Fiche de lecture : Ravel, par Jean Echenoz
1. PROPRIÉTÉS DU PERSONNAGES
Caractéristiques physiques
Dans le roman, on dit beaucoup de détails sur le physique de Ravel. On dit que « son visage aigu rasé de près dessine avec son long nez mince deux triangles montés perpendiculairement l'un sur l'autre. Regard noir, vif, inquiet, sourcils fournis, cheveux plaqués en arrière et dégageant un front haut, lèvres minces, oreilles décollées sans lobes, teint mat. […] [I]l est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. […] [S]on trait principal est sa taille, dont il souffre et qui fait que sa tête paraît un peu trop volumineuse pour son corps. Un mètre soixante et un, quarante-cinq kilogrammes et soixante-seize centimètres de périmètre thoracique, Ravel a le format d'un jockey […]. » (p.21-22-23) Il accorde beaucoup d'importance à son apparence physique : « Il enfile un peignoir d'un perle rare dans lequel il se lave les dents avec sa brosse articulée, se rase sans omettre un poil, se peigne sans négliger un sillon, s'épile un sourcil rétif qui a poussé dans la nuit comme une antenne. » (p.8) On dit qu'il a les cheveux blancs, plaqués en arrière. (p.10) De nombreuses descriptions misent sur les vêtements et accessoires qu'il porte : « Canne pendue à son avant-bras, gants retournés sur le poignet, il a l'air d'un parieur élégant […]. [S]es chaussettes en fil et sa pochette en soie, comme toujours, sont heureusement assorties à sa cravate. » (p.11-12) « Quand il ne les a pas précédées, il a toujours suivi les dernières tendances vestimentaires. » (p.26) Il dit se sentir fatigué, consulte un médecin qui voudrait lui prescrire un an de repos total, mais Ravel refuse. Il a une santé fragile : « De péritonite en tuberculose et de grippe espagnole en bronchite chronique, son corps fatigué n'a jamais été vaillant même s'il se tient droit comme un i sanglé dans ses costumes parfaitement ajustés. » (p.155)
Caractéristiques psychologiques
On dit de Ravel qu'il a une « distance élégante, simplicité courtoise, politesse glacée » qu'il n'est « pas forcément bavard ». (p.22) « Le sentiment de triomphe l'envahit depuis quatre mois. Sentiment tel qu'il en devient un peu nonchalant, de plus en plus désinvolte dans sa façon déjà fragile de toucher le piano. Il pense que cela ne se voit pas, d'ailleurs il n'y pense pas. […] Le saurait-il d'ailleurs qu'il s'en foutrait. » (p.59)
Ravel semble être très méticuleux, obsédé par l'apparence, la perfection. « Une fois prêt, Ravel inspecte sa maison, s'assure que toutes les fenêtres sont fermées, la porte du jardin verrouillée, le gaz coupé dans la cuisine et l'électricité au compteur de l'entrée. C'est vraiment une petite demeure et le tour en est vite fait, mais on n'a jamais trop vérifié. […] Ravel fait valoir qu'il était nécessaire de mettre un peu d'ordre chez lui avant de partir, c'était toute une affaire, il a dû courir partout. Déjà qu'il n'a pas fermé l'oeil de la nuit comme d'habitude, en plus il lui a fallu se lever à l'aube et il déteste ça […]. » (p.10-12) Il vérifie s'il n'a rien oublié dans sa valise, une valise qui contient « soixante chemises, vingt paires de chaussures, soixante-quinze cravates et vingt-cinq pyjamas qui, compte tenu du principe de la partie pour le tout, donnent une idée de l'ensemble de sa garde-robe », ce qui montre son côté excessif. (p.26) Lors d'un concert à Chicago, il refuse de jouer parce qu'il ne trouve plus ses chaussures vernies, et refuse de jouer sans elles. (p.53)
Il est souvent fatigué, mais incapable de dormir, « sa nervosité se bat[tant] contre sa faiblesse. » (p.25) On dit qu'il est paresseux. (p.44) Il ne sait jamais quoi faire, a des troubles de sommeil, ne sait pas comment occuper son temps : « Trop fatigué par le voyage pour songer à se reposer, la nervosité s'y oppose et de toute façon, cinq heures et demie de l'après-midi, ce n'est pas le moment d'essayer de dormir : il n'y parviendra pas, s'il y parvient ce sera pire. Pas question non plus d'ouvrir un livre ni le piano, pas assez concentré pour ça. Rien à ranger non plus dans la maison, pas de courses à faire […]. » (p.64) En effet, Ravel s'ennuie souvent : « associé à la flemme, l'ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pin […]. Comblé à l'absence de projet, l'ennui se double aussi souvent d'un accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l'avoir mis dans l'alimentation. Mais l'ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et oppressant que d'habitude, c'est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le noeud de sa cravate à poids. » (p.65-66) « Les temps qui suivent, Ravel ne sait plus que faire. Rien qui le tente vraiment, rien qui vaille la peine. » (p.72)« Ravel fume trop, s'ennuie toujours autant, dort toujours aussi mal, est à nouveau tout le temps mort de fatigue, sans cesse tourmenté par des inflammations ganglionnaires chroniques et autres petits ennuis. » (p.87) On dit que son esprit est « noyé dans la tristesse et l'ennui bien qu'il n'en laisse rien paraître. » (p.115)
