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Table des matières
Simon Nadeau (2013), L’autre Modernité,
Montréal, Boréal, coll. « Liberté grande ».
Remarques générales :
- • Essai d’inspiration philosophique et littéraire (reprise de textes autour d’une thématique, d’une idée générale), avec une certaine visée polémique, puisqu’il s’agit de déconstruire une certaine conception de la modernité québécoise qui serait un poncif déformant.
- • But de l’ouvrage : « Regroupés en faisceau autour de l’idée éponyme du recueil, L’Autre Modernité est constituée d’une suite d’essais dont chacun pourrait en quelque sorte constituer une ‘‘scène’’, une étape dans cette quête d’une modernité qui serait à la fois plus substantielle et plus profondément émancipatrice pour l’homme d’aujourd’hui. Comme son titre l’indique, ce livre ne vise aucunement à en finir avec la modernité, mais à dégager celle-ci d’une trop forte adéquation avec le monde dit “moderne”, qui occulte, plus qu’il ne révèle, ce qui nous semble être le noyau intérieur, le noyau signifiant de cet essor de la modernité : soit l’émergence de l’individu, d’une subjectivité réflexive et d’un espace intérieur. » (dans l’Avant-propos, p. 7)
- • À propos de l’intérêt porté à des œuvres oubliées de la littérature canadienne-française (dans la 1ere moitié de l’essai) : « Or, il s’agit ici non pas d’ajouter une autre couche de déni à l’étude de la culture et de la littérature canadiennes-françaises, mais de se mettre à l’écoute de ces germes de modernité à contre-courant et de ces pousses d’universalité à partir desquels on pourra envisager l’avenir et dessiner les contours d’une autre modernité : celle de demain. » (dans l’Avant-propos, p. 8)
Propositions, idées, constats et hypothèses :
- • « Cette modernisation accélérée et généralisée de la société, qu’on appela au Québec la “Révolution tranquille”, n’aurait toutefois jamais pu avoir lieu si elle n’avait été préparée de longue date par des précurseurs et des combattants comme Jean-Charles Harvey (1891-1967). En ce sens, l’histoire de la modernité intellectuelle au Québec précède la Révolution tranquille. » (2013 : 24)
- • L’essentiel des combats de ces « autres modernes » est dans la libération de l’individu, ce qui ne veut pas dire un rejet du collectif. « Mais le collectif, selon eux, ne devait jamais prendre toute la place – et ces combats devaient en définitive servir l’épanouissement de l’individu. » (2013 : 25)
- • Rôle du penseur et de l’écrivain : « jeter des ponts entre l’Ancien et le Nouveau » (38)
- • Définition de la modernité : « essentiellement, renvoie à l’émergence du sujet et de la subjectivité, laquelle, pour apparaître, a besoin de se délester du poids de l’Histoire. » (2013 : 68)
- • « Dans cette quête d’une autre modernité, j’ai interrogé […] les œuvres d’auteurs canadiens-français ayant tous, d’une façon ou d’une autre, ébranlé le conformisme, l’immobilisme et le traditionalisme de leur société d’appartenance : des écrivains plus ou moins inquiets et solitaires, vivant dans leur chair ce passage à la modernité et le processus d’individualisation qui l’accompagne, nécessairement douloureux parce qu’il nous sépare de la “conscience commune” et de la sécurité que l’on trouve à l’abri du “nous”. Le “je” qui s’essaie est en effet toujours précaire, toujours risqué, sa “singulière universalité” est un pari, un appel lancé à tous les “je” qui réfléchissent et se questionnent en dehors des schémas ataviques, grégaires et collectivistes de la pensée commune. Le “je” authentique est une plante rare, peu cultivée dans la société traditionnelle canadienne-française. Cela dit, je ne sache pas que les prés du “Québec moderne” soient couverts aujourd’hui de cette plante exotique et fragile qui s’acclimate difficilement aux régions balayées régulièrement par les vents du “nous autres”… […] » (2013 : 97)
