Table des matières
Atelier sur la notion de porosité
(Extrait du pv de la réunion du 29 août 2013)
Présentation :
Cet atelier vise à réfléchir plus avant à la problématique de la recherche, soit la notion de porosité. Les questions posées sont :
- Comment amorcer le deuxième volet de la recherche (soit le travail sur les œuvres) à partir de cette hypothèse?
- Comment, aussi, l'intégrer aux travaux et réflexions déjà en cours?
Afin d’appuyer la réflexion, trois documents ont été préparés :
- Un « carnet de recherche » autour de la notion de porosité (préparé par MA). Il s’agit d’un compte rendu théorique de diverses réflexions et lectures autour de notions connexes : hétérogène, porosité, baroque, hybride, éclectisme, etc.
- Un portrait des maisons d’édition en lien avec la question de la porosité (préparé par Marie-Hélène Voyer)
- Une liste d’œuvres potentielles (préparée par MH Voyer à partir des catalogues des maisons d’édition)
Et trois documents ont été relus :
- L’extrait de la demande de subvention concernant la question de la porosité
- Un article de François Ricard, « Remarques sur la normalisation de la littérature »
- Le liminaire de Nathalie Watteyne au dossier « Spécial écritures hétérogènes » dans la revue Jet d’encre
Extraits de la demande de subvention (pour mémoire – version simplifiée)
Notre hypothèse :
- s’appuie sur un constat d’hétérogénéité qu’elle souhaite toutefois articuler à un processus constituant; autrement dit : voir les phénomènes moins comme des ambiguïtés que comme des principes structurants
- est que la porosité constitue un principe véritablement structurant des pratiques narratives contemporaines au Québec, principe dynamique qui appelle les zones de contact et qui renouvelle les extensions possibles du geste de raconter aujourd’hui.
Diverses déclinaisons possibles du phénomène :
- porosité du populaire et du savant
- porosité des genres et des formes discursives et médiatiques, anciennes et nouvelles
- porosité d’esthétiques contradictoires comme le baroque et le minimalisme
- porosité des pratiques et des postures d’écriture (journalisme et littérature; fiction et histoire, fiction et critique, etc.)
- porosité de l’ici et de l’ailleurs,
- porosité du réel et de la fiction (ou de l’imaginaire), comme dans l’autofiction ou des œuvres strictement fictives (ex : Marie-Claire Blais, Élise Turcotte)
- porosité des langues et des registres,
- porosité de l’oral et de l’écrit
- etc.
* Interroger des œuvres à la lumière de leur porosité, de leur perméabilité à d’autres formes discursives, à d’autres pratiques médiatiques, voire à des usages associés à la culture numérique. La notion s’articule aussi à une poétique de la voix et à une réflexion sur la médiation opérée par le récit et les arts dans un contexte d’expansion sans précédent des pratiques médiatiques.
Exemples d’écrivains : Dany Laferrière, Hervé Bouchard, David Leblanc, Nicolas Dickner.
* Si l’on considérait souvent, en littérature moderne, le roman comme genre total, pouvant absorber les autres pratiques et les mimer, la situation générique paraît différente aujourd’hui : les œuvres ne se réclament pas volontiers du roman, elles s’inventent des étiquettes génériques et déjouent les attentes associées aux genres. Ce sont donc les mouvances (discursives, narratives, esthétiques) discernables dans ces œuvres qui seront interrogées.
Méthodologie :
Établir un inventaire des principaux modes de manifestation d’un processus de porosité dans les textes (les possibles et les usages) :
- à partir des œuvres des projets individuels (romans fragmentés ou minimalistes, romans biographiques, romans à narration problématique, fictions d’auteur, récits du lieu, récits de soi, etc.)
- repérer les œuvres narratives qui cherchent à exhiber une hétérogénéité et une perméabilité constitutive
- Établir les effets et les enjeux de la porosité : a) au sein d’œuvres singulières b) dans des ensembles constitués
* Cet inventaire doit conduire à dégager des modèles de systématisation basés sur les éléments mis en contact (genres, médias, modes de référentialité, discours, niveaux narratifs, savoirs, esthétiques, etc.) ou sur les types de relation et d’échange instaurés.
En regard du roman total, qui se donne comme une vaste et complexe unité organique, qu’ont à offrir ces œuvres narratives qui cherchent plutôt à exhiber une hétérogénéité et une perméabilité constitutives? Quelle vision du réel et du rôle du récit ce repositionnement du narratif vient-il sanctionner? Si, au sortir de la modernité, la littérature québécoise contemporaine était surtout vue comme la fin du récit collectif et identitaire, qu’ont à proposer les pratiques narratives fondées sur la porosité?
DISCUSSION
I- Les principales interrogations et difficultés soulevées :
o En quoi le terme est-il pertinent? Et en quoi se distingue-t-il des termes comme hétérogène, hybridité (hybridation), éclatement, baroque, etc.?
o Voit-on la porosité comme une résultante? Autrement dit : est-ce qu’on pense que c’est un processus dans son intentionnalité ou quelque chose qu’on déduit d’un corpus, d’un état de fait? À quoi tiendrait ce processus? Serait-ce un travail sciemment mené d’hybridation ou un processus davantage inconscient?
o En raison de la « myopie » contemporaine, faut-il garder en tête qu’on ne peut faire une véritable synthèse? De même, une description qui serait en même temps une classification demeure certainement difficilement envisageable, si on considère, justement, l’importance des nombreux phénomènes de porosité.
o De plus, l’examen des processus de porosité serait-il une façon autre d’étudier une transformation pour compenser la myopie contemporaine? Ou est-ce un phénomène véritablement actuel? La porosité est-elle notre outil ou notre objet?