« Ravel a toujours tout oublié, toujours été distrait, sujet à des trous de mémoire singulièrement pour les noms propres, recourant souvent à des images pour désigner un lieu ou une personne aussi bien connus de lui que Mme Révelot : la dame qui s'occupe de ma maison, vous savez, qui a un sale caractère. » (p.100) On remarque, aussi, « une sorte d'absence devant sa propre musique. » (p.100)
Après un accident de voiture, pendant trois mois, « Ravel ne fait absolument rien. » Sa distraction devient de plus en plus fréquente, « il finit par expliquer que ses idées, quelles qu'elles soient, lui semblent toujours rester en prison dans son cerveau. » (p.103-104) Les petits gestes du quotidien deviennent de plus en plus difficiles à réaliser, comme écrire et signer. « Bientôt, ne pouvant plus aimer que la solitude, il reste des heures sur son balcon à Montfort, dans un fauteuil, le regard pendu […]. [I]l attend, mais sans préciser quoi. Il vit dans un brouillard qui l'étouffe chaque jour un peu plus bien qu'une activité persiste : il va chaque jour marcher dans la forêt. Il ne s'y perd jamais. Mais c'est le monde qu'il perd avec ses objets […]. Bref, ça ne va plus du tout. » (p.111) « Il a maintenant du mal à contrôler la plupart de ses gestes, il a perdu le sens du toucher, ne sait pratiquement plus écrire ni lire et s'exprime de plus en plus mal, confondant les mots sans cesse et disposant de moins en moins d'entre eux. » (p.113) Il reste « effacé dans son fauteuil, immobile et calme comme s'il n'était pas là, déjà mort. » (p.116) Il ne reconnaît plus les gens, mais se rend toutefois compte de son état, voyant bien que « ses mouvements manquent leur but. » (p.116) « Maintenant il n'en peut plus de sa vie inutile, se révolte en vain de ne plus servir à rien, d'être enfermé à l'intérieur de soi. Sachant que c'est bien fini, il tente d'organiser la solitude. » (p.118) Vers la fin, sa mémoire fait défaut de plus en plus, il devient un « fantôme aussi bien habillé » (p.121)
Caractéristiques relationnelles/sociales
Au début du roman, il est avec Hélène, une « assez jolie femme ». (p.10) Il la fait attendre plus d'une demi-heure dans la voiture, parce qu'il se devait de mettre de l'ordre dans sa maison avant de partir. Plusieurs personnes gravitent autour de lui, Ravel étant une personne célèbre, mais ce dernier semble avoir peu d'aptitudes sociales : « Ravel prend tout son temps pour commander un café, puis un autre qu'il boit encore plus lentement, pendant que les trois jeunes femmes consultent la pendule au-dessus du comptoir de plus en plus souvent […]. Ravel ouvrant la marche et suivi à distance par ses amies qui aident tant bien que mal deux porteurs du Terminus à traîner quatre volumineuses valises ainsi qu'une malle. Ces bagages sont bien lourds, mais ces jeunes femmes aiment tellement la musique. » (p.16)
Ravel préfère être seul : « Ravel jette un coup d'oeil par un des hublots qui, pour un moment encore, commandent le quai : il observe la masse de parents et alliés qui s'y pressent en agitant des mouchoirs comme à Saint-Lazare, mais également des chapeaux et des fleurs et d'autres choses encore. Il ne cherche pas à reconnaître qui que ce soit dans cette foule : s'il a bien voulu qu'on l'escorte à la gare, c'est tout seul qu'il préfère embarquer. » (p.21)
Lorsque des pianistes jouent ses compositions durant des concerts, cela le gêne, le contrarie et il préfère sortir fumer une cigarette. « Il n'aime pas être là quand on le joue. Mais pas moyen de se défiler, c'est de bon coeur qu'on a voulu lui faire une petite surprise, il s'efforce de sourire en maugréant intérieurement. D'autant plus que sa nouvelle sonate ils ne l'exécutent pas, juge-t-il, très bien. » (p.39) Une fois, un pianiste joue son concerto et Ravel réagit ainsi : « Ça ne v pas du tout. Ce n'est pas du tout ça. » (p.97) Ravel considère que « les interprètes sont des esclaves. » (p.101)
Lors d'un concert, Marguerite, qui l'accompagne, croit avoir perdu les billets, et Ravel la traite comme une moins-que-rien : « Vous êtes vraiment une idote, Marguerite, s'énerve froidement Ravel. Une conne, précise-t-il posément en pliant en quatre son journal. […] Elle a égaré les billets, cette salope, grogne-t-il pour lui-même, il faut toujours qu'elle oublie quelque chose. » (p.99)
Lors des journées passées sur le paquebot, il ne se mêle pas aux autres. Il passe surtout son temps, à se « changer trois fois par jour », son divertissement principal. Il lit, explore le paquebot, flâne près du gymnase…
