Notice bibliographique : Arsenault, Mathieu, Vu d'ici, Montréal, Triptyque, 2008, 97 p.
Résumé de l’œuvre :
Mathieu, le plus souvent affalé devant sa télé, dans une maison de banlieue, dévoile ses pensées vitrioliques. Le roman est séparé en cinq sections: nouvelles internationales, continentales, nationales, régionales et locales et plusieurs des réflexions décousues de Mathieu proviennent de près ou de loin de ce qu'il contemple à l'écran, comme en témoigne l'abondance de références télévisuelles. Une bonne partie du mode de vie occidental y passe (surconsommation, inégalités sociales, l'humain comme robot, etc.), mais c'est surtout contre la télévision que se déchaîne le jeune homme. Elle est accusée d'encourager tour à tour la servilité, le conformisme et l'inaction en remplissant la tête des téléspectateurs d'images pour les endormir. Mathieu, lui, n'y échappe pas et le roman montre bien comment son intelligence (voir “manifestations”) est constamment attaquée à la fois le trop-plein et l'absence de sens que lui fournit la télévision. Il a conscience de son aliénation, mais ne parvient pas y échapper sauf peut-être lorsqu'il fait la connaissance de Rosemarie, avec qui il semble remonter plus facilement à la surface pour lutter contre son apathie. Bref, un roman du combat de l'action consciente contre l'indolence, des yeux ouverts contre les oeillères.
Narration : Autodiégétique
Explication : Le narrateur, Mathieu, dévide sa pensée en paragraphes d'une à deux pages. Sauf exception, chacun ne contient qu'une seule phrase sans ponctuation hormis la majuscule de départ et le point final. Cela accentue l'impression de lire un flux de conscience empreint de colère et de frustration, une sorte de scansion sans règle et “défoulante”. Car même sans ponctuation et avec une syntaxe parfois douteuse ou minimaliste, un certain rythme s'impose, révélateur d'un discours acharné à dénoncer un écran abrutissant autant qu'un mode de vie abêtissant.
Personnage(s) en rupture : Mathieu
A) Nature de la rupture : interprétative
Explication : Comme je l'ai écrit à la fin du résumé, dans l'esprit de Mathieu luttent la volonté de prendre conscience et celle de tout ignorer. Difficilement conciliables, des deux façons d'être par rapport au monde déchirent Mathieu qui, malgré son acharnement à dénoncer, ne peut quitter son fauteuil ni “connecter” avec les autres: « […] ils insistent pour me parler des nids de poule des petits voleurs et des prédateurs sexuels en probation quand j’ai de la difficulté à marcher parce que je ne comprends plus mes pieds pendant que les horreurs continuent que les ordures s’accumulent et que la plus petite partie de la population mondiale se magasine un reer pendant que l’autre constate en silence qu’il y a la guerre le chômage et entre les deux j’essaie de connecter mais rien ne semble fonctionner je ne connecte rien avec rien ni personne même si je trouve toujours tout ce que je cherche » (p. 82). Le clivage entre les yeux ouverts et les oeillères entraîne donc Mathieu dans une sorte d'angoisse autant déclamatoire qu'existentielle.
B) Origine de la rupture : actorielle
Explication : Certains paragraphes laissent croire que la rupture de Mathieu d'avec le monde provient de son passage à l'âge adulte. Dans “Rions un peu”, par exemple, il se remémore le cégep ou l'université, lorsqu'il fabriquait des pancartes avant d'aller manifester (!), son appartement en désordre et ses amis de l'époque qui depuis se sont “rangés”: “C'est l'histoire d'un gars comprends-tu qui dans les années quatre-vingt-dix aimait plus que tout les manifs les autobus loués et les nuits blanches à confectionner des pancartes […] je voudrais retrouver cet appart en désordre pour échapper à ces images de ma génération qui s'effondre et pour inviter mes amis à boire de la bière et à ne rien faire en parlant de ce qu'on a vu en écoutant la télé en jouant au super nintendo pour avoir encore quelque chose à leur dire parce que je suis en train de les perdre un par un avec histoires de gagner de l'argent pour payer l'hypothèque et les vacances c'est l'histoire d'un gars comprends-tu qui faisait des pancartes avec pète et répète et moi dans bateau mais pas longtemps après tout le monde est tombé à l'eau qui qui reste ? qui qui reste.” (p. 51-52, le point d'interrogation précédent est d'ailleurs, je crois, la seule ponctuation à l'exception des points finaux des paragraphes). Bref, selon Mathieu, les autres ont changé mais lui est resté le même, c'est pourquoi il ne se reconnaît plus non seulement dans la société à laquelle il devrait en toute logique, suivant la masse, adhérer, mais aussi chez les individus qui autrefois semblaient penser comme lui.
C) Manifestations : langagières, volitives
Explication :
Langagières: voir aussi “narration”, mais j'en profite pour mentionner que Mathieu fait appel à de nombreuses références culturelles révélant son intelligence qui, elle, permet sa violente prise de conscience ou, à tout le moins, l'empêche de sombrer complètement dans l'inconscience, notamment dans ce magnifique passage où le Speak White de Michèle Lalonde est magnifiquement exploité pour critiquer la société de consommation : « je ferme ma gueule parce que speak white il est si beau de vous entendre parler du x-box 360 ou de l'augmentation de votre pouvoir d'achat speak white best buy and loud qu'on vous entende de boucherville à beauport pour enterrer le bruit des os qui craquent quand on me passe dessus le rouleau compresseur des privatisations et des baisses d'impôts speak bas prix parlez-nous de choses et d'autres parlez-nous de la semaine où on paie les deux taxes ou du concours gagnez vos achats visa speak grande liquidation nous sommes un peuple peu brillant mais nous sommes capables d'apprécier une offre qu'on ne peut refuser au future shop de mon quartier […] » (p. 63). Mais cette interprétation de la société de consommation à la lumière de l'historique et mordant Speak White ne permet tout de même pas à Mathieu de vaincre son aliénation…
Volitives: même si son discours est enflammé, qu'il crie son indignation à tout vent, Mathieu ne peut s'empêcher de regarder la télévision. Il est par conséquent en rupture à la fois avec le monde et avec lui-même puisqu'il n'obéit pas à ses principes ou à ses valeurs.
D) Objets : -
Explication :
E) Manifestations spatiales : Aucune
Lieux représentés : Aucun lieu représenté. Le roman ne contient pas de descriptions. On peut imaginer que Mathieu est dans son salon devant une télé, mais rien de plus.