FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Plamondon, Éric
Titre : Pomme S (1984, volume III)
Éditeur : Le Quartanier
Collection : Série QR, n° 63
Année : 2013
Éditions ultérieures : Paris, Phébus, 2014
Désignation générique : Roman (page couverture)
Quatrième de couverture :
« L'ordinateur est la plus puissante machine de l'humannité. Son histoire, c'est celle de Turing, de Babbage, de Byron, d'Einstein, de Pascal et d'Orwell. C'est aussi celle des automates, des métiers à tisser, de la machine à écrire et de l'ampoule électrique. Pour Gabriel Rivages, c'est d'abord l'histoire de Steve Jobs, enfant adopté, ancien hippie, employé chez Atari, père de Lisa, créateur du Macintosh et storyteller. Prométhée est puni. Des enfants naissent. Al-Kharezmi invente l'algèbre. On se tire le Yi King. On peint des chefs-d'oeuvre. On fait la guerre. Bugs Bunny imite Tarzan à Hawaï. C'est la finale du Super Bowl : 1984 ne sera pas comme 1984. Brautignan écrit Tous veillés par des machines de grâce aimante et un père admire son fils.
Pomme S conclut la trigolie 1984 et le périple américain de Gabriel Rivages, entamé dans Hongrie-Hollywood Express (2011), qui met en scène Johnny Weissmuller, athlète olympique et Tarzan du cinéma parlant. Mayonnaise (2012), le deuxième volume, mêle le destin de Rivages à celui de l'écrivain-culte Richard Brautignan, le dernier des beatniks. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre : Pomme S entremêle l'histoire de Steve Jobs, de sa compagnie Apple, de l'avancée informatique et technologique en général avec (de façon superficielle) celle de Gabriel Rivages, personnage conducteur de la trilogie, et de la naissance de son premier enfant. Des histoires de jeunesse et d'enfant qui grandit sont aussi racontées par un « je » que l'on présume autofictionnel (ne serait-ce que par le rappel des origines québécoises (188) puis du déménagement en France de l'auteur). Les récits se confondent l'un dans l'autre et sont ponctués de segments dont le lien est si ténu avec les lignes principales qu'ils semblent être digressions (par exemple, « Vive le Québec libre ! » sur Pepsi vs. Coca-Cola, « Conrad » sur les surnoms du village natal de ses parents ou encore « Mythologie » sur la vie sexuelle très active de Zeus).
Fiche disponible sur Orion
Thème(s) : Informatique, Histoire, Famille, Steve Jobs
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Pomme S est entièrement basé sur des faits, des données encyclopédiques et des histoires vraies. Ses segments sont souvent très peu narratifs. On peut mentionner à ce titre « MCMLXXXIV » qui étend sur 7 pages (p. 15-21) la description plan par plan - avec le chronométrage exact - de la publicité « 1984 » d'Apple, une « photo » de l'internet en 1982 (217-218), ou encore « O KO MO GO TO PO EO ZO YO » qui liste les abréviations liées à l'octet. La forme du roman en tant que tel, par très courts chapitres sans continuité nécessaire, rappelle de nombreuses entrées encyclopédiques ou de dictionnaire (il y en a d'ailleurs une de 1977 [telle quelle ? à vérifier] à la page 85 (chapitre 41) pour le terme « ordinateur » sans aucun ajout narratif)
Appréciation globale : Intéressant et divertissant. La structure et les références mènent à une vision globalisée de l'histoire humaine et de l'avancée technologique. Très bien, même si Steve Jobs est, par moments, un peu trop idéalisé par la structure du récit (voir plus loin). La correspondance de cette série à la catégorie « roman » me paraît toutefois discutable.
Cote : 1
IV – CONSTRUCTION GÉNÉRALE DE L'OEUVRE :
113 courts chapitres d'entre 1/2 page et 8 pages (qu'on pourrait plutôt nommer segments vu leur longueur), sans lien direct l'un avec l'autre. Cela rappelle un peu la construction d'un recueil de nouvelles. Pomme S, plus long que les deux tomes précédents, déploie quelques segments sur plus de pages, le plus souvent dans un effort de globalisation ou de grande traversée d'une histoire (cf. « La prochaine grande révolution » et « California dreaming »)
V – ENCYCLOPÉDISME : Contenu (Types de données imbriquées, à quoi servent-elles dans l'économie générale du roman, dans la construction des personnages, etc.):
Type de données encyclopédiques : principalement les histoires de différentes inventions (radar, métier à tisser, etc.), une tonne de faits et d'anecdotes sur Jobs et Apple, les caractéristiques techniques du premier iPod (106), plusieurs citations (notamment p. 153), des théories mathématiques (ex. p. 142), les secrets d'une présentation powerpoint réussie (187), des informations historiques et artistiques (« Et la Joconde sourit »), citation d'autres oeuvres (notamment Moby Dick), de paroles de chanson (p.179), etc.
Précision de certaines informations : liste des noms donnés aux versions 10.0 à 10.8 de Mac os X (p.180-181), crédits d'un film de Bug Bunny (p. 29), le trajet en avion de Gabriel Rivages vers la Californie (« Heure estimée d'arrivée : 12:39. Distance restante : 2973 km. Rivages sera à Los Angeles dans quatre heures. Vitesse au sol : 859 km/h. Altitude : 11 km. » (p. 179). Il y a profusion de détails banals alors que de grands événements sont traités de façon très synthétique ou même listés.
Les informations encyclopédiques semblent servir à inscrire toutes les inventions technologiques dans une histoire globalisante et Steve Jobs dans une lignée de grands révolutionnaires.
La volonté de Plamondon de tout insérer dans une histoire globale, mondiale, est marquée dans la trilogie. On sent à plusieurs reprises le désir d'inscrire la petite histoire dans la grande, tout comme de s'inscrire soit même en parallèle avec les grands personnages. Je cite à ce titre quelques exemples. Le chapitre 58 (p. 120-121) qui place Rivages devant l'avancée des mathématiques. Le chapitre 40 (p. 84) souligne la différence entre le « je » et Steve Jobs en 1984 : « J'avais quinze ans, Steve Jobs en avait vingt-neuf. Pendant qu'il comptait ses millions, je me faisais trentes piasses en bouteilles vides. » Il met également en parallèle les bouleversements de la vie du personnage avec un événement significatif de l'histoire racontée. « Il ne travaille plus dans un département marketing et Steve Jobs est mort » (38). Le chapitre 10, « Maurice Richard » (p. 32-33), insère également Steve Jobs dans la grande histoire en listant les événements choisis de l'année 1955, celle de sa naissance. Le chapitre 112, « California dreaming » (p. 225-232), raconte le contenu de l'esprit de Rivages sous l'emprise du LSD. Tous les éléments de l'histoire s'y mélangent, même les noms (« Jarlie Japlin et Chanis Choplin ») et les réalités (« Cheeta et Noam Chomsky jouent à se lancer des frisbees en forme de zéro » 230).
Le chapitre 14, « 1984 » (p. 39), résume bien l'esprit d'intégration de toutes les histoires en une plus grande :
« En 1984, Johnny Weissmuller meurt de vieillesse. Richard Brautignan se tire une balle dans la tête et Gabriel Rivages perd sa virginité. C'est aussi l'année où Apple lance le Macintosh »
Même chose avec le chapitre 105, « Quel est le rapport ? » (p. 207), qui dit exprime directement cette idée. Après une suite de « Quel est le rapport entre [x] et [y] ? » par exemple « Quel est le rapport entre Bob Dylan et l'ergot de seigle ? », on répond « Le rapport, c'est que tous ces objets et tous ces gens font partie de la même histoire. »
L'histoire de l'avancée technologique, au centre de ce volume de 1984 ne se construit elle aussi qu'en une seule et même lignée. L'histoire de la machine à tisser (94-96) intègre le langage binaire, les travaux mathématiques de Babbage et l'appellation du WWW (World Wide Web). À la page 71, on dit que « L'ordinateur est le fils du transistor, et l'arrière-arrière-arrière-petit-fils de l'ampoule électrique ». Dans l'histoire de Turing (117-119), on parle de la suite d'avancées qu'il fait en parallèle avec les traitements chimiques contre son homosexualité (qui paraissent anachroniques, sans malheureusement l'être) et de son suicide en parallèle avec le choix de logo d'Apple. Les huit trigrammes du Bagua de Fou-Hi (66-67) est présenté comme l'origine du code binaire. La construction de la statue de la liberté est liée à la pile électrique (194).
La multiplication d'informations encyclopédiques contribue donc à créer une histoire globale où les faits, les dates, les personnages et les concepts s'entrecroisent. Elle contribue aussi à conférer à Jobs un aura héroïque.
La façon de mettre en parallèle des moments de l'histoire place Jobs dans une lignée révolutionnaire, héroïque, presque mythique. Plamondon a notamment écrit à partir des nombreux livres sur Steve Jobs (sources d'informations encyclopédiques ?) parus lors de sa mort, ouvrages qui bien souvent idéalisent le parcours de Jobs. Les débuts d'Apple dans un garage s'inscrivent dans une lignée qu'on dit « de l'ordre du mythe » (p. 223). Après l'histoire de sa conception et de ses parents marquée par les références historiques et culturelles, on dit de Jobs qu'il est « un peu le fils du soleil » (p.76), né à Homs, la ville natale d'Héliogabale. Le chapitre 44, « HP » (p. 89-90), qui raconte l'histoire du jeune Jobs qui contacte Hewlett pour demander des pièces se conclue sur la phrase suivante : « Il n'a pas connu son père biologique, mais Bill Hewlett l'a pris sous son aile » (p. 90). Ce chapitre parle de la construction et la mythification de ses origines. Au chapitre 49, « Mortel Prométhée » (p. 100-101), on va même jusqu'à comparer Jobs à Prométhée. Comme celui qui a volé le feu aux dieux pour l'offrir aux humains, Jobs a volé la souris à Xerox pour l'offrir au monde. Aux pages 172-173, on liste certains livres le concernant et souligne que « s'il avait écrit tous les livres qui parlent de lui, Jobs serait l'auteur le plus prolifique du vingtième et du vingt et unième siècles. ». Le segment sur le discours de Stanford (189-192) son parcours est mythifié à son maximum, p. 201 il est élevé au rang de rockstar ou de vedette d'Hollywood.
Le roman parle lui-même de cette héroïsation exagérée de Jobs. À propos de l'oubli de Wosniak par l'histoire, on dit « Pour que le mythe du self-made man à l'américaine survive, il faut savoir sacrifier quelques génies » (p. 99) et, concernant le renvoi de Jobs de sa propre compagnie en 1985, « Il y a pire comme mauvaise passe dans la vie. Une traversée du désert, peut-être, mais avec un frigo plein de bières dans un camping-car climatisé » (p. 147)
Forme (narration, comment elles sont intégrées):
Les segments entrelacent donc histoires, les récits et les époques sans changement de ton, les emboîtant les uns dans les autres. De nombreux échos entre les chapitres contribuent également à cet amalgame. Par exemple, Turing revient à de nombreuses reprises. Des échos des autres volumes reviennent aussi (Brautignan et Weissmuller sont tous deux nommés à nouveau).
Les savoirs encyclopédiques sont parfois intégrés en contraste avec la narration. Par exemple, le chapitre 87, « Triméthoxyphénéthylamine » (p. 176), raconte le premier et seul trip de mescaline du « je » suivi d'un bref « On trouve la triméthoxyphénéthylamine dans la peyotl. Sa consommation entraîne une déformation des perceptions et du jugement ».
Note sur les citations en exergue :
Au début de Hongrie-Hollywood express, on cite Jobs et Melville (qui marquent Pomme S)
Au début de Mayonnaise, on cite Weissmuller (Hongrie-Hollywood Express) et Le mythe de Sisyphe de Camus (je ne me souviens plus s'il en parle dans HHE, mais sinon le lien thématique est évident)
Au début de Pomme S, on cite Brautignan (Mayonnaise) et George Bataille (id. Camus)