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ranx:un_homme_efface [2013/08/04 13:56] – créée sebastien | ranx:un_homme_efface [2018/02/15 13:57] (Version actuelle) – modification externe 127.0.0.1 |
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=== Validation du cas au point de vue de la rupture === | === Validation du cas au point de vue de la rupture === |
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** a) actionnelle :** Remise en question de l’intention (et éventuellement de la motivation); logiques cognitives/rationnelles ou sensibles; présence ou absence d’un nœud d’intrigue et d’une résolution; difficulté/incapacité à s’imaginer transformer le monde (à s’imaginer le monde transformable), etc. | ** a) actionnelle :** |
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Sa décision de plaider coupable à un crime qu'il n'a pas commis est révélatrice de cette difficulté à s'imaginer le monde transformable | Globalement, on peut dire que Damien North n'est pas quelqu'un de très proactif: il prend peu d'initiatives et, à part la philosophie et l'arbre de sa cour, il n'est animé d'aucune passion. À la page 133, il fait lui-même l'inventaire de ses réalisations au cours de sa vie ; cela ne fait que le déprimer davantage. |
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| Sa décision de plaider coupable à un crime qu'il n'a pas commis est révélatrice de cette difficulté à s'imaginer le monde transformable. Il se voit déjà condamné et ne voit pas l'intérêt de se battre, de se défendre.\\ |
| Ainsi, quand son avocat lui conseille fortement de plaider coupable, parce que même s’il le croit innocent (bien sûr…), les preuves sont accablantes, Damien North sent qu’il perd le contrôle de son existence : |
| « North avait baissé la tête. Il sentait naître une sensation qui commençait à lui devenir familière : une irrespirable légèreté, comme si la part la plus vivante de lui-même, exilée par la peur ou le chagrin, se retirait peu à peu de son corps devenu pulpe inerte, coquille vide, souffle sans souffle. » (89) |
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| La résolution du roman est, disons, partielle: North se fait à nouveau accuser (ses voisins affirment qu'ils observent la baignade des enfants des voisins depuis l'arbre de sa cour), mais un bon samaritain l'aide à se sortir de ce mauvais pas. Résultat mitigé, donc, mais une chose est sûre: Damien North ne pourra jamais s'en sortir seul. |
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** b) interprétative :** Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc. | ** b) interprétative :** Difficulté/incapacité à donner sens au monde (à une partie du monde) de façon cohérente et/ou conforme à certaines normes interprétatives; énigmaticité et/ou illisibilité du monde; caducité ou excentricité interprétative; etc. |
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| Le problème interprétatif de Damien North se développe sur deux axes. Premièrement, il ne comprend pas grand-chose aux conventions sociales. Lorsqu'il les comprend, c'est après avoir fait une gaffe, par exemple ses déclarations spontanées à la journaliste qui ne font que l'incriminer davantage (p. 61 et 66). En fait, ses relations avec les autres sont soit minimales (ses collègues, ses voisins ; les relations obligatoires, bref), soit laborieuses et conflictuelles. |
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| Deuxièmement, North est passablement perturbé à sa sortie de prison. Il se remet continuellement en question et semble même craindre ce que cette histoire lui a appris à propos de lui. |
| Après être sorti de prison : « Lui-même était à ses propres yeux un mystère, une énigme. Mais s’il était incapable de connaître, pourquoi attendait-il des autres qu’ils le comprennent ? Ils ne pouvaient rien pour lui. Ce n’était pas leur faute; simplement ils ne pouvaient rien. Entre eux et lui, il n’y aurait jamais rien d’évident. Monstre hier, aujourd’hui victime : tout ce qui avait changé, c’était la nature du malentendu. Mais le malentendu lui-même, le malentendu persisterait jusqu’à la fin des temps. » (207) |
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| Damien North est de moins en moins convaincu de son inoffensivité, que son entourage semble prendre pour acquis depuis qu’il est sorti de prison : « L’évidence peu à peu s’imposa : c’était de lui-même qu’il se défilait. Il avait l’impression de ne plus se connaître. Et les autres ne le connaissaient pas mieux. //Tu ne ferais pas de mal à une mouche// : c’était faux. Il avait failli tuer un homme en prison. […] il était semblable aux autres : violeurs, pédophiles […]. Était-il un homme dangereux ? De quoi était-il capable ? Ces doutes s’alourdissaient de sa conscience qu’il avait d’incarner, aux yeux des autres, l’innocence absolue. On lui déniait toute aptitude au mal. Ayant subi une injustice, il était nécessairement blanc comme neige. //Tu ne ferais pas de mal à une mouche//. Poussé en sens inverse par une sorte de mouvement pendulaire, il sentait en lui des abîmes. Des cruautés oubliées lui revenaient en mémoire. Il se voyait dans un miroir d’infamie. » (217) |
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==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== | ==== V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES ==== |
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À certains moments du récit, on en vient nous aussi à douter de l'innocence de Damien North. D'une part, les preuves sont réellement accablantes et, d'autre part, le personnage-narrateur lui-même devient de moins en moins attachant. C'est subtil comme transformation, mais on en vient à suspecter sa culpabilité et, donc, une narration non fiable. | À certains moments du récit, on en vient nous aussi à douter de l'innocence de Damien North. D'une part, les preuves sont réellement accablantes et, d'autre part, le personnage-narrateur lui-même devient de moins en moins attachant. C'est subtil comme transformation, mais on en vient à suspecter sa culpabilité et, donc, une narration non fiable. |
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| ==== VI - Extraits ==== |
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| En prison, il écrit dans son journal : « L’homme des temps préhistoriques ne laissait derrière lui aucune archive, mais pléthore de traces. Je ne laisse pour ainsi dire aucune trace, mais pléthore d’archives. Nous nous ressemblons, lui et moi, en ce que ni lui ni moi ne maîtrisons ce que nous laissons derrière nous. Ce qui fait de nous des proies. Les âges où nous sommes dépassés par la masse de ce que nous laissons derrière nous sont des âges de peur. Ce sont des âges où les hommes, tout absorbés qu’ils sont par la surabondance des signes – traces ou archives –, ne se parlent pas, ne se regardent pas, se //connaissent// moins qu’ils ne se //traquent//. » (149) |
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| De retour chez lui, il n'aspire qu'à avoir la paix, seul: « Il s’imaginait vivant ainsi qu’un ours, un gros ours blanc, paisible et solitaire. Il en avait besoin. Il fallait tout recommencer, renaître à soi, reconquérir une liberté, des désirs, une vie. Les autres, il s’en occuperait plus tard. » (225) |