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ranx:fleurs_de_crachat_-_ancienne_fiche

Notice bibliographique : Catherine Mavrikakis, Fleurs de crachat, Montréal, Leméac, 2005, 199 p.

Résumé de l’œuvre :

Flore Forget est une chirurgienne de 45 ans qui essaie de passer à travers la vie malgré les amours chaotiques, les déboires familiaux et les cicatrices laissées par l'Histoire. Abonnée à un psy et aux pilules qui lui permettent de dormir la nuit et ne pas trop perdre le nord le jour, Flore vit avec sa petite fille, Rose, et déborde d'une rage qu'elle s'efforce de dissimuler : « Crache sur tout le monde, mais en souriant, comme cela, mine de rien. Crache avec classe, crache dans le vent et surtout pas en l’air […] Moi, Flore Forget, j’invente le crachat invisible. Le crachat propre. Le glaviot de la mauvaise foi qui convient à tous. » (p. 14). Un jour, Florent, frère aîné cinglé que Flore n'a pas vu depuis trente ans, lui rend visite parce qu'il a senti que leur mère était au bord du trépas, ce qui s'avère exact: elle a un cancer du sein qui l'emportera en l'espace de deux petits mois. Flore se lance alors dans une chronique familiale pour replacer son existence (et ses travers) en contexte et peut-être, à travers ses aïeux européens, son enfance aux États-Unis, expliquer les démons qui la rongent de l'intérieur. Vers la fin du roman, ainsi que l'avait prédit Violette, la mère décédée (« Il faut aimer la vie, Flore, et tout refleurira. » (p. 61)), les choses s'améliorent pour Flore qui reprend goût à la vie. Son frère fait un kamikaze de lui dans le consulat d'Allemagne, emportant avec lui le poids du passé, ce qui la délivre de ses tourments familiaux. De plus, elle se marie avec Vincent, un cuisiner français qui, lui, vit dans le présent et permet donc à Flore de renaître.

Narration : autodiégétique

Explication : Flore Forget soliloque d'un bout à l'autre du roman, interrompue seulement par quelques monologues/tirades (en italique) de certains personnages, passages qui font entre une dizaine de lignes et plusieurs pages. Voir aussi “manifestations langagières”.

Personnage(s) en rupture : Flore et Florent (mais je m'intéresserai à lui surtout pour caractériser Flore)
A) Nature de la rupture : rapport problématique avec le passé

Trois stades sont perceptibles dans le cheminement de Flore au cours de Fleurs de crachats.

1. Florent, “l'Fêlé”, est cinglé. Il vit dans dans des souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale, souvenirs qu'il s'est créé à partir d'un héritage familial européen (grands-parents vivant en Normandie, grand-père qui a fait la guerre, etc.). En conséquence, il est persuadé - à des degrés variables d'une journée à l'autre - d'être entouré de Boches qui veulent instaurer un nouveau Reich et son comportement à tendance paranoïaque est souvent imprévisible. On apprend également, plus tard dans le roman, que Flore et Florent ont un passé incestueux et que Flore a longtemps cru, elle aussi, avoir dans la tête toutes ces folies guerrières, depuis qu'au passage d'un train, elle s'est imaginée en détenue en route pour les camps d'extermination. Selon elle, une partie de sa rage provient de ce passé refoulé : « Je n’avais plus rien dans la tête, sauf ce tchoutchoutchou sans fin, un long sifflement, un acouphène persistant qui fait que j’ai gueulé toute ma vie pour le couvrir. Il fallait que je hurle pour ne pas l’entendre, crier contre tout le monde, m’époumoner, bramer. […] J’ai craché sur tout le monde et sur moi-même avec. » (p. 164-165). Le premier stade est donc celui de révolte contre un monde pourri et se traduit par une rage intérieure qui rend Flore excessivement narcissique, amère, voire vindicative.

2. Avec le retour de son frère (dont elle a déjà été trop proche) et la mort de sa mère dont elle était très proche, Flore change sa manière de percevoir le monde. Désormais, elle ne lui offre plus que son indifférence et semble prête à endurer la vie jusqu'à ce que la mort vienne la prendre : « Je demande pardon et je rends grâce à Dieu de m’avoir épargnée, de ne m’être pas endormie pour toujours dans les effluves inodores de mes petits pilules. Je ne veux pas me suicider. […] Il faut continuer le grand cirque, mais en aboyant avec les loups » (p. 49); « Avec moi, il n’y a pas de quartier et aucun abri fortifié ne tient le coup, mais depuis que Maman est partie, que l’Fêlé est revenu, que je me bombarde le corps de pilules, je capitule, j’accepte les choses telles qu’elles se présentent, et presque dans la bonhomie. » (p. 53); « Décidément, je ne me crois pas prête à manger de ce pain-là, le pain du bonheur. Le meilleur médecin est la marmite, c’est vrai, mais qui a dit que je voulais guérir de la vie ? Qui a dit qu’il me faut de la désintox ? Je voudrais bien encore un peu m’injecter du désespoir, du malheur tranquille. » (p. 116)

