Table des matières
FICHE DE LECTURE
I- MÉTADONNÉES ET PARATEXTE
Auteur : Mathieu Belezi
Titre : Je vole
Éditeur : Éditions du Rocher
Collection : -
Année : 2002
Éditions ultérieures : -
Désignation générique : roman (couverture)
Quatrième de couverture :
“Du haut de mon dixième étage il y a belle lurette que je suis sorti du rang. Pour être honnête il faut dire que je n'aspire qu'à y rentrer dans le rang, qu'à me plier à ses lois internes, à son allure martiale, à son irrésistible marche en avant.”
Malgré son désir de revenir dans la normalité, un homme d'une quarantaine d'années s'enfonce davantage dans la misère économique, sexuelle et morale. Chômeur en fin de droits, divorcé et asthmatique, il ne trouve de courts instants de bonheur que dans un tube de Ventoline ou les visites de sa fille, avec laquelle il s'échappe les dimanches en imitant le vol des oiseaux dans les dunes.
Dans un style à la fois réaliste et poétique, Mathieu Belezi évoque les détails quotidiens de cette chute irrémédiable ponctuée de moments de grâce. Mais à travers cette confession d'un médiocre, c'est le miroir à peine déformé d'une société impitoyable qu'il nous renvoie. Je vole est le roman de la dignité perdue des hommes sans travail et sans amour.
Mathieu Belezi partage sa vie entre Paris et la Méditerranée. Ses deux précédents romans, Le Petit Roi et Les Solitaires, salués par la critique, ont obtenu un beau succès public.
II- CONTENU GÉNÉRAL
Résumé de l’œuvre :
Dans une ville au bord de la Méditerranée, un ancien comptable dans la quarantaine, asthmatique, divorcé qui peine à payer la pension alimentaire, chômeur qui n'aura bientôt plus droit à l'assurance-chômage et dépressif à temps presque plein, n'a droit qu'à quelques rares instants de bonheur lorsque, le dimanche, il peut passer quelques heures avec sa fille. Lors de ces rencontres, ils se rendent souvent à la plage où ils s'amusent à jouer à l'oiseau, déployant leurs bras et dévalant les dunes, seul moment où le père retrouve un semblant de liberté.
Si l'ancien comptable réussit plus tard à remonter à la surface, dénichant un emploi de “technicien de surface” et fréquentant une nouvelle femme, Martine, c'est malheureusement pour retomber encore plus bas qu'il n'était auparavant. Quand il perd son emploi et est rejeté par Martine, il retrouve son appartement misérable du dixième étage d'une tour de la Cité des Oliviers. Vient ensuite le moment où il arrive à nouveau au terme de son assurance-chômage et que même sa mère ne peut ou ne veut plus lui prêter d'argent. Résigné à ne jamais retrouver sa place dans la société, l'homme se promène avec sa fille, un dimanche, et tous deux décident de s'envoler du haut d'un immeuble pour “fuir les gens” et ne plus “être de ce monde”.
Thème(s) : Famille, ennui, dépression.
III – JUSTIFICATION DE LA SÉLECTION
Explication (intuitive mais argumentée) du choix :
Appréciation globale : Lecture qui, sans révolutionner le roman, demeure tout de même agréable.
IV – TYPE DE RUPTURE
Validation du cas au point de vue de la rupture
a) actionnelle : L'ancien comptable ne parvient pas à retrouver sa place dans la société et nous lisons le récit de sa déchéance uniquement freinée, une fois par semaine, par la visite de sa fille. Toutefois, même s'il est profondément aliéné ou mis à l'écart de la société, l'homme ne fait preuve d'aucune volonté de révolte ; il est docile et impuissant, en quelque sorte victime consentante de sa déchéance et en partie responsable de son enlisement.
