ECHENOZ, Jean, Courir, Paris, Éditions de Minuit, 2008.
Personnage :
Le récit porte sur Émile Zapotec, un coureur qui n’était pas destiné à devenir un athlète, car il détestait le sport. Il est venu à la course par hasard et il est devenu un champion naturellement (dans la mesure où il avait un talent hors du commun qui l’a mené à gagner toutes les compétitions). Il vit en Tchécoslovaquie au début du XXè siècle. Il connaît les deux guerres et l’occupation allemande, puis russe. Le politique apparaît en trame de fond dans le récit mais, comme Émile est docile, il se laisse porter par les événements et ne s’élève pas contre l’autorité. Il fait d’ailleurs partie de l’armée et monte en grade rapidement à cause de ses bonnes performances sportives. Son attrait pour la course est présentée comme une forme de fuite, vu le régime politique oppressif dans lequel il évolue. On peut y voir également un accès à la liberté. Il devient un héros national et voyage à travers le monde, malgré certaines réticences du gouvernement.
Agencement narratif :
Le récit est linéaire et composé de 20 sections brèves. On débute par l’adolescence d’Émile et qui se termine, non pas avec la mort du personnage, mais avec son dernier emploi comme archiviste. Il travaillera le reste de sa vie dans un sous-sol, comme si, en bout de ligne, il s’était effacé du monde extérieur.
Narration :
narration extradiégétique comprenant des failles. Par moments, le lecteur peut croire qu’il fait face à une narration omnisciente, mais le narrateur montre qu’il ne détient pas toutes les informations sur un épisode donné. Cela amène à se questionner quant au savoir du narrateur et à sa compétence. Mais en même temps, les informations qu’il ne possède pas relèvent du banal et n’interviennent pas dans la suite du récit : la présence de vent lors de tel événement. Cela souligne l’aléatoire du geste narratif et l’impertinence de certaines informations contribuant à recréer l’atmosphère d’une scène. Le narrateur porte également des jugements sur son personnage.
Commentaire :
aucune information technique n’est donnée, ni même les temps, alors que le sport se résume parfois souvent à des statistiques, à des chiffres. On donne une vision plus métaphysique de la course, qui ne se s’entiche pas de données chiffrées. Le contexte des courses est davantage exploité.
Résumé de la ligne narrative/biographique :
1- Invasion des Allemands en Moravie. « Ce n’est qu’une petite invasion éclair en douceur, une petite annexion sans faire d’histoires, ce n’est pas encore la guerre à proprement parler. C’est juste que les Allemands arrivent et qu’ils s’installent, c’est tout. » (p.8) Banalisation d’un début de guerre et de génocide aux conséquences épouvantables. Ironie. Émile, comme les autres habitants de la Moravie, n’a pas accueilli cette invasion avec le sourire. Antipathie manifeste contre les Allemands. Présentation du personnage : Émile, apprenti dans une usine, atmosphère sérieuse, régime communiste de contraintes Description physique : 17 ans, profil d’un priviégié : « c’est un grand garçon blond au visage en triangle, assez beau, assez calme et qui sourit tout le temps, et l’on voit alors ses grandes dents. Ses cheveux sont clairs et sa voix haut perchée, sa peau très blanche est de celle qui redoute le soleil. » (p. 19)
2- Émile travaille à l’usine Bata de Zlin, une usine de chaussures. Il prépare de la cellulose et va étudier à l’École Supérieure pour devenir chimiste. Émile déteste le sport et l’entraînement. Puis, les Allemands occupent la ville et s’emparent du pouvoir. Le fonctionnement de la vie sociale change.
3- Allemands font de la propagande, notamment en organisant des manifestations sportives auxquelles Émile est quelque peu obligé de participer. Il arrive 2è à une course de cross-country et commence à s’intéresser à la course, rejoignant graduellement l’équipe locale. Il est renvoyé de l’usine, pour s’être plaint de sa nouvelle affectation. Il étudie alors à temps plein.
4- Courir représente un moyen de fuir la dure réalité de son pays en temps de guerre. Il s’entraîne alors de plus en plus et veut aller toujours plus vite. Il réalise sa première compétition en dehors de Zlin, une course de 1500 mètres. Il gagne et invente du même coup le sprint final. Il tente d’augmenter son endurance. Il devient le premier du pays à faire 5000 mètres en un quart d’heure. Il bat alors son 3è record de l’année à Prague.
