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FICHE DE LECTURE

I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE

Auteur : Oster, Christian

Titre : En ville

Éditeur : Éditions de l'Olivier

Collection : -

Année : 2013

Éditions ultérieures : -

Désignation générique : -

Quatrième de couverture :

« Georges est arrivé avec un gros gâteau. Il est entré dans la pièce, précédé de Paul, qui était allé lui ouvrir, et a posé le carton sur la table où les verres étaient disposés pour l’apéritif. C’est après qu’il nous a salués, William et moi, une fois débarrassé de son carton qu’il avait tenu devant lui à deux mains, comme si, de la pâtisserie où il l’avait acheté jusqu’à l’appartement, il l’avait déplacé tel quel, à seule fin de le poser sur la table. »

Quelques jours après le dîner au cours duquel cinq amis ont fixé la destination de leurs vacances d’été, des événements parfois ambigus viennent perturber leur existence : Georges (qui vient d’être quitté) tombe amoureux, William (qui habite en face d’un hôpital) fait une embolie pulmonaire, Paul et Louise envisagent de se séparer (mais pas avant la fin des vacances) et Jean apprend qu’il attend un enfant (d’une femme qu’il n’aime pas). Le projet de départ n’en est pas moins maintenu, auquel on n’ose plus trop faire allusion.

Le désordre semble être le moteur de ce roman où le passage du temps inquiète, où la mort et l’humour rôdent, où ce qui advient oblige à des glissements, à des aménagements, à des choix opérés dans l’urgence. Christian Oster saisit ses personnages à l’instant précis où leur vie bascule et les précipite face à eux-mêmes.

Christian Oster a publié quinze romans, dont Mon grand appartement (prix Médicis 1999), Une femme de ménage (2001, porté à l’écran par Claude Berri), Dans la cathédrale (2010), parus aux Éditions de Minuit, et Rouler (2011), paru aux Éditions de l’Olivier.

II- CONTENU GÉNÉRAL

Résumé de l’œuvre :

Jean (personnage principal et narrateur à la première personne), Georges, William, Paul et sa femme Louise, tous dans la cinquantaine ou la soixantaine, tous un peu bobos, sont cinq amis qui partent en vacances ensemble depuis trois ans, mais cette année ne ressemble pas aux précédentes: Jean apprend qu'il va être père, Georges est quitté par sa femme, William meurt d'une embolie suivie d'une chute dans l'escalier, Paul et Louise se séparent. Malgré ces bouleversements, ils maintiennent leur projet de vacances. En fait, ces bouleversements ne semblent pas, eux, les bouleverser tant que ça. Par exemple, Georges se fiche un peu de s'être fait laisser et trouve assez rapidement une nouvelle femme à fréquenter, Jean ne souhaite pas nouer de relation avec Roberta, une femme dont il s'est amouraché un soir par ennui ou par paresse et qui est maintenant enceinte. De manière générale, les personnages de ce roman ne savent pas grand-chose. Ils ne connaissent pas trop la raison qui les motive à partir en vacances ensemble et l'endroit où ils doivent partir change à plusieurs reprises sans que cela paraisse importer, et ils ne savent à peu près rien l'un de l'autre (voir rupture interprétative). Ainsi, lorsque William meurt, les autres apprennent qu'il a un fils quand ils croisent ce dernier à l'hôpital: « il nous apprenait qu’il en avait un, mais nous avons dû faire comme si, évidemment, nous le savions déjà, eu égard à Bastien [le fils], qui devait seulement penser qu’on nous le présentait. De sorte que nous avons réagi sobrement, alors que nous étions très surpris et que, pour ce qui me concernait, j’éprouvais fugitivement la sensation, quand William en sortait, d’entrer de plain-pied dans le non-dit. » Les quatre amis encore vivants finiront par partir en vacances pas trop loin sans que cela ne semble les enchanter particulièrement.

Thème(s) : Voyage, amitié, déménagement, amitié.

III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION

Explication (intuitive mais argumentée) du choix :

Le personnage de Jean est plutôt du style contemplatif. Il contemple et surtout interprète ce qui se produit autour de lui, mais toujours avec une certaine distance qui, comme je l'explique plus loin, pourrait être une forme de protection. De plus, les motivations de l'ensemble des personnages sont le plus souvent imprécises ou carrément absentes. D'ailleurs, même si cette fiche est concentrée sur le personnage principal, Jean, je crois que les remarques soulevées pourraient s'appliquer à tous les personnages du roman.

Appréciation globale :

Lecture agréable, un brin d'humour ici et là, mais il ne faut pas s'attendre à un roman d'aventures. C'est l'histoire de cinq citadins à qui il n'arrive finalement pas grand-chose.

IV – TYPE DE RUPTURE

Validation du cas au point de vue de la rupture

a) actionnelle :

Problèmes d'intention et de motivation

Comme je l'ai déjà mentionné, aucun des cinq amis ne semble connaître la ou les raisons qui les poussent à partir en vacances ensemble.

  • “On s'appelle quoi? Cinq fois par an? Un peu plus quand même, a dit Georges. Ce qui est plus étrange, c'est qu'on ne se voit pas. On s'est vus au réveillon, a dit William. Avec pas mal d'autres, ai-je dit. Georges a raison. On se voit peu et on part en vacances ensemble. Du moment que ça se passe bien, a dit Paul. C'est juste, ai-je dit. On peut peut-être aller dîner, a lancé Louise. Vous gardez vos verres?” (12)

En fait, ils ne parlent de leurs vacances que pour annoncer que la destination à été modifiée. Le reste du temps, ils échangent des propos assez peu personnels, discutent de broutilles.

Plus précisément, Jean explique à plusieurs occasions comment ces cinq personnes en sont arrivées à partir en vacances ensemble. Il raconte qu'un tel est l'ami d'un autre, que lui-même a pris la place de son ami qui est mort, etc. Toutefois, au-delà des circonstances, on ignore tout au long du roman pourquoi ces cinq personnes partent ensemble et surtout, pourquoi ils s'acharnent à partir malgré tout: “Je me suis demandé pourquoi nous nous acharnions à nourrir ce projet de partir ensemble, lequel semblait se présenter à nous, maintenant, comme une obligation dont nous eussions oublié les causes.” (91)

De même, lorsque Georges emménage avec Jean dans un nouvel appartement, ce dernier s'interroge sur ce qui les pousse à prendre un appartement ensemble. Encore une fois, le “comment” a été expliqué de fond en comble (séparations des chambres, repas, visites de l'appartement, etc.), mais le “pourquoi” demeure inconnu:

  • “[Georges] cherchait à positionner ses deux meubles dans sa chambre. Non qu'il eut voulu définir scrupuleusement son territoire, m'a-t-il semblé. Il paraissait plutôt désireux d'en finir, de passer à autre chose. De poursuivre sa vie, peut-être. Il agissait mécaniquement. Je me suis demandé s'il était satisfait d'emménager avec moi, en fin de compte. Je me le suis demandé pour moi aussi. C'était comme si, lui et moi, on agissait sous l'effet d'une pression.” (134)

Très souvent, Jean, le personnage principal, semble être sur le pilote automatique (très scientifique comme terme, je sais). Il ne dévoile alors aucun de ses désirs, aucune des motivations qui le poussent à agir. Le tout est transmis par une écriture très blanche, froide, ce qui renforce la banalité des actions du personnage et surtout son manque d’intentionnalité :

  • “Je pouvais déjeuner n'importe où. Je me suis arrêté dans un café où j'ai pris un croque-madame puis commandé un café. J'ai regardé les gens autour de moi et sur le trottoir, qui passaient avec des airs affairés un peu déconcertants pour un dimanche. D'autres avaient l'air libres, en quelque sorte, mais je les ai trouvés tout aussi déconcertants. J'ai repensé à Morsang-sur-Orge et par association à la maison de ma grand-mère et je me suis senti désarmé, poreux. J'ai envisagé difficilement la fin de l'après-midi. J'ai appelé Agnès, qui était sur répondeur et dont il m'est revenu qu'elle était partie en Corse. J'ai appelé Roberta, mais j'ai interrompu mon appel. Je suis allé au cinéma voir une comédie française qui s'est révélée plutôt bonne et même par endroits subtile, et, quand je suis sorti, j'ai cherché une boutique de DVD ouverte. J'ai trouvé une, j'ai acheté trois DVD et je suis rentré chez moi, où j'en ai regardé deux. Ils n'étaient pas très bons, sans être mauvais, et j'ai hésité à regarder le troisième. Finalement, j'ai regardé le troisième, qui était mauvais. Je me suis levé pour aller voir la voie rapide [depuis sa fenêtre] et je suis allé me coucher sans dîner.” (165)

On ignore pour quelle raison il a tenté d'appeler Agnès et Roberta, il mentionne mais ne précise pas son souvenir d'enfance, comme si au fond tout cela importait bien peu. Il dit qu'il est allé se coucher sans dîner, mais ne mentionne nulle part qu'il était fatigué ou avait faim et, surtout, il dit être allé “voir” la voie rapide, alors que normalement, on dirait, aller “regarder”, “contempler”, etc. “Voir” est un verbe beaucoup plus passif que les deux autres, qui engage beaucoup moins le personnage dans une action.

Noeud d'intrigue: oui. On se demande vaguement si les amis vont vraiment partir en vacances ou si le projet avortera. Péripéties: Chaque nouvelle embûche (séparation de Georges et Christine puis de Paul et Louise, mort de William, etc.) peut être considérée comme une péripétie qui devrait normalement remettre en question l'ensemble du projet, mais qui entraîne simplement un nouvel ajustement de ce projet, comme s'il fallait à tout prix qu'il y ait une résolution, qu'il n'était tout simplement pas envisageable qu'il n'y en ait pas. Résolution: oui. Ils finissent bel et bien par partir.

b) interprétative : Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc.

De la même manière qu'il s'intéressait au “comment” des actions davantage qu'au “pourquoi”, Jean aime observer les gens et le monde qui l'entoure, mais observer leurs manifestations, sans nécessairement chercher à comprendre leurs motivations ou leurs raisons. Par exemple, lorsqu'il revient de visiter William, avec Georges:

  • “Et, tout en marchant avec Georges en direction du boulevard de Port-Royal, où passaient des taxis, je me demandais si Georges n'était pas tout simplement un brave garçon, s'il n'avait pas tout simplement un bon fond. Mais je m'apercevais aussi que cette question ne m'intéressait pas, que je ne m'intéressais pas au fond des gens, que ce qui m'intéressait, chez eux, dans la mesure où je m'y intéressais, c'était ce qu'ils manifestaient, et je me posais plutôt la question de savoir si Georges, après avoir manifesté naturellement de la commisération pour William, ne me témoignait pas tout bonnement une forme d'amitié.” (36)

Tous les personnages du roman - et particulièrement Jean, il me semble - ne cherchent pas à en apprendre davantage les uns sur les autres. “Dès les premières pages, il apparaît que sous le vernis de leur amitié, les personnages ne se connaissent pratiquement pas. Ils ne savent pas grand-chose de leurs vies personnelles et professionnelles, ne s’informent que du minimum exigible, ne savent pas où habitent les uns et les autres et, quand ils le savent, n’y sont jamais allés ; ils ne se rencontrent que dans des lieux publics” (Yann Solle, “La multitude solitaire”)

L'une de ses interrogations les plus récurrentes dans le roman, c'est si le bruit provenant de la rue en bas de son appartement et la vue qu'il a de cette rue sont des avantages ou des inconvénients de son nouvel appartement. Est-ce qu'ils sont bénéfiques ou nuisibles ? Dans quelle mesure ? Il finit par décider que, d'un certain angle, la vue est acceptable. Doit-on voit là une explication de son comportement, ainsi que le suggère Gilles Archambault dans Le Devoir: pour Jean, “à condition de ne pas trop regarder à la fenêtre le défilé constant de la circulation, en s’évitant même de s’en approcher, la vie est supportable” ? C'est possible. C'est tentant, en tout cas. Comme s'il y avait des choses qu'il valait mieux ne pas savoir parce qu'elles ne feraient que tout compliquer. Le fait d'en savoir peu et donc de s'investir peu dans la vie des autres serait alors une sorte de stratégie de protection. Se déconnecter pour se protéger de la complexité de la vie, pour éviter la surtension. L'image est jolie.

Faculté de détachement

Ça n'est pas à proprement parler un problème interprétatif, mais ça vaut la peine d'être mentionné:

  • “Au total, si mes calculs étaient justes, je n'aurais dans le pire des cas qu'un enfant, et ce avec Roberta Giraud, qui ne m'en demanderait sans doute pas d'autre. Ça restait énorme, évidemment. J'ai tenté de ne plus y penser et j'y suis parvenu assez bien parce que je manquais d'outils pour adopter une position viable. L'implication me demandait un travail d'imagination que je n'étais pas en mesure de fournir et la désinvolture me semblait inappropriée. J'ai donc opté provisoirement pour l'oubli. Ou plus précisément pour le classement. J'ai mis ça dans un coin de ma tête où j'ai immédiatement cessé d'avoir accès.” (79)

V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES

Les dialogues sont intégrés dans la narration (voir premier extrait du IVa), ce qui renforce l'impression de banalité des conversations qu'entretiennent les personnages.

De plus, les paragraphes sont très longs et ne s'accordent pas nécessairement avec les changements temporels. Ce rythme inégal ou étrange accentue l'impression de détachement que produit Jean, comme s'il n'était pas non plus normalement sensible au déroulement du temps. Par exemple, aux pages 21 à 24:

  1. Paragraphe dans lequel Jean est dans le métro avec Georges.
  2. Même chose, Jean et Georges dans le métro.
  3. Jean arrive chez lui et se couche. Le lendemain, il arrive au bureau, parle du système solaire avec un collègue dans l'avant-midi, examine différents ouvrages dans l'après-midi, discute avec un collègue, étudie la décoration de son bureau.

Ce n'est pas franchement spectaculaire, mais ça titille, disons.

Voir aussi

Gilles Archambault, “Puisqu'il faut bien vivre”:http://www.ledevoir.com/culture/livres/371514/puisqu-il-faut-bien-vivre
Yann Solle, “La multitude solitaire” : http://zone-critique.com/2013/03/14/la-multitude-solitaire/

ranx/en_ville.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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