Sur le paquebot, Ravel écrit « de brèves lettres un peu conventionnelles à des amis, sans beaucoup se fatiguer. » (p.48)
Lorsqu'il arrive à New York, « un comité d'accueil [l']attend sur le quai. […] Il y a divers délégués de sociétés musicales, des présidents d'associations, deux représentants de la municipalité, une nuée de reporters photographes brandissant d'énormes flashes, de journalistes à calepin portant leur carte de presse glissée sous le ruban de leur chapeau, de caricaturistes et de cameramen. » (p.50) Il donne un concert où 3500 personnes se lèvent pour l'applaudir et lui lancer des fleurs. (p.52) Lorsqu'il retourne au Havre, des gens sont là pour l'attendre et se jeter à ses pieds : « Ravel trouve naturel qu'ils aient fait le voyage du Havre pour venir l'accueillir et ne pense pas un instant à les en remercier. » (p.61) On le joue partout, on ne parle que de lui dans les journaux, on donne son nom au quai sur lequel il est né. (p.91) Lorsqu'il arrive à un concert, Ravel semble totalement indifférent à ceux qui l'admirent : « Il n'adresse même pas un coup d'oeil à la présence essoufflée d'Arthur Rubinstein, alerté en catastrophe de la présence de Ravel à Vienne et qui vient d'arriver en courant, qui espérait bien serrer la main du maître avant son départ, mais le maître saute dans le train comme s'il n'existait pas. » (p.99)
On sait qu'il n'a jamais eu de relations amoureuses : « On ne sache pas qu'il ait amoureusement aimé, homme ou femme, quiconque. On sait que lorsqu'il s'est enhardi un jour à proposer le mariage à une amie, celle-ci s'est mis à rire très fort s'exclamant devant tout le monde qu'il était fou. » (p.84)
Cadre où ils évoluent
Ravel fait partie de la haute société. Il habite dans une « petite maison compliquée » à trois étages sur Montfort-l'Amaury. (p.9) Durant le roman, il se rend en Amérique du Nord pour la première fois de sa vie. On le voit donc sur le paquebot, en première classe, le menant à cet endroit, dans lequel il a une petite cabine : « trop vaste en un sens, elle donne en même temps à son corps la mesure exacte que vous accorde une chambre d'hôpital : place principale mais atrophiée, sans rien d'autre à quoi s'accrocher que soi-même ». (p.31-32) On le voit ensuite retourner en France, dans sa maison.
Un discours (manière de s'exprimer, contenu véhiculé, niveaux de langue, etc.) : standard et littéraire, mais parfois plutôt familier/vulgaire lorsque, par exemple, il insulte Marguerite en la traitant de « conne », « salope »… (p.99)
Une identité (onomastique, désignations) : Ravel, le maître…
Un passé/une hérédité : Vu le côté biographique du roman, on en connaît quelque peu sur son passé, notamment sur les oeuvres qu'il a écrites, son service militaire, sa réputation, l'absence de relations amoureuses. Par ailleurs, le passé prendra plus d'importance au moment où il perdra la mémoire, ce qui lui fera oublier beaucoup de choses sur son passé, notamment les oeuvres qu'il a composées.
Une situation/classe sociale, un métier
Ravel est un compositeur riche et célèbre, évoluant dans la haute société de son époque, fréquentant des personnalités importantes, tenant des salons chez lui. Il a cinquante-deux ans au début du roman et il est au sommet de sa gloire. Il aurait pu être dans l'armée : « En 14 il avait vraiment voulu s'engager, bien qu'on l'eût exempté de toute espèce d'obligation militaire, lui représentant sans tact qu'on le trouvait trop frêle. » (p.36) Son peu de poids l'aurait obligé à n'être rien de mieux qu'un conducteur au service des convois automobiles, section poids lourd. (p.36-37)
2. TEXTUALISATION DES PROCÉDÉS DE CARACTÉRISATION
Focalisation (point de vue, restriction de champ, intériorité) : externe. On fait la biographique de quelqu'un, et on en parle avec distance, dans la mesure où on annonce à l'avance qu'il ne reste que dix ans à vivre au personnage principal qu'est Ravel. Le narrateur fait également parfois part de certaines lacunes pour sa biographie.
Narration : À la troisième personne.
Discours (direct, indirect, indirect libre) : Indirect. Lorsque des phrases de Ravel sont rapportées, elle ne sont toutefois pas placées entre guillemets.
Niveaux de langue (régionalismes, accents, aspects populaires, jargon, argot) : Littéraire
Identification directe (nom propre, descriptions définies)/indirecte (selon ses actions, émotions) : Directe.
Introduction (première occurrence) : « On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. […] Mieux vaudrait rester jusqu'au cou dans son bain, des heures sinon perpétuellement, actionnant le robinet du pied droit par intermittence pour rajouter un peu d'eau chaude […]. » (p.7-8)