5- Les Allemands commencent à brûler leurs archives, ce qui est le signe que la victoire leur échappe petit à petit. Les temps sont durs : on est passible de la peine de mort si jamais on utilise le bois des ruines de la ville pour se chauffer. Émile et ses amis contreviennent au règlement, mais cela ne leur attire pas de conséquences graves. L’hiver passé, Émile s’entraîne dehors, mais il y a une alerte, signe que les Russes se mettent à bombarder la ville. Les Allemands quittent la ville. Émile va à la rencontre des Russes pour leur témoigner sa reconnaissance de les avoir sauvés de l’ennemi. La guerre se termine.
6- La Tchécoslovaquie refait ses troupes. Émile doit s’engager dans l’armée et faire son service. Il participe aux championnats militaires et réalise deux nouveaux records. Il devient officier et participe à des courses internationales, dont une à Oslo où il arrive 5è.
7- Il devient (« l’air de rien ») l’idole de son pays. Il part pour Berlin, mais se perd et doit dormir, affamé, sur un banc. Arrivé à la course, on se moque de lui parce qu’il est le seul représentant de son pays. Il est ridiculisé par la foule. Intervention du narrateur : « Il écoute les discours d’ouverture sans les comprendre, tout en contemplant distraitement les drapeaux nationaux qui flottent ou bien qui pendent – j’ignore si le vent souffle ce jour-là. » Le narrateur fait mine de ne pas tout savoir. Sa connaissance du récit paraît faillible, voire aléatoire. Il remporte la course, malgré son « style impur » (p. 46). La foule est impressionnée et on voit en lui un coureur miraculeux, mais il répond à l’excitation ambiante en étant modeste.
8- Description du style d’Émile. On précise que toutes ces années d’entraînement cumulées représentent, en terme de distance, trois fois le tour de la Terre.
9- Il est devenu un champion. On dit qu’à courir ainsi, il s’assassine (selon les médecins qui trouvent ses performances invraisemblables, voire dangereuses). Un certain fanatisme s’établit autour de sa personne. Son surnom : la Locomotive. Il devient un athlète d’État, un outil de propagande. Il passe d’officier, à sergent, à lieutenant. Il se rend à plusieurs rencontres internationales. Il rencontre une fille, Dana, une lanceuse de javelot qui est aussi la fille de son colonel. Avis du narrateur : « Je dois dire qu’elle est tout à fait bien… » (p. 58). Il lui suggère rapidement d’habiter ensemble. Il se rend aux Jeux Olympiques de Londres et remporte une médaille d’or.
10- Au retour, il bat le record du monde. Dans l’armée, on le prend comme un phénomène du socialisme réel, on ne veut plus l’envoyer à l’étranger aussi souvent, parce que cela éloigne Émile de ses obligations militaires. On a peur qu’il soit tenté de rester chez les impérialistes bourgeois. Son entrain diminue. Il commence à perdre des compétitions. Il épouse Dana à Prague.
11- Un climat de peur règne à Prague. Univers de suspicion : traîtrise, complot, etc. Plusieurs personnes se font emprisonner sans raisons véritables. Narrateur remet en doute les dires du personnage : « Bien sûr, Émile, bien sûr, cette forte pensée t’honore. » (p. 72). On retire Émile du monde, on le cache et on crée ainsi un mystère autour de lui. Il est le premier homme à courir vingt kilomètres en une heure. Un journaliste étranger réussit à avoir une entrevue avec Émile, mais celui-ci est caché. Dana répond à sa place, mais elle est sous surveillance tout le temps que dure l’entretien.
12- Emile atteint l’âge de trente ans. Il est fatigué et amaigri. Il se rend aux Jeux Olympiques d’Helsinki, accompagné de Dana. Il participe à trois compétitions : le 5000 mètres, le 10 000 mètres et le marathon. Il les remporte toutes. Petite histoire de l’origine du marathon. Il exécute le marathon sans afficher son visage contrit comme à l’habitude lors de la course. Il ne semble avoir réalisé, après, aucun effort, comme si la compétition fut aisée. Narrateur affirme ne pas vouloir ennuyer le lecteur en racontant les détails de l’accueil de Émile à Helsinki (analepse).
