Fiche de lecture
1. Degré d’intérêt général
Bien que ce recueil de nouvelles puisse sembler banal aux premiers abords, la complexité des liens entre les divers récits se révèle autour de la centième page, alors que l'on découvre que les protagonistes des nouvelles sont tous liés, non seulement parce qu'ils habitent presque tous le village de Roses-sur-Mer, mais aussi parce qu'ils sont témoins (ou victimes) de l'étrange influence que ce lieu exerce sur chacun d'entre eux. Vaguement folklorique, imprégné de merveilleux et de noirceur, ce recueil est un lecture captivante.
Intérêt pour diffraction : 8/10
2. Informations paratextuelles
2.1 Auteur : Lyne Richard
2.2 Titre : Il est venu avec des anémones
2.3 Lieu d’édition : Montréal
2.4 Édition : Québec-Amérique
2.5 Collection : –
2.6 (Année [copyright]) : 2009
2.7 Nombre de pages : 181 pages
2.8 Varia :Exergue : « Et je veille au fond chaque blessure. » Gatien Lapointe
3. Résumé du recueil
« Dans cette ville, on dit qu'il se passe des choses étranges. Le taux de suicide y est très élevé et les gens perdent l'usage de la parole après avoir vécu ce qu'on appelle un traumatisme profond. Comme si la mer s'emparait des êtres pour satisfaire son besoin d'histoires inachevées.
Ici, à Roses-sur-Mer, on croit que la mer sort ses couteaux la nuit et vient trancher les cordes vocales de ceux qui n'ont plus assez de mots pour la douleur. […]
Pourtant, presque personne ne déménage. Nous avons des ventouses sous nos semelles. Et des rêves déchirés. » (p. 11)
Roses-sur-Mer est un village au-dessus duquel plane le fantôme de Rose, qui au siècle dernier a attendu son fiancé englouti par la mer jusqu'à ce qu'elle tombe en cendres. Depuis, la folie, les amours malheureuses et les suicides sont communs parmi ses habitants. Parmi les nombreux récits de ces nombreuses femmes et quelques hommes qui sombrent dans la démence, comme Ophélie qui tue tous les hommes qui l'ont abandonnée, ou Blanche qui se jette devant un train pour rejoindre son amoureux disparu, on retrouve quelques histoires qui mettent en scène un poète, une femme qui est obsédée par lui et des personnages qui sont eux aussi obsédés par Il est venu avec des anémones, le roman écrit par ce même poète alors qu'il résidait dans la maison de Rose. Ce sont ces récits qui semblent être le noyau du recueil.
S'il est difficile de résumer les évènements du recueil, on peut toutefois relever assez facilement les principaux thèmes qui en créent l'unité. La mort, d'abord, est omniprésente et est centrale dans la vie de tous les personnages, que ce soit la mort d'un proche (« Le vingt-huit août 1989 »), l'éventualité ou le désir de la mort (« L'invitation », « Une robe en coton jaune »), ou la mort, plus métaphorique, des espérances (« Les crayons feutres », « Retour »), des souvenirs (« Ma mémoire d'elle ») ou de l'enfance (« Menthe poivrée », « Ça »). L'amour y est soit empreint de désespoir (« Au commencement était la chair ») ou de folie (« Vous », « La femme que j'aime », « Ma mémoire d'elle »; je suis portée à voir, dans ces trois nouvelles qui se suivent, une continuité, du moins thématique, peut-être à cause de l'anonymat des personnages… Dans la première nouvelle, une femme (folle) espionne la vie du poète pour qui elle ressent un amour qui devient de plus en plus malsain; dans la seconde, un homme observe sa femme, folle, se baigner; dans la troisième, une femme qui a toujours été « plus proche de la lune que de la terre » (p. 125) et qui est obsédée par le roman Il est venu avec des anémones perd la mémoire, confond tous les hommes de sa vie et finit par sombrer dans le fleuve en plein hiver).
Des fragments de scènes ou d'anecdotes se recoupent dans certaines nouvelles, comme l'épisode de la femme qui sort de la mer les seins nus (« La femme que j'aime », « Ça »); l'incendie du Resto chez Mado (« Madame Mado », « Cet été-là »); l'allusion à un garçon qui retrouve sa mère pendue (« Ça », « Juliette », « Il est venu avec des anémones »). De plus, les personnages sont parfois mentionnés par d'autres.
Le recueil est encadré par deux nouvelles qui font office de prologue et d'épilogue. La première, « Roses-sur-Mer », décrit le village et l'étrange malédiction dont il est victime. La toute dernière, « Cet été-là », décrit comment la mer a vomit des ossements, reliques de tous les morts tombés au village, et a détruit les habitations. On reconnaît le personnage du poète et de la narratrice de « Menthe poivrée », en plus d'allusions aux individus des autres textes et, bien sûr, à Rose qui surgit dans quelques nouvelles.
4. Singularité formelle
Le recueil réunit 21 nouvelles qui esquissent le portrait de la communauté de Roses-sur-Mer, ce qui assure la cohérence du recueil. Voir le point 3 pour plus de détails.
5. Caractéristiques du récit et de la narration
Les modes de narration changent d'une nouvelle à l'autre. Les récits sont soit à la première personne (comme dans le cas de « Vous », qui est une lettre adressée au poète, ou de « Juliette », dont la narration est assurée par une vieille femme qui semble parler à quelqu'un), soit à la troisième personne (dans ces cas, le narrateur peut-être omniscient ou intradiégétique).
6. Narrativité (Typologie de Ryan)
6.2- Multiple : le cadre est établi par la première et la dernière nouvelle. Les autres textes sont autonomes.
7. Rapport avec la fiction
Un roman intitulé Il est venu avec des anémones est mentionné plusieurs fois dans les textes. Quelques nouvelles mettent en scène le Poète, qui est l'auteur de ce roman fictif. Plusieurs des personnages du recueil ont lu ce roman; il exerce une fascination sur la plupart d'entre eux. Dans « Ça », une jeune fille mentionne l'épisode du roman dans lequel un garçon trouve sa mère pendue. Dans la nouvelle « Il est venu avec des anémones », le poète raconte comment son père, venu à la maison familiale avec un bouquet d'anémones, l'a trouvé près de sa mère pendue. Finalement, dans « Juliette », la vieille femme fait allusion à une pensionnaire qui s'est pendue après la visite de son fils. Il y a ainsi un brouillage entre réalité et fiction au sein des nouvelles…
8. Intertextualité
Quelques allusions par-ci par-là, comme à Anna Karénine, mais rien de très significatif.
9. Élément marquant à retenir
La cohérence thématique entre les nouvelles, la poésie des textes.