Plusieurs articles intéressants dans cet ouvrage. Il y en a même peut-être d'autres, mais je retiens ceux qui semblaient les plus prometteurs:
Manuel Ángel Vázquez, “La construction du personnage comme procès transdiscursif”, p. 29-42. Article pdf
Texte de haute voltige théorique (pour moi, en tout cas). En introduction, l'auteur se propose d'offrir des notions théoriques-clés concernant ce qu'il désigne comme la ““sémiotique de la transdiscursivité” ou sémiotique de la transcendance discursive, qui prétend dépasser quelques unes des impasses où avait conduit un immanentisme excessif.” (p. 29) Je ne m'avancerai pas à commenter…
Tout de même, en examinant l'état actuel et les perspectives de la recherche sur le statut du personnage, Vázquez note que la narratologie a rendu possible l'établissement (méthodologique) de trois niveaux dans la dynamique de la construction du personnage:
- La caractérisation à partir des forces agissantes (niveau actantiel), c'est-à-dire tout ce qui ressemble au schéma actantiel développé par Greimas. Toutefois, selon D. Villanueva (in Mayoral, M. (1993), El personnage novelesco, Madrid, Cátedra/Ministerio de la Cultura, p. 22), “ces théories ne sont pas, exactement, celles du personnages littéraire, mais celles de la structure de l'action, de l'argument, de l'histoire, indépendamment de comment elle a été racontée. Elles nous conduisent à une structure superficielle, qui n'est jamais une structure du discours; sans que cela soit une constante. La méthode a été conçue pour étudier les formes élémentaires du récit.”
- La projection du rôle thématique, soit la catégorie socio-culturelle dans laquelle se situe l'acteur, et qui détermine, d'ailleurs, certaines valeurs et significations de l'action, du dire, de l'être qui lui sont propres.
- La construction des traits personnels à partir de la focalisation de l'histoire, qui nous rapproche de la composante de l'“être”, qui complète narrativement celle du “faire”.
Dans la suite de l'article, il est surtout question de la manière dont est construite un personnage dans le roman (répète sensiblement les mêmes choses que Ezquerro dans Le personnage en question) et de la fameuse analyse transdiscursive. Enfin, la conclusion est peut-être pertinente, c'est pourquoi, préférant de pas prendre la chance de la laisser filer, je l'insère ici: Conclusion.
Yves Baudelle, “Poétique des noms de personnages”, p. 79-89.
Si l'onomastique nous intéresse, alors cet article peut être pertinent. Mais il ne contient rien de particulièrement éclairant à propos de la théorie du personnage.
Vincent Jouve, “Le héros et ses masques”, p. 249-255. Article pdf (tout croche, mais c'est la plus réussie de mes trois tentatives; rassurez-vous, je viens à l'instant de biffer “numériseur professionnel” dans ma liste de choix de carrière)
Jouve part de l'interrogation suivante: “Si le héros n'est pas nécessairement le personnage principal et s'il n'est pas toujours a priori, quelles sont donc les caractéristiques qui permettent de le saisir ?”
2 façons d'envisager la question, que Jouve développe dans le reste de l'article:
a) L'approche sémiologique, qui tente de définir le héros en restant dans le système de l'oeuvre. Principalement Philippe Hamon dans Texte et idéologie.
b)La démarche historique qui, partant de l'étymon grec, analyse les glissements sémantiques dont le terme de héros a été l'objet. Voir Lise Queféllec, “Personnage et héros” dans Personnage et histoire littéraire
Selon Jouve, on peut attribuer au héros deux “traits permanents”:
- la singularité: le héros est toujours celui qui focalise l'attention, il s'agit toujours d'un personnage remarquable, digne d'intérêt. Toutefois, “alors qu'à l'époque classique, le héros attirait d'abord l'attention par ses exploits, à l'époque moderne, c'est surtout par la façon dont le texte le présente qu'il suscite l'intérêt. La singularité du personnage quitte le plan du signifié pour celui du signifiant. Le héros prédéfini (conforme aux normes culturelles) a ainsi progressivement cédé la place à un héros construit (dépendant des seules techniques narratives)”. Cela amène Jouve à suggérer que le héros est devenu, avec les années, un personnage principal - qui n'est donc pas nécessairement conforme à l'idéologie dominante.
- l'exemplarité: si, à l'origine, le héros était loué pour son soufrage, ses exploits, sa force de caractère, etc., ce que Jouve nomme “exemplaire au sens premier”. Avec le roman moderne, l'attitude des héros n'a rien de vraiment glorieux, mais ils sont tout de même “les protagonistes d'un itinéraire qui, lui, est souvent édifiant” (Emma Bovary, Frédéric Moreau et Molloy sont les exemples de Jouve). Le héros moderne serait donc exemplaire au sens second, en tant que “sujet d'une histoire qui doit servir d'avertissement ou de leçon. Quels que soient le genre ou la période concernés, le héros est donc toujours, directement ou indirectement lié à l'exemplarité: soit le héros est admirable et l'histoire ne sert qu'à le mettre en scène; soit le héros n'est pas admirable, mais il est le prétexte à une histoire qui est riche en enseignements.” Jouve nomme respectivement ces deux types de héros “convexe” et “concave”.
⇒ Il me semble pourtant que le personnage déconnecté (dans sa forme plus extrême en tout cas) tel qu'on le voit dans les romans contemporains n'est pas exemplaire, pas plus qu'il ne s'inscrit dans un récit exemplaire. Pourrait-ce s'agir là d'une manière de le définir ou de le caractériser ? Par son absence totale d'exemplarité ?
Enfin, Jouve établit une typologie des héros, en fonction de leur singularité et de leur exemplarité:
- Le champion: héros convexe protagoniste; sa conduite est exemplaire et il occupe le devant de la scène (Énée, D'Artagnan, James Bond).
- Le modèle: héros convexe non protagoniste; sa conduite est exemplaire, mais il est plus discret (Lévine dans Anna Karénine).
- Le cobaye: héros concave protagoniste; sa conduite est loin d'être exemplaire, mais il est sujet d'histoire porteuse de leçon (Bardamu dans Voyage au bout de la nuit, Roquentin dans La Nausée).
- Le révélateur: héros concave non-protagoniste; sa conduite n'a rien d'admirable, mais sa présence est la condition du sens de l'histoire (Le père Goriot).
Uri Margolin, “Le personnage narratif: représentation, motivation, vraisemblance et réalisme”, p. 287-294. Article pdf
À partir de la sémantique des mondes fictionnels, Margolin se propose de relier entre elles les notions de représentation, de motivation, de vraisemblance et de réalisme et de les appliquer à la problématique du personnage dans la narration littéraire.
Je suis désolé, mais, bien que je crois que l'article soit pertinent, je n'arrive pas à le comprendre suffisamment pour le résumer ou le paraphraser…
María Conceptión Pérez Pérez, “Le personnage vide. Réflexion sur Boris Vian.”, p. 353-361. Article pdf
(ce n'est pas une faute, il y a vraiment un double “Pérez”)
Dans L'arrache-coeur de Boris Vian, Pérez (Pérez) examine le personnage de Jacquemort, un personnage vide, c'est-à-dire un “personnage zéro, sans passé, sans épaisseur, sans projection d'avenir, mais espace pur, creux qui se remplit et se vide tout au long du récit.”
L'auteure reprend plus loin les propos de A. Ubersfled (Lire le théâtre, Paris, Éditions sociales, 1992, p. 113), selon lesquels le personnage est “un élément décisif de la verticalité du texte: il est ce qui permet d'unifier la dispersion des signes simultanés.”
Vian refusant tout asservissement de l'oeuvre d'art à quelque credo idéologique, ses personnages “se posent en contestation de tout ordre, mental d'abord. Cette contestation me semble être l'essence constitutive même du personnage de Jacquemort, ou l'immanence absolue de l'existence, qui se dresse comme un grand point d'interrogation, une grande béance. À cet égard, et bien que les personnages de Vian n'aient pas d'histoire, Jacquemort, lui, commence à exister en même temps que le roman” (p. 355).
On pourrait alors peut-être penser que certains personnages déconnectés sont eux aussi des personnages vides que le roman, d'une manière ou d'une autre, néglige de remplir.
Pérez (Pérez) développe ensuite la notion de personnage vide dans L'arrache-coeur à un double niveau:
- comme un concept narratologique, qui définit le statut structural du personnage;
- comme élément thématique, qui organise le niveau imaginaire et interprétatif du texte.
En passant, désolé pour le document pdf. Je l'ai refait trois fois et il est toujours aussi laid…
Daniel Riou, “Héros problématique et sujet problématique de l'écriture: Charles Sorel et L'histoire comique de Francion”, p. 381-389.
Article qui tente de lier le héros problématique (de Charles Sorel) au contexte culturel et littéraire (de l'époque). Reprend en partie l'hypothèse de Lukacs et Goldmann de l'“individu problématique inséparable du roman moderne à un moment où il commencerait à y avoir une opposition radicale entre l'homme et le monde.”
Gisèle Séginger, “L'effet-personnage et la lisibilité du récit”, p. 425-435.
Article étrange… On croit au premier abord qu'il sera question de la théorie de l'effet-personnage de Vincent Jouve, mais celle-ci n'est jamais explicitement nommée, pas plus que Jouve lui-même. De plus, on dirait que seules l'introduction et la conclusion accordent une place significative au personnage. Le reste de l'article est plutôt échevelé, disons.
Voici tout de même la conclusion: “Les transformations dans le traitement romanesque du personnage sont donc liées à la renégociation des rapports entre lisibilité et illisibilité, ce qui suppose à la fois des changements dans les pactes de lecture, la position et la fonction du lecteur et des modifications dans les relations entre récit et savoir. C'est sans doute dans ce noeud que l'on peut voir, au travers des métamorphoses du récit, une permanence de la question du personnage plus que de l'effet-personnage.” (p. 435)