« Les gens font autre chose que ce qu’ils ont l’habitude de faire. Les gens, mais pas moi. Du haut de mon dixième étage il y a belle lurette que je suis sorti du rang. Pour être honnête il faut dire que je n’aspire qu’à y rentrer dans le rang, qu’à me plier à ses lois internes, à son allure martiale, à son irrésistible marche en avant. » (p. 12)
Pour justifier sa mollesse, sa docilité et sa mise à l'écart de la société, le personnage principal accuse principalement son passé. Plus particulièrement, il s'en prend à l'éducation très dure et répressive que sa mère et son grand-père (qu'il nomme sans arrêt “cet homme qui n'était pas mon père mais qui se prenait pour tel”) lui ont donnée. Toutefois, il élabore très peu sur les détails de cette éducation, se contentant de répéter que c'est à cause d'elle qu'il est devenu aussi docile, soumis, alors que sa situation peu enviable devrait normalement l'inciter à la révolte. Voici quelques extraits dans lesquels l'homme insiste sur ce rapport problématique avec son passé et son éducation:
« Il faudrait en finir une bonne fois pour toutes avec les souvenirs, vivre le seul présent déjà suffisamment semé d’embûches. Tuer les analystes, tuer la mémoire. Mais les hommes ici-bas n’ont pas plus de courage que je n’en ai, moi qui n’aspire qu’à retrouver un travail de comptable, et ma fille tous les jours, et l’ex-femme redevenue ma femme dans un lit. » (p. 63-64)
« Moi, qu’une éducation de fer a rendu plus docile qu’un domestique, comment donner libre cours à cette fureur qui, comme en beaucoup de mes semblables, me ronge les sangs ? » (p. 91)
« Je me souviens. Je me souviens. Il faudrait que j’en finisse avec les souvenirs ! C’est par pans entiers que mon passé se découvre et me tyrannise. Comme si cela ne suffisait pas. J’en ai la mémoire farcie de ces souvenirs. Tout ce que je désirais, je l’ai dit mais il n’est pas inutile de le redire, c’était d’aligner des chiffres jusqu’au jour de ma retraite, de pouvoir exercer en paix mon métier de comptable, avec à mes côtés la femme que j’avais épousée et la fille que j’avais faite, dans l’hébétement salutaire de l’habitude, ceci afin que ma mémoire s’en tienne à un rôle strictement informatif » (p. 158)
Et même s'il aspire à retrouver sa place dans la société, il n'a parfois même pas la force ou la volonté de répondre au téléphone quand il est en recherche d'emploi, de se faire à manger avec la nourriture qu'il a pourtant déjà achetée, etc. Bref, il sabote ses propres initiatives. Les projets avortés sont principalement de deux types: amour et travail. Du côté sentimental, nous ne possédons pas beaucoup d'information, mais l'homme se désole continuellement de ne pas parvenir à trouver une femme pour satisfaire ses besoins autant amoureux que sexuels. Par exemple, il a abordé une fois une prostituée, mais il n'avait pas suffisamment d'argent et elle l'a ridiculisée sans qu'il tente de se défendre. Depuis, il se contente de regarder les filles de la rue. Du côté du travail, il s'entête à vouloir retrouver son emploi d'expert-comptable, c'est pourquoi, pour un temps, il refuse toutes les autres offres jusqu'à ce qu'il n'ait plus le choix et accepte un poste de technicien de surface. Après un an, cependant, il cesse de se présenter au travail et retombe dans son apathie quotidienne.
V – SPÉCIFICITÉS POÉTIQUES
Naration autodiégétique par un personnage dont on ne connaît pas le nom. D'ailleurs, les deux seuls noms que l'on connaît sont ceux de Martine, l'éphémère partenaire du héros, et de Doumé, un serveur qui lui apporte une ou plusieurs bières presque à tous les jours.
De plus, les dialogues sont typographiquement intégrés à la narration (sans guillemets ni tirets), soit de cette façon :
J'“empoigne le combiné et di[s]: : Allô ? C'est idiot, je le reconnais, mais je ne vois pas ce que je pourrais bien dire d'autre que allô. Papa, c'est toi ? dit-elle. J'avais oublié le rendez-vous avec ma fille. Eh oui, c'est moi, qui crois-tu avoir au bout du fil ?…” (p. 159) ;
soit comme ça:
“J'entre et commande une bière au vieux type qui se tient comme un manche derrière le comptoir, raide à faire fuir un ivrogne,
Une pression,
Le bar est fermé, monsieur,
il parle sans ouvrir la bouche, je ne sais pas comment il s'y prend, ses lèvres bougent à peine,
J'ai oublié de donner un tour de clé,
Vous fermez tôt,
Oui, c'est à cause de mon âge,
quant à ses yeux, ils me fixent sans ciller, pupilles étonnamment rondes dans leurs orbites…”
Dans les deux cas, il me semble que cela accentue l'impression de monotonie, du déroulement uniforme d'un quotidien sans aspérité.
VI - EXTRAITS
« Je payerais cher pour une ablation de ma mémoire, un curetage complet du cerveau et de ses pédoncules, afin qu’un jour comme aujourd’hui je puisse marcher la tête haute et dégagée, sans arborer ce front soucieux, barré de plis, sans traîner les pieds comme je me le vois faire dans les vitrines » (p. 27)