II- Les principales réponses apportées (les consensus) :
A) Au niveau des termes :
o La porosité est envisagée comme principe structurant. Il y a pluralisme, certes, mais tout ne va pas dans toutes les directions.
o La porosité se distingue nettement de l’hétérogène (qu’on associe à la diversité) et de l’éclatement. Aborder des phénomènes sous l’angle de la porosité permet de déplacer le point de vue vers l’amont. L’hétérogène pourrait même masquer la porosité qui met en place des contaminations plus subtiles.
o La porosité se rapproche davantage des phénomènes d’hybridation, bien que l’hybridation implique généralement une nouvelle forme, alors que la porosité empêche les distinctions nettes. Toutefois, l’idée de contamination est présente dans les deux cas, mais, en ce qui concerne la porosité, la contamination conduirait plutôt à une forme d’indistinction en plus de transformer le rapport au sens. De plus, l’hybridité pourrait être un résultat possible d’un phénomène de porosité (c’est un cas de figure) qui se constate en amont (ce qui nous incite à porter notre attention davantage sur les « opérations » que sur les « résultats »).
o La porosité est davantage vue comme un épistémè, soit une façon de concevoir l’art et la littérature propre à notre époque; ou encore : une réponse à « Comment on fabrique la littérature à un moment historique précis ». De cette façon, nos deux axes de recherche se trouvent investis.
B) Au niveau de la méthode :
o On ne cherche pas à identifier des phénomènes particuliers et des cas singuliers, mais à décrire un ensemble par le biais de cette approche. Il faut aller vers des ensembles plus larges et dessiner des constellations.
o Il ne faut pas être dans le descriptif, mais plutôt dans l’observation du processus : Quelles sont les influences extérieures et intérieures qui viennent modifier le narratif? Comment les pratiques en viennent-elles à se contaminer? Comment cela vient-il changer le geste de raconter aujourd’hui?
o Il est important de faire une place à la question de la réception : par exemple, d’identifier des attendues de la lecture qu’une certaine porosité rend inopérante, des oppositions qui ne résistent pas à l’expérience de la lecture (ex : La constellation du Lynx où il n’y a plus de frontières entre fiction et Histoire, entre réel, incarné par les archives, et la fiction.)
C) Au niveau du contexte (le contemporain)
o La porosité est sans doute plus fortement à l’œuvre à l’époque actuelle, relève certainement d’une esthétique contemporaine. Cela reste une hypothèse à valider, mais il n’en demeure pas moins que les dictas sur la façon de faire la littéraire sont moins forts et permettent sans doute cet éclatement (il n’y a pas de grand manifeste, mais chacun se « bricole son petit glissement »).
o De plus, il semble que nous ne soyons plus dans une logique de la distinction par l’opposition, car la distinction n’est plus un principe structurant ni un enjeu de valeur comme auparavant. En effet, dans le cadre actuel, il ne s’agit plus de s’opposer à l’homogénéité (mais il n’y en a plus de toute façon). Peut-être, le fait qu’il n’y ait plus de réelle « distinction » empêche-t-elle la classification? Dans ce contexte, l’esthétique de porosité est moins idéologique que, par exemple, l’hétérogène.
o Il y aura éventuellement un coup de sonde critique à faire du côté de la dimension historique, afin d’aller chercher certains repères et bâtir le cadre théorique. Par exemple, le passage de la distinction entre hétérogène, hybridité et porosité (qui sont les trois termes à définir), l’importance de la logique de distinction dans les années 80, l’hybridité tel qu’en parle Janet Paterson, etc.
III- Au terme de l’atelier, il est suggéré :
o De partir des exemples de la demande de subvention – de travailler autour de phénomènes précis.
o De procéder éventuellement à une description sur le modèle du collectif Enjeux des genres et qui définirait de façon théorique les notions qu’il nous faudra maîtriser et différencier : porosité, hybridité, hétérogénéité.
o Considérant que le phénomène qui nous intéresse ne se limite pas à la littérature, d’organiser un atelier de travail avec des spécialistes d’autres disciplines (ex : un historien de l’art) pour leur présenter, d’une part, les prémisses de nos réflexions et voir, d’autre part, quel est l’état de cette réflexion sur l’hybride et l’hétérogène dans leur champ respectif (RD suggère Johanne Lalonde, professeur au département d’histoire de l’art).
o D’organiser d’abord un atelier en janvier autour de quatre œuvres choisies et qui seront analysées en commun sous l’angle de la porosité. Les 4 œuvres sont : La fiancée américaine d’Éric Dupont, Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier, Mayonnaise d’Éric Plamondon et Maléficium de Martine Desjardins .
De plus :
- AM rappelle la valorisation de l’éclatement qu’on retrouve sur le marché de l’édition, comme en font foi les 4e de couverture de nombreux ouvrages récents.
- MPH suggère également la lecture de La vie esthétique de Laurent Jenny.
- RD suggère l’exemple de La Hache de Larry Tremblay, œuvre qui est à la fois un texte dramatique et un roman.
- Le travail à faire par les assistants n’a pas été déterminé. Les chercheurs verront au cas par cas, et les assistants pourront, au besoin, prendre connaissance de la synthèse de l’atelier.