ERMAN, Michel, Poétique du personnage de roman, Paris, Ellipses, coll. « Thèmes & études », 2006, 143 p.
Introduction
La poétique a négligé le personnage. La problématique centrale quant à la nature du personnage: est-il à l'origine des événements ou est-il engendré par ceux-ci ? En d'autres mots, a-t-il un être ou seulement un faire ? La position de Herman : les deux. Il est indissociable de la structure de l'action, mais n'est pas réductible à sa fonction narrative. Son objectif : établir une poétique du personnage qui s'étaye pour partie sur les travaux d'Hamon (son modèle sémiotique lie l'être et le faire), et sur l'identité narrative telle que formulée par Ricoeur.
1. Qu'est-ce qu'un personnage ?
Autres approches : analyses empiriques qui, en dénombrant les traits psychologiques, ont mis au jour des caractères, dégagé des types; la sémiotique narrative de Greimas définit le personnage comme une fonction relevant d'un type d'action (agent de la diégèse sans être le support d'une personnalité). Théorie de Propp (grammaire du récit): permet de dégager des protagonistes jouant un rôle préétabli et dotés d'une identité stable. Moins appropriée pour les personnages livrés aux hasards de la vie et dont l'identité connaît des variations/changements.
Erman : qu'est-ce qu'une action sans être qui agit ? (Lotman pose aussi cette question) Le personnage est la condition sine qua non du roman.
Nouveau Roman : les mises en intrigue sont réduites au profit des descriptions objectives faites en focalisation externe pour marquer le refus de toute anthropologie et priver le personnage d'une partie de sa volonté/capacité de changer. Il a tout de même une existence cognitive et émotive. Dépouillé de toute marque d'être (traits physiques et psycho), il fait tout de même un effet d'illusion référentielle. Un sujet en situation d'existence qui appréhende et se représente le monde, même s'il se refuse à l'interpréter.
Lien socio-historique : le personnage se trouve dépouillé des traits figurant une identité en accord avec l'attente des lecteur; après la 2e GM, on assiste à « la mort de l'homme », le personnage traduit une vision composite et morcelée de l'individu. Dans la littérature contemporaine, nous retrouvons des personnages marginaux/solitaires qui considèrent l'existence à partir de l'absence, ballotés qu'ils sont dans un monde anonyme (masse de distraction) d'où tout lien social semble avoir disparu et se montrent incapables d'évoluer dans le temps.
L'humanité des personnages repose sur une manière d'agir et de vivre leurs désirs, d'exercer leur volonté. La focalisation interne tend à marier la notion de personnage avec celle de conscience et d'intériorité.
Les oeuvres offrent 3 grands modèles anthropologiques du personnage :
1. Balzac