- • L’auteur dénonce en quelque sorte le rejet de la culture canadienne-française, condamnée pour cause d’obscurantisme, mais ce rejet serait, selon Nadeau, tout autant obscur, tout autant un déni : « Comme passage décisif à la modernité sur le plan culturel et intellectuel, comme affirmation incontournable du sujet pensant dans les discours sociaux et identitaires, comme renouvellement en profondeur des thèmes et des imaginaires de création, il aurait peut-être fallu […] chercher à faire accéder à leur plein épanouissement les germes d’universalité et de modernité que l’on trouvait déjà dans la culture canadienne-française, plutôt que de renier celle-ci en bloc et d’être rattrapé à tout moment par ce qu’il y a de plus détestable chez elle : la peur de l’autre, la fixation identitaire, le conformisme, le misérabilisme, la haine de soi, le repli sur soi. » (2013 : 100)
- • [Suite] Question du rejet en bloc du passé canadien-français : « C’est dire que le passage à la modernité ne se décrète pas du jour au lendemain, et qu’il ne suffit pas de liquider le passé pour être de son temps et quitte envers lui. Ainsi, le refoulé n’a cessé de faire retour tout au long de ce que nous pourrions appeler l’“histoire moderne du Canada français”, mais que l’on fait tout pour ne pas appeler de cette manière, préférant, dans le déni généralisé devenu lieu commun, parler de l’“histoire du Québec”, n’hésitant pas au besoin à réécrire l’histoire. Mais ce qui a été refoulé de la sorte, ce sont aussi toutes les pistes ouvertes à la modernité et à l’affirmation des singularités à même la culture canadienne-française d’avant la Révolution tranquille. Ce sont ces pistes que nous avons voulu suivre en nous attardant aux œuvres de Toupin, de Saint-Denys Garneau et de Ringuet. » (2013 : 100-101)
- • [Suite] Ces écrivains seraient des passeurs, de ceux qui ménagent des ponts entre Ancien et Nouveau : « À travers leurs œuvres, une autre façon de rompre avec l’ancien pour ménager des ponts vers la nouveau a été esquissée. Plutôt que de passer par la “Grande Rupture” ou la “Liquidation généralisée”, cette voie plus discrète consiste en un lent processus d’intériorisation et d’individualisation. L’héritage culturel n’est pas évacué mais intériorisé au point de devenir parfois méconnaissable dans ce processus de subjectivisation; on s’en détache non pas en le traînant dans la boue ou en blasphémant, mais en le faisant accéder à un autre niveau, plus personnel, plus existentiel : un niveau qui concerne avant tout l’homme et le sujet modernes. Ce faisant, et contradictoirement, le passage à la modernité est peut-être plus substantiel, plus profond et plus radical, même si les traces de l’ancien sont plus vives et plus marquées, parce qu’il n’escamote pas cette difficile transition faite d’arrachements, de retours, d’exil intérieur, de subjectivation, mais aussi d’attachement à ce qui fut. C’est dans ce tiraillement, me semble-t-il, que la conscience de soi s’éveille véritablement, plus que dans le déni ou la rupture, qui ne peuvent conduire qu’au retour du refoulé, d’une part, ou à l’adhésion aveugle aux poncifs modernistes, d’autre part. » (2013 : 101)
- • Contre une certaine vision de la modernité (techniciste et déshumanisante) : « Évidemment, en mettant de l’avant cette idée d’une autre modernité, nous accentuons l’écart avec une certaine représentation de la modernité. Mais cet écart n’est pas refus de la modernité : cet écart est refus d’une modernité qui, en se développant sous la poussée d’un technicisme et d’un productivisme conquérants, se ruine à mesure qu’elle avance, se nie en même temps qu’elle triomphe. Cette modernité, celle qui s’épanouit aujourd’hui en Occident et que le reste du monde s’efforce d’imiter, n’est que trop rarement celle du sujet pensant, de la conscience individuelle ou de l’écart réflexif. Si l’affirmation des singularités et des individus est avec l’essor de cette modernité encouragée jusqu’à un certain point, elle est aussi obstruée, ramenée à des types et à des schémas comportementaux socialement rentables. Pauvre, superficiel et restreint, l’individualisme favorisé et valorisé dans les sociétés modernes se doit de servir, en dernière instance, à la reproduction sociale et à la réalisation du projet prométhéen de l’homme occidental, qui cherche avant tout la puissance, et non la liberté – une puissance [103 :] qui s’appuie sur la technique et la connaissance rationnelle du monde matériel plutôt que sur un véritable approfondissement des singularités et des expressions. » (2013 : 102-103)
