SENNHAUSER, Anne [dir.], Les Cahiers du CERACC: “Proses narratives en France au tournant du XXIe siècle”, n°5 (avril 2012).
Extrait de l'introduction
“En contrepoint des discours critiques sur la fin de la littérature – qui témoignent d’un sentiment de crise dont le paroxysme a été atteint à la fin des années soixante-dix –, les chercheurs du CERACC (Centre d’Études sur le Roman Français des Années Cinquante au Contemporain) se sont interrogés sur le renouvellement des pratiques narratives après l’ère du soupçon, et plus particulièrement sur l’évolution de la « refondation » du récit qui a marqué le dernier quart du XXe siècle et la première décennie du XXIe siècle […]”
Table et résumés
* J'ai inclus seulement les résumés des articles qui me semblaient les plus pertinents; les autres sont disponibles ici: http://www.ecritures-modernite.eu/?page_id=10704*
- Anne Sennhauser, « Introduction »
- Marie-Hélène Boblet, « Le roman après l’ère du soupçon : entre émerveillement et tourment »
Marie-Hélène Boblet se demande comment mettre en perspective l’ère moderne du soupçon annoncée par Stendhal puis théorisée par Nathalie Sarraute et l’ère post-moderne. Si le roman du tourment succède à l’exercice critique de la Modernité, il renonce à vouloir maîtriser et réduire à tout prix la part obscure du réel, entraîne le récit et le lecteur dans un sillage énigmatique. Certes, ce pouvoir d’entraînement relie le roman d’émerveillement au roman d’aventure, mais il y ajoute une interrogation sur la nature de notre rapport au monde, sur l’ambiguïté d’un sentiment qui relève à la fois d’une inquiétude et d’un abandon à cette inquiétude, et engage l’approbation radicale d’exister. Les romanciers, par l’imagination et la figuration de cette posture existentielle, livrent une « analyse romanesque » (Vincent Descombes) de l’émerveillement. D’André Dhôtel à Sylvie Germain, du milieu du xxe au tournant du xxie siècle, le romanesque de l’émerveillement offre une chance de résister à la croyance dogmatique comme à la terreur théorique.
- Barbara Havercroft, « Questions éthiques dans la littérature de l’extrême contemporain : les formes discursives du trauma personnel »
- Pascal Riendeau, « L’éthique dans la littérature française de l’extrême contemporain : la pensée du roman et la prose du moraliste »
- Isabelle Dangy, « Le diable et les ténèbres : histoire et romanesque dans deux romans d’Anne-Marie Garat »
- Camilo Bogoya, « Musique et littérature : de Pascal Quignard à Joza Karas »
- Aurélie Adler, « Eclats des vies muettes. Figures du minuscule et du marginal dans les récits de vie de Pierre Michon, Annie Ernaux, Pierre Bergounioux et François Bon »
Aurélie Adler se penche sur les répercussions esthétiques et éthiques de la figuration de vies minuscules et marginales dans la littérature contemporaine. Analysant les œuvres de François Bon, Pierre Bergounioux, Pierre Michon et Annie Ernaux, elle fait émerger une tension entre d’une part des figures marquées par la perte et d’autre part des récits travaillés par le minuscule (brièveté, blanc) et par le marginal (écarts par rapport aux modèles canoniques du romanesque et du biographique).
- Frédéric Martin-Achard, « Figures de l’intériorité dans le roman contemporain (François Bon, Laurent Mauvignier, Jacques Serena) »
- Claire Colin, « L’événement dans la nouvelle contemporaine (domaines français, italien et américain) : stratégies d’écriture et réflexion sur le quotidien »
Claire Colin présente ses travaux de recherche dans le cadre de sa thèse de doctorat en littérature générale et comparée, intitulée « La notion d’événement dans la nouvelle contemporaine (domaines français, italien et américain) : stratégies narratives et réflexions sur le quotidien » et portant sur près d’une dizaine de recueils. Après avoir retracé une typologie de l’événement dans les récits brefs de son corpus et les diverses stratégies narratives adoptées par les auteurs pour introduire dans l’intrigue l’épisode principal du texte, et réfléchir de ce fait sur comment écrire aujourd’hui l’événement, elle souligne les modifications du rôle du personnage et du narrateur dans la nouvelle contemporaine qu’entraîne l’évolution de la notion d’événement avant de s’interroger sur la position du lecteur face à ces récits, entre engagement et désengagement. Enfin, elle s’attache à souligner comment la représentation du monde et l’écriture du récit sont travaillées par un dysfonctionnement, qui remet en cause la stabilité des signes du réel et les canons du genre bref.
- Anne Sennhauser, « Evolutions du romanesque dans la littérature contemporaine : d’une écriture ludique à une exploration de l’insolite (Jean Echenoz, Patrick Deville, Jean Rolin) »
Comment des œuvres emblématiques d’un certain postmodernisme littéraire dépassent-elles le jeu virtuose sur les conventions narratives pour redéfinir le romanesque ? C’est sur cette question que se penche Anne Sennhauser à travers l’étude de trois auteurs iconoclastes ; mettant à distance le roman traditionnel, Jean Echenoz, Patrick Deville et Jean Rolin s’attachent à générer un romanesque illusionniste pour dire des aventures sur un mode mineur, non pas à partir d’une tension diégétique, sans cesse désamorcée, mais par la multiplication des notations marginales, en prise sur une réalité insolite. Cette évolution du paradigme de « romanesque » dans la pensée des trois auteurs entraîne un questionnement d’ordre éthique : qu’en est-il de la représentation du singulier, du contingent, dans un monde où la répétition, la globalisation, mais aussi la multiplication des représentations médiatiques, amène à aplatir et homogénéiser le réel ?
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