémique comme espace de parole ont vu le jour au cours des dernières années (voir, entre autres, les travaux de Dominique Garand ). Peut-être que ces années, qui ont vu leur lot d’agitation sociale, étaient particulièrement propices pour revisiter les différentes querelles qui ont jailli dans la sphère sociale québécoise dans l’histoire de la province. Le débat, la querelle et, parfois, l’injure et l’attaque ad hominem font partie, sans aucun doute, de la façon qu’a une société de se réfléchir et de tenter de se cerner.

Certaines polémiques étant si vastes et étendues, il a été impossible, dans un cadre comme celui-ci, d’en couvrir toute la surface. Il a donc fallu faire des choix, exclure certains textes, certaines réactions voire, à l’occasion, certaines polémiques. Il va sans dire, en ce sens, que ce travail est un constant chantier. Les cas Richler et Delisle, par exemple, ont suscité une quantité astronomique de réactions, souvent davantage du côté politique que littéraire. J’ai pris la décision, dans ces cas, de me concentrer sur ce dernier volet. Des polémiques, je l’ai dit, ont également dû être écartées, et ce, pour diverses raisons. C’est le cas d’une querelle qui aurait eu lieu en 1984 entre Les Herbes rouges et La Nouvelle barre du jour sur la nature de Dieu. Impossible, dans ce cas, de trouver – du moins, pour l’instant – de la documentation suffisante pour en tirer un portrait juste. Même chose en ce qui concerne la polémique entre René-Daniel Dubois et Andrée Ferretti, jugée comme plus politique que littéraire . La querelle autour des Versets sataniques de Salman Rushdie, bien qu’elle ait suscitée de nombreuses réactions ici, a été jugée trop touffue et, d’un même souffle, trop éloignée du champ littéraire québécois. Elle mériterait, en cela, une attention toute particulière.

Chaque polémique dont il est question ici a appelé une approche et un modèle particuliers, c’est pourquoi les sections, bien qu’elles soient généralement organisées selon le schéma [a) Description b) Pour c) Contre], ne sont pas nécessairement uniformes. Certaines « affaires » n’ont pas eu de grande résonnance, ce qui explique que l’on ne s’y soit pas trop attardé, en nous contentant de signaler certaines lectures qui pourraient être pertinentes. La plupart des querelles sont d’abord et avant tout des débats médiatiques qui nécessitent de la part des intervenants de prendre une position claire, bref, de choisir son camp. Peu de place ici, on le comprend, pour les positions nuancées, ce qui explique la division entre « pour » et « contre » qui reste, bien entendu, artificielle. Certains textes avec des biais moins tranchés ont été difficiles à classer. On excusera, je l’espère, cette tendance dichotomique qui ne rend probablement pas justice à la réalité des débats.

- Jean-François Thériault

1982-1983 : Affaire Crête

1982-1983 : Affaire Crête

A) Description

En décembre 1982, un professeur du Cégep de Shawinigan, Jean-Pierre Crête, est suspendu parce qu’il a mis au programme Le Cassé de Jacques Renaud et le conte érotique « L’œuvre de chair » d’Yves Thériault. Cette suspension survient suite à un article qui paraît dans Le Nouvelliste de Trois-Rivières (8 décembre 1982) qui mentionne une pétition signée par une trentaine de parents d’étudiants et quelques associations (dont le Cercle des fermières de Lac-aux-Sables) qui se plaignent du caractère « sexuellement explicite » de ces textes.

Le 6 juin 1983, on apprend sous la plume de Réginald Martel (La Presse, « Des écrivains québécois à Paris ») que M. Crête se serait fait offrir une année et neuf mois de salaire payé, en échange de sa démission, offre que le professeur aurait refusée.

Jacques Renaud, auteur du Cassé, signe un texte dans Moebius (nº17, 1983, p. 5-23) qui revient sur l’affaire. Il contient notamment des extraits de tout ce qui s’est publié sur la polémique à partir de dossiers qui lui ont été remis par le professeur concerné, Jean-Pierre Crête, et par Michel Cloutier, journaliste au Nouvelliste. Ce texte constitue la principale source d’informations sur l’affaire toujours disponible, et, sauf indication contraire, la grande majorité des réactions compilées ici proviendront de celui-ci.

B) Contre Crête

La Cégep de Shawinigan s’en prend d’abord à son professeur dans une lettre signée de la main de son directeur, Jean-Guy Farrier, adressée à Crête, qui est citée en partie par Renaud dans son article. On y fait mention d’ « une grossière erreur de jugement […] compte tenu de l’âge des étudiants et de l’interdit que le collège […] avait servi en regard de l’un de ces textes [qui aurait causé] un préjudice grave aux étudiants, au collège ainsi qu’au personnel ». La lettre se termine par l’annonce de la suspension provisoire du professeur pour l’année 1982-1983, nouvelle qui sera relayée par le Nouvelliste le lendemain.

Toujours dans le Nouvelliste (9 décembre 1982), le groupe Parents Vigilants affirme qu’il ne veut pas voir la réputation du Cégep entachée par le manque de jugement d’un professeur. Quelques jours plus tard (le 21 décembre 1982), suite à une lettre ouverte de Jean-Pierre Crête qui dénonçait ce qu’il considérait être de la censure, la direction du Cégep annonce par communiqué la suspension sans salaire du professeur, tout en ajoutant qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de censure, mais bien d’une suspension suite à une série de comportements inappropriés répétés de la part du professeur.