- • L’Autre modernité dont il est question est vue comme « plus substantielle, plus spirituelle, plus profondément libre et émancipatrice, et, par conséquent, moins productiviste et moins techniciste » (2013 : 104)
Questions de littérature québécoise :
- • 1964 : Hubert Aquin publie « Profession : écrivain » + numéro manifeste de Parti pris intitulé « Pour une littérature québécoise ». Nadeau : « lequel pourrait bien être considéré comme l’acte de naissance de la littérature québécoise, naissance qui cache mal son homicide, celui de la littérature canadienne-française et de l’écrivain canadien-français du jour au lendemain traîné dans la boue ainsi que ses livres. » (2013 : 43) [note : le 2e segment de l’affirmation me paraît discutable…!]
- • L’auteur compare Groulx et Miron qui auraient, au final, les mêmes revendications : « Si autrefois Groulx se tournait vers “notre maître le passé”, faisant de la sauvegarde de la langue et de la religion les piliers de l’intégrité nationale, Miron, en 1965, se tourne vers le politique et l’État pour assurer cette intégrité. Cette différence d’aiguillage ne change rien au culte qu’ils semblent vouer tous deux à l’intégrité nationale et à l’homogénéité. » (2013 : 46-27)
- • Valorisation du collectif dans l’histoire littéraire québécoise : « L’un des problèmes de l’histoire littéraire au Québec, telle qu’on se la raconte et se la représente, ne serait-il pas alors – suivant en cela la voie du salut assuré par le collectif – de privilégier, règle générale, les œuvres ayant, ou du moins qu’on imagine avoir, une fort coefficient de représentation sociale? Un peu comme si le rôle de l’écrivain au Québec était de nous représenter la société québécoise; la culture n’étant plus envisagée comme dépassement de soi et du milieu, mais comme reflet de ce milieu. Et si l’écrivain, en dehors de son œuvre ou dans son œuvre, porte la nation avec lui, à bout de bras, on ne saurait demandé mieux! Le problème avec une telle représentation de l’histoire littéraire, on s’en doute, c’est qu’en valorisant les champions du collectif on marginalise du même coup les œuvres singulières, inclassables, personnelles, non représentatives, comme celle de Toupin ou d’autres écrivains, des œuvres qui n’ont pas la prétention de représenter à elles-mêmes la société ou la nation, mais qui pourtant pourraient rejoindre chacun dans ce qui le fait [50 :] être humain : en s’adressant tout particulièrement à sa subjectivité pensante et réflexive, souffrante et désirante. » (2013 : 49-50)
- • « En ce sens, l’avenir de la littérature canadienne-française ne me semble pas non plus résider dans l’édification d’une nouvelle “littérature nationale” qui la remplacerait ou l’occulterait, et qu’on aurait rebaptisée du nom de “québécoise”, mais dans la reprise personnelle et intérieure de l’essence germinative de la littérature canadienne-française, que l’on confronterait alors aux œuvres majeures de la littérature mondiale dans l’espoir qu’elle produise des œuvres nouvelles, à la fois singulières et universelles. En l’occurrence, la littérature canadienne-française […] ne sera pas sauvée par un sursaut national, mais par sa recréation et son renouvellement à la faveur de démarches individuelles et solitaires. Seules ces démarches singulières pourront inspirer le solitaire d’aujourd’hui cherchant son chemin dans les décombres de la culture mondiale contemporaine, qui rend tout possible, le pire comme le meilleur. » (2013 : 231)
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