3. Enfin, avec la rencontre de Vincent qui, à l'opposé de Florent, se donne corps et âme au présent et s'abandonne au bonheur de vivre, Flore, d'abord réfractaire, parvient tout de même à se défaire lentement de son passé qui colle à elle comme de la glu. Elle réalise que la folie dont elle croyait souffrir appartient davantage à son frère qu'à elle et, en conséquence, décide de se défaire des dernières bibittes dans sa tête: « L’heure est au dépouillement. Le tchoutchou qui s’éloigne dans ma tête, qui se perd au loin. Les pilules aident grandement à effacer ce bruit. Je rends à César ce qui lui appartient. L’embaumement du passé, le maintien de la démence. Tu [Florent] géreras tout cela. […] Je te refile ce legs-là. C’est ce que tu auras. » (p. 166). Lorsque Florent, dans une crise psychique, se rend au consulat d'Allemagne pour s'y faire sauter, c'est la délivrance pour Flore. Désormais, elle peut véritablement laisser les hantises du passé derrière elle, renouer avec le monde : « Aujourd’hui, j’apprends que j’existe, j’apprends que le monde est là et je lui dis : … me voilà ! » (p. 188) et, surtout, se définir par elle-même et non plus seulement par rapport à ses ancêtres et à la tragique Histoire: « Je ne suis pas la France, je ne suis que moi. Je suis l’Américaine, celle du Nord, la fille de la neige. Les fleurs ici sont rares, la saison est courte. Moi, j’aime les froids pays où la guerre résonna sans venir meurtrir le sol de tous les coups portés. […] c’est ici que je peux oublier parfois le passé. À chaque carrefour, je n’ai pas à lire qu’un jeune homme fut zigouillé lâchement sur le trottoir. […] Je choisis mon camp, celui de la vie conne. De la vie gaillarde. La bêtise ne me fait pas peur. Et j’en ai bien besoin. J’en reprendrai au dessert et j’en serai reconnaissante. » (p. 183-184). La vie conne, la vie gaillarde, c'est la vie qu'elle veut pour elle, mais aussi pour sa fille. Flore ne veut pas que Rose ait à vivre les mêmes épreuves et les mêmes tourments qu'elle, c'est pourquoi elle “abjure aujourd'hui ses vieux crachats d'antan”, elle cesse de se battre contre le monde, les morts, le passé, pour renaître du côté de la vie. À la toute fin, son mariage avec Vincent constitue une sorte d'apothéose dans laquelle les fleurs, l'enfance et la nourriture se mélangent pour former le plaisir d'être en vie. Justement, Flore décrit comment elle se fait symboliquement décapiter, la tête sur un billot, afin d'en finir une bonne fois pour toutes avec la mort et la peur de la mort.

B) Origine de la rupture : psychique

Depuis qu'elle est toute petite, Flore est tiraillée entre la douloureuse mémoire européenne de ses aïeuls que s'est appropriée son frère et sa vie de nord-américaine contemporaine. Lorsque, petite, elle entend un train passer au milieu de la nuit, elle bascule du côté de l'héritage familial empoisonné à l'instar de son frère mais dans une moindre mesure. Il est aussi raisonnable de penser que les amours incestueux qu'elle aura pendant plusieurs années avec Florent ont un peu abîmé son équilibre psychique.

C) Manifestations : langagières

Explication : La syntaxe du soliloque de Flore se modifie au gré des fluctuations mentales/psychiques de la narratrice. Le deuxième chapitre, par exemple, est écrit en une seule phrase, en un seul souffle, et correspond au moment où la rage de Flore est la plus violente (délires anthropophages et désirs de meurtres, notamment), la plus palpable parce que s'apparentant encore plus que le reste du roman au flux de conscience d'un être au bord de l'explosion.

La langue est extrêmement travaillée dans Fleurs de crachat et le mélange entre langage obscène, rythme haletant, brisé, envolées lyriques et passages débordant d'images et de métaphores filées (florales et gastronomiques, entre autres) donne à l'ensemble du déversement de paroles de Flore un aspect de folie hallucinatoire dans laquelle les émotions sont toujours à fleur de peau.

D) Objets : ...

Explication :

E) Manifestations spatiales : la forme du flux de conscience ne se prête pas tellement à la description de lieux sauf pour...

Lieux représentés : …l'église

Explication : Au dernier chapitre, la description de l'église fait penser à une toile de style rococo représentant une orgie dionysiaque mêlée à un jardin d'angelots: tout y est grandiose, un peu quétaine, avec des enfants, des fleurs, de la musique, de la nourriture, dans une atmosphère de plaisir sexuel parfois explicite, parfois saisissable dans les images convoquées, bref c'est la vie qui jaillit de partout à la fois et même de la tête “symboliquement” décapitée de Flore.

F) Derniers mots du roman:

« J’aime les souvenirs qui ne datent que d’hier, j’aime les souvenirs qu’on consomme en petits choux. J’aime les souvenirs qui sont vite remplacés par d’autres encore meilleurs. J’en reveux, miam, miam, du bonheur, de l’amour. Du neuf… De l’Amérique, et de l’oubli qui avale. Que cela continue, encore et toujours. Mon Dieu, faites infiniment tourner la manivelle du temps… Je vous en supplie, je vous le demande à genoux. Que le manège infâme ne s’arrête pas… » (p. 199)

ranx/fleurs_de_crachat_-_ancienne_fiche.txt · Dernière modification : 2018/02/15 13:57 de 127.0.0.1

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