Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Blais, François
Titre : La nuit des morts-vivants
Éditeur : L'instant même
Collection : -
Année : 2011
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : roman (page de garde)
Quatrième de couverture :
« Un jour qu'il faisait très froid, des porcs-épics se serrèrent étroitement pour se tenir chaud. Mais bientôt ils sentirent réciproquement les effets de leurs piquants, ce qui les éloigna de nouveau les uns des autres. Chaque fois que le besoin de se réchauffer les rapprochait, ce second inconvénient se reproduisait, de sorte qu'ils allaient et venaient entre les deux maux jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé entre eux un éloignement modéré. Selon Pavel, la métaphore de Schopenhauer s'applique parfaitement à sa vie sentimentale ; quant à Molie, elle se range elle-même dans la catégorie des porcs-épics non frileux. Pavel et Molie vivent la nuit, le premier en raison de son emploi, la seconde parce qu'elle est plutôt asociale. Ils habitent tous deux Grand-Mère, ont fait partie de la même cohorte de finissants du secondaire, ils louent les mêmes films d'horreur au même club vidéo et lisent le même exemplaire d'un roman de George Eliot, mais ne se croisent jamais. Les âmes sœurs, en effet, tombent rarement l'une sur l'autre au coin de la rue. D'ailleurs, qui croit à l'âme sœur de nos jours ? Dans son cinquième roman, François Blais nous lance de nouveau sur la piste d'un duo, éminemment réaliste et savoureusement fictif. On y reconnaît son sens aigu du dialogue et du métissage de tons, cette habileté à raconter qui emporte et captive. Surtout, on y retrouve le pur plaisir du récit, qui s'alimente de la plus infime circonstance. Avec délectation. »
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
À Grand-Mère, près de Shawinigan, Pavel et Molie écrivent chacun de leur côté leur quotidien et sont mêmes payés pour le faire sans qu'ils sachent pourquoi. La vacuité de leurs existences de zombies modernes est - heureusement - traitée sur un ton dérisoire ou même parodique qui incite davantage au rire qu'aux larmes. Même s'ils sont allés à l'école secondaire ensemble, Pavel et Molie n'ont plus le moindre contact depuis cette époque, ce qui est étonnant étant donné leurs nombreux points communs et constitue un des principaux (et seuls) ressorts de l'intrigue. Pavel vit et travaille la nuit, travaillant à l'entretien d'un centre commercial ; Molie est essentiellement noctambule, mais n'a volontairement pas d'emploi parce qu'elle est, selon ses propres dires, “une grosse paresseuse sans ambition” (25). Pavel a lu Middlemarch de George Eliot et, par l'intermédiaire de plusieurs connaissances communes, le même exemplaire du roman s'est ensuite retrouvé entre les mains de Molie. Tous deux sont aussi fans de jeux vidéos, parlent des mêmes sujets (la poutine théorique, l'âme soeur impossible, etc.), louent les mêmes films d'horreur, utilisent la même métaphore de Schopenhauer des porcs-épics frileux, lui pour décrire sa vie sentimentale peu satisfaisante, elle pour parler de sa vie sociale, car elle est, justement, asociale, voire sociopathe à l'occasion. Évidemment, Pavel et Molie ne se rencontrent jamais et le roman n'a pas vraiment de fil conducteur précis hormis les interactions théoriques entre les personnages. Les derniers mots de Molie, à propos d'un vieux film d'horreur italien, sont d'ailleurs révélateurs à ce sujet : “ces films-là tu les prends et tu les laisses quand tu veux ça ne fait pas un pli pour être honnête ça revient toujours pas mal au même et il n'y a pas vraiment d'histoire.”(p. 172).
Thème(s) : Vacuité du quotidien, destin, âmes-soeurs, routine, films d'horreur.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix : Même s'ils apparaissent capables de initiatives fugitives, passagères, Pavel et Molie sont plus souvent qu'autrement des patients qui n'accomplissent pas grand-chose en fonction d'un objectif à moyen ou long terme. Agrémenter le quotidien de la manière la moins énergivore semble être leur seul véritable aspiration. Assez pertinent, je crois.
Appréciation globale : Très bon (et encore plus quand on connaît la ville de Grand-Mère), souvent drôle, mais il reste après la lecture une indéfinissable impression de malaise, une sorte de curiosité morbide, peut-être…
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : Ce qui différencie Pavel et Molie de la plupart des autres humains, c'est leur inaction et leur absence d'ambition, sans compter que celles-ci sont tout à fait assumées. Peut-être est-ce d'ailleurs pour cette raison que tous deux apprécient autant les films d'horreur: la violence de ces films leur font oublier quelques heures leurs vies pathétiques.
Pavel, par exemple, en mentionnant un incident qui empêche l'équipe d'entretien dont il fait partie de cirer le plancher de la Plaza, se demande: “L’esprit humain peut-il concevoir pire tragédie ?”, signe qu'il se tourne lui-même en dérision et ne se fait pas d'illusion sur la futilité de son travail. De plus, même quand il tombe en congé, Pavel ne cherche pas à prendre le beat de jour parce que, pour reprendre ses mots, “il n'aime pas se faire violence” (19), une manière de dire qu'il est lâche et préfère le statu quo à quelque initiative que ce soit.
Molie vit aussi dans la même conscience de son déphasage et avoue sans ambages son absence d'ambition, même si elle aurait probablement, à l'instar de Pavel, les capacités - au moins intellectuelles - pour vivre de façon plus normale : « Si je ne fous rien, tenez-vous-le pour dit, c'est uniquement parce que j'ai eu la chance de naître dans un pays qui entretient ses gros paresseux sans ambition. » (26) et « bah moi tu sais ça fait longtemps que je suis étiquetée grosse pas d'allure plus personne dans mon entourage ne s'attend à ce que j'agisse sur le sens du monde plus personne n'espère des comportements adultes de ma part » (132).
Par ailleurs, l'incipit du roman, “Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Mais ce n'est plus possible depuis que je travaille de nuit pour Maintenance des Chutes à titre d'employé d'entretien (classe 2).” est révélateur du contraste qui existe entre les capacités intellectuelles des deux protagonistes et ce qu'ils se contentent de faire.
Dans le cas de Pavel, on a peu d'informations à propos de l'origine de son comportement de marginal, mais on peut tout de même affirmer que le problème vient de sa propre personnalité, étant donné qu'il est généralement capable d'évoluer en société (à condition que l'amour ne soit pas impliqué), qu'il est somme toute intelligent, mais qu'il ne voit aucun intérêt à vivre en adulte responsable.
On en sait un peu plus de Molie dont l'asocialité paraît provenir d'un complet désabusement à l'égard des autres: ”[Raphaël parle:] je pensais que tu te donnais un genre que tu faisais ta sauvage pour te rendre intéressante mais depuis que je te connais un peu je vois bien que le monde te fait peur pour vrai et parfois ça te fait agir bizarrement comme à l'instant [; Molie:] non non tu te trompes c'est pas de la peur c'est autre chose c'est disons de l'ennui le monde m'emmerde et ça ne fait pas de moi un cas spécial toi aussi le monde t'emmerde j'en suis persuadée mais toi tu es un porc-épic frileux et moi un porc-épic pas frileux et c'est la seule différence entre nous” (155-156). Pour information, les porcs-épics en question sont issus de la métaphore de Schopenhauer que Pavel et Molie citent tour à tour (voir fin de la fiche). Bref, pour l'esprit terre-à-terre et dénué d'hypocrisie de Molie, puisque les autres ne sont d'à peu près aucun intérêt pour elle (elle avoue elle-même être un monstre d'égoïsme), il n'y a pas de raison pour qu'elle ait des interactions avec eux. De plus, Molie ne se raccroche à aucune des illusions dont la plupart des gens s'entourent pour donner un sens à leur vie et supporter plus facilement l'existence: “la bullshit ça peut sauver des vies si tu y crois c'est comme la religion c'est des histoires à dormir debout mais je suis jalouse de ceux qui les avalent parce que je sais que je serais un peu plus heureuse si j'étais un peu plus perméable à la bullshit mais depuis le jour maudit où la fée des dents m'a chié dans les mains ça a été comme un effet domino” (134, la bullshit représente ici l'âme soeur).