13- L’État refuse qu’il aille aux Etats-Unis (à cause de la guerre froide) ni ailleurs en dehors de l’Europe orientale. Émile gagne trop souvent, cela devient presque lassant pour les journalistes et les spécialistes du sport. Passage sur le nom de famille de Émile : Zapotec (cette précision vient tardivement dans le déroulement du récit, alors que cette information permet de cerner la référentialité du personnage, de lui donner une densité historique). Fin de l’année. Résumé des événements (des plus banals aux plus importants, mais tous mis sur un même plan) : vente du tableau de pointage des Jeux de Helsinki, mort de Staline et de Gottwald.
14- Émile part pour le Brésil. Il s’enferme avec du papier à rouler dans la salle de bain. Événement simultané : un prisonnier écrit son témoignage sur du papier à rouler à Prague. Plus tard, on revient sur ce passage : Émile voulait vérifier si l’eau tourne à l’inverse dans l’hémisphère Sud. (Passage anodin dans un tel contexte de répression). Il gagne la course. Lendemain, il attrape une grippe et on lui amène dans sa chambre d’hôtel ses trophées. Exagération du narrateur : « on livre deux cent s kilos de médailles, de coupes et de trophées » (p. 99); Émile est compétition contre mille autres coureurs, puis ensuite on dit qu’il y en a des millions. Il donne une entrevue lors d’un passage à Paris. Ses propos son repris à tort par un journaliste tchèque et il est banni de la France. On lui accorde tout de même un visa.
15- Émile commence à perdre. Commentaires du narrateur : le personnage d’Émile l’ennuie : « Je ne sais pas vous mais moi, tous ces exploits, ces records, ces victoires, ces trophées, on commencerait peut-être à en avoir un peu assez. Et cela tombe bien car voici qu'Émile va se mettre à perdre. » (p. 106). De plus, le narrateur fait des suppositions sur les événements alors que depuis le début du récit, il sait tout. Citation : « Et après cela, malgré sa calvitie, il fait l'acquisition d'une brosse à cheveux en nylon, modèle inconnu sous les cieux tchécoslovaques. Mais de doit être pour Dana car il achète aussi un savon parfumé à l'amande et un tube de Rouge Baiser. » (p. 106)
16- Émile se rend au Brésil. Il donne une entrevue et il est encore mal cité. On lui retire son visa.
17- Émile a maintenant 33 ans, son amour de la victoire diminue tranquillement. Il publie ses mémoires. La situation à Prague est moins répressive. Il devient plus facile de quitter le pays. Narrateur tutoie le lecteur.
18- Émile pense à prendre sa retraite. Ultime compétition aura lieu aux Jeux olympiques de Melbourne. Il s’entraîne, contracte une hernie et doit subir une opération. Lors des Jeux, son corps le lâche complètement : il vomit, pleure et tombe sur le gazon. Il se dit que tout est finit.
19- Il revient d’Australie. Il est nommé colonel. Ses amis coureurs lui demandent de courir avec eux par plaisir. Il reprend la compétition et enchaîne des victoires et des défaites. Le narrateur en témoigne : « C’est émouvant, c’est compliqué. » (p. 130) La Tchécoslovaquie souhaite devenir un pays démocratique. Le climat de peur s’apaise et Émile s’associe publiquement à ce renouveau politique.
20- Les Russes n’apprécient pas la liberté que prennent les Tchèques. Ils envahissent le pays. Émile a maintenant 46 ans et se joint aux rassemblements de la population qui s’opposent à l’occupation russe. Il appelle au boycott de l’URSS pendant les Jeux olympiques. Il est alors radié de l’armée, interdit de séjour à Prague et exclut du Parti communiste. Émile se retrouve au chômage et refuse de s’exiler. Il est envoyé dans les mines d’uranium de Jachymov, près de la frontière allemande. Il y reste six ans, puis on lui permet de revenir en ville à titre d’éboueur pour l’humilier, mais il est acclamé partout où il passe dans les rues, comme un héros. On l’envoie alors en campagne pour faire des travaux de terrassement. Il est convoqué au Pari où on lui fait signer un papier sur lequel il nie tous les mauvais traitements subis par l’état et il avoue ses torts d’avoir soutenu les forces contre-révolutionnaires et les révisionnistes bourgeois. Il doit prétendre qu’il est géologue (alors qu’il creuse des trous pour l’installation des poteaux télégraphiques). On lui confie ensuite un poste d’archiviste au Centre d’informations des sports. Émile, le doux, accepte son sort avec modestie, puisque selon lui il ne méritait pas mieux.