Gaston Tessier, dans son éditorial de L’hebdo du Saint-Maurice intitulé « Quand des parents décident de prendre leurs responsabilités » (5 janvier 1983) se réjouit de la décision du collège, martelant le fait que la pornographie est immorale « parce qu’elle rapetisse la réalité la plus intime de l’Amour », associant ainsi les textes au cœur de la polémique à des textes pornographiques. En se basant sur de grands principes chrétiens, il condamne vertement le choix du professeur et prône un enseignement plus moral de ce qu’il désigne comme « l’Amour ».

C) À la défense de Crête

L’Union des écrivains québécois a dénoncé, via un communiqué, l’affaire, en insistant sur le fait que « les élèves du niveau collégial doivent pouvoir suivre des cours de littérature qui donnent une vision juste et la plus complète possible de ce que les écrivains québécois publient ». L’UNEQ réaffirme également le droit qu’a la littérature d’explorer tous les recoins de ce qu’elle appelle « la réalité ».

Réginald Martel, critique littéraire à La Presse, réagit à l’annonce de la suspension de Jean-Pierre Crête dans quelques textes. Le 25 janvier d’abord (« Des classiques au pilori », La Presse), Martel dénonce une attaque à la « liberté académique » de Crête, qui rappelle selon lui l’époque de l’Index de l’abbé Bethléem. Il rappelle d’ailleurs que « les textes proposés aux cégépiens par le professeur Crête avaient été approuvés en mai 1982 par la direction des services pédagogiques du cégep de Shawinigan », et déplore le fait que ce soit des organisations extérieures au Cégep qui aient le fin mot de l’histoire. Dans un article, titré « La censure en liberté » (7 février 1983), il dénonce avant tout le fait que personne, dans le milieu littéraire, outre l’Union des écrivains québécois, ne semble vouloir réagir à ce cas de censure. Dans son article « La liberté conditionnelle » (La Presse, 21 mars 1983), Martel revient sur l’affaire en citant un communiqué que la direction du Cégep a émis afin de clarifier certains points, dont le litige entourant la liberté académique, affirmant que celle-ci n’a jamais été violée dans le cas du professeur Crête. Martel émet des doutes quant à cette affirmation.

Martel fait également mention (« Un salon du livre dynamique », La Presse, 28 février 1983) d’un communiqué émis par le Regroupement des auteurs-éditeurs autonomes (RAÉA) qui condamne durement l’attitude du collège de Shawinigan, qui se termine par une note assassine : « Le RAÉA serait plus heureux encore, est-il permis de croire, si le cégep de Shawinigan, plutôt que de pirater quelques contes de M. Thériault, avait acheté quelques exemplaires de son livre, de façon qu’il touche les droits d’auteur qui sont, n’est-ce pas?, son gagne-pain », soulevant ainsi des doutes quant à l’honnêteté de l’institution.

Dans la « Tribune libre » du journal La Presse (4 mars 1983), Louise Proteau, étudiante à l’UQTR, s’étonne du fait que certaines associations (les Optimistes, les Aféas, Les Cercles de Fermières et les Chevaliers de Colomb) aient plus de poids en ce qui concerne l’enseignement de la littérature que les professeurs eux-mêmes. Elle appelle d’ailleurs au congédiement des responsables de la suspension infligée à M. Crête. Elle ne voit rien de choquant dans les œuvres de Renaud et de Thériault.

Notons au passage qu’une sous-polémique a éclaté suite aux articles de Réginald Martel au sujet de la censure de Thériault et de Renaud. Ce dernier, ainsi que Jean-Paul Le Bournis (tous deux dans la page « Tribune libre » de La Presse, édition du 22 février 1983) ont reproché à Martel d’avoir l’indignation sélective lorsqu’il est question de censure. Le Bournis affirme que le critique de La Presse aurait volontairement écarté de sa liste de lecture le roman Les Masques de Gilbert Larocque, pourtant récipiendaire de nombreux prix, sous prétexte que son auteur aurait confronté Martel lors d’un événement public. Renaud, quant à lui, affirme que Martel a refusé de rendre compte de ses trois derniers romans, sous prétexte d’une querelle personnelle (voir entre autres une réaction de Renaud à la critique de Martel du roman de Josette Labbé Jean-Pierre, mon homme, ma mère dans « Un injuste éreintage », La Presse, 14 mars 1984). Ce cas sera brièvement commenté par le critique lui-même dans un aparté à son texte « Nos revues culturelles : Un bulletin de santé » (La Presse, 14 février 1983) en disant qu’il n’y avait rien de personnel dans son choix de ne pas parler de ces textes, puisqu’il était impossible de toute façon de couvrir l’ensemble de la production littéraire québécoise. Plusieurs commentateurs ont d’ailleurs reproché à Le Bournis et à Renaud cette sortie (voir entre autres le texte de Louise Proteau).

fq-equipe/recherche_sur_les_polemiques_litteraires.1447711990.txt.gz · Dernière modification : 2018/02/15 13:56 (modification externe)

Donate Powered by PHP Valid HTML5 Valid CSS Driven by DokuWiki