Les seuls véritables projets que Pavel met en branle, ses tentatives de séduction, ne sont pas à proprement parler des réussites. Il faut dire que si Pavel agit de façon à peu près normale avec les autres êtres humains, lorsqu'il est amoureux d'une fille, la situation est tout autre. C'est qu'il est atrocement gêné et qu'il a peur d'être déçu, ce qui le pousse à imaginer toutes sortes de stratagèmes qui, en bout de ligne, échouent et le ridiculisent. Une fois, il tombe amoureux de Zoé, une barmaid, et se rend par conséquent à son bar tous les jours pour prendre quelques pintes, assis dans un coin. Afin de lui parler plus souvent, il décide ensuite de commander des verres. Toutefois, il a peur que la Zoé réelle soit décevante par rapport à la Zoé idéale qu'il imagine, c'est pourquoi il s'arrange pour que leurs conversations s'en tiennent à la relation barmaid-client. Finalement, il accomplit une “mission de sabotage” (70), c'est-à-dire qu'il s'assoit au bar en sachant très bien qu'il devra se trouver une nouvelle “Fille idéale” bientôt. On ne peut qu'imaginer la suite (en tout cas, Zoé l'a traité d'imbécile). Une autre fois, il écrit des lettres passionnées à la caissière de l'épicerie et apprend le plus de choses possible sur elle, mais sans se dévoiler. En fait, il a surtout l'air d'un maniaque dans ses lettres…
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Les chapitres alternent entre le récit de Molie (narration autodiégétique à la 1ère personne) et celui de Pavel (narration autodiégétique à la 3e personne). Pourquoi une narration autodiégétique à la troisième personne ? Parce que la décision d'écrire venant de quelqu'un d'autre qui n'impose pas la moindre condition, Pavel se donne un nom fictif (Pavel) et décide d’écrire à la troisième personne façon Jules César, car il “espère, à la longue, que ça va [lui] donner l’illusion de parler de quelqu’un d’autre. » (6-7) Surtout dans les premiers chapitres, Pavel et Molie commenteront la tâche d'écriture dont ils ont été chargés, comme s'ils cherchaient à justifier leur écriture/narration.
Dans plus de la moitié de son récit, Molie n'emploie pas la moindre ponctuation et livre le texte en un bloc sans aspérité, très près du flux de conscience et parfois plus ou moins cohérent. En outre, Pavel et Molie emploient un langage à la fois précieux (utilisant toujours par exemple la négation « ne… point ») et près de l'oralité (« j'étais complètement dans le cirage », « pour faire ma fine », etc.).
Pavel et Molie emploient aussi un langage à la fois précieux (utilisant toujours par exemple la négation « ne… point », un registre de langue parfois soutenu) et près de l'oralité, avec quelques sacres, des expressions comme « j'étais complètement dans le cirage », « pour faire ma fine », etc.
VI - Les porcs-épics de Schopenhauer
“Un jour qu'il faisait très froid, des porcs-épics se serrèrent étroitement pour se tenir chaud. Mais bientôt ils sentirent réciproquement les effets de leurs piquants, ce qui les éloigna de nouveau les uns des autres. Chaque fois que le besoin de se réchauffer les rapprochait, ce second inconvénient se reproduisait, de sorte qu'ils allaient et venaient entre les deux maux jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé entre eux un éloignement modéré.”