Notice bibliographique :Serge Joncour, L'Idole, Paris, Flammarion, 2004, 242 p.
Résumé de l’œuvre :
Georges Frangin, modeste sans-emploi habitant à Paris, découvre un matin qu'il est devenu célèbre. Dans la rue, tout le monde le reconnait, de nom et de visage, mais personne ne peut le renseigner sur les raisons qui ont fait de lui une vedette instantanée. Frangin finit par apprendre qu'il publiera un livre très attendu, que l'on écrira plus tard, si nécessaire. Frangin finit par comprendre que son nouveau statut décontenançant est probablement l'oeuvre de Monsieur Raphaël, directeur d'une grande chaîne télévisée, qui lui organise différentes apparitions médiatiques et le conseille sur les façons de profiter de sa célébrité. Mais avec la gloire, la pression augmente sur Frangin : M. Raphaël le traite comme une vulgaire marionnette, son attachée de presse est envahissante et le public attend de lui qu'il soit toujours disponible, affable, généreux. Finalement, on s'y attendait, Frangin est remplacé aussi facilement que s'il n'avait jamais existé. Une nouvelle étoile filante prendra fugitivement sa place.
Narration : Autodiégétique
Explication : Frangin raconte son histoire à la première personne. Rien de particulier, tout est rigoureusement linéaire.
Personnage(s) en rupture : Georges Frangin
A) Nature de la rupture : actionnelle
Explication : Malgré ou peut-être parce qu'il ne possède aucun talent, aucune particularité et n'a jamais fait quoi que ce soit d'exceptionnel, Frangin est propulsé au rang de star. Dès lors, la moindre de ses actions hors de son appartement s'en trouve affectée. Lorsqu'il se rend au Bureau d'aide à l'emploi ou à la banque, par exemple, le fait qu'il ne fasse aucun effort pour se trouver un emploi ou que son compte soit à découvert ne l'empêche absolument pas de recevoir un traitement de faveur.
Certes, Frangin est donc en rupture avec reste de la population, mais il est surtout en rupture avec lui-même, avec sa classe sociale, avec la condition d'anonyme inintéressant qui devrait être la sienne. De façon générale, dans ce roman, le déphasage du personnage est mis au service d'un objectif sociologique, afin de dénoncer ou de ridiculiser un système médiatique valorisant la fulgurance et prêt à tout pour faire avaler à la masse sa dose d'opium quotidienne.
B) Origine de la rupture : mondaine
Explication : C'est précisément parce qu'il fait partie de la masse des insignifiants anonymes que Frangin a été choisi pour devenir une nouvelle vedette instantanée. Dans les mains de M. Raphaël, il est malléable à souhait. Il était comme une coquille vide, prête à être remplie par n'importe qui et n'importe quoi. « De jour en jour je m’émerveillais des avantages qu’il y avait à être à ce point célèbre, cela m’ouvrait une préséance, une irradiation qui m’allaient comme un gant, et comblaient prodigieusement ce manque de personnalité qui me lésait depuis toujours. » (133) Toutefois, le nouveau statut de Frangin est aussi fortuit: ça aurait pu être n'importe qui. Paradoxalement, c'est donc grâce à son absence de singularité qu'il a réussi à se singulariser…
Mais tout ça ou presque, c'est la faute de la société (d'où la rupture mondaine) qui est friande d'idoles, chaque individu cherchant une bouée à laquelle s'accrocher pour, éventuellement, avoir une infime impression d'extraordinaire, un maigre espoir de se distinguer à son tour.
C) Manifestations : passivité
Explication : Même s'il cherche - sans trop insister il est vrai - une explication à sa nouvelle condition de vedette, le plus souvent, Frangin se laisse bercer par la célébrité et, surtout, par ceux qui tiennent les ficelles de celle-ci. Par exemple, Raphaël, patron d'une grande chaîne de télé qui semble être celui à l'origine de la fulgurante ascension sociale de Frangin, conduit ce dernier en limousine un peu partout dans Paris, la voiture faisant office de salle de réunion. Lorsque Raphaël décide que la rencontre est terminée, il abandonne Frangin n'importe où et celui-ci n'ose dire un mot, même s'il se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres de chez lui.
D) Objets : ...
Explication :
E) Manifestations spatiales : ...
Lieux représentés : Surtout la rue
Explication : La rue, c'est le seul endroit que l'insignifiant de base et la vedette, en l'occurrence Frangin, partagent. Lorsque leurs mondes se rencontrent, la dynamique du processus de “vedettarisation” apparaît clairement: l'insignifiant moyen envie la vedette tandis que celle-ci voit dans l'autre ce qu'il était autrefois et constate malheureusement qu'ils ne sont pas si différents. Ce qu'il y a de particulier, c'est que le premier idolâtre le second qui, lui, ne veut surtout pas se faire rappeler à quel point sa situation est précaire et qu'il n'est, en somme, guère supérieur à l'insignifiant qu'il était jadis.
F) Extraits
En essayant d’expliquer pourquoi il n’est pas encore au courant de sa célébrité : « À ma décharge, il faut dire qu’il y a tellement de chaînes de télé, tant de programmes, qui plus est en même temps, tant de magazines et de nouvelles nouveautés, qu’il est fatal d’en rater… Rien que chez moi, j’ai pas moins de cent vingt chaînes au bout du câble, et les radios n’en parlons pas. Le statut de contemporain est une activité à plein temps. Déjà, du temps de ma scolarité on me l’avait fait remarquer, à plusieurs reprises on me l’avait radicalement exprimé : « Mon petit, vous avez du mal à suivre. » » (58)
« Tous ces anonymes qui me cherchaient du regard, tous ces passants qui s’épargnaient de m’ignorer, au moins ceux-là me voyaient. Qu’y a-t-il de plus mortifiant que d’être ignoré de tout le monde, d’être royalement dédaigné ? C’est le mal du jour que d’avance sur des trottoirs sans émouvoir personne, de divertir sa solitude dans l’indifférence des autres » (73).
G) Discours critique:
KOUAKOU, Mike Olivier, “Serge Joncour: une poétique du mal-être”, dans Murielle Lucie CLÉMENT et Sabine van WESEMAEL, Le Malaise existentiel dans le roman français de l'extrême contemporain, Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011, p. 35-46.
L'auteur parle de mal-être, de dégénérescence, de personnages en rupture, insignifiants, qui ressentent au quotidien une forme d'absence ou de vide.
La photocopie est de mauvaise qualité, mais l'étroitesse des marges intérieures ne m'a pas permis de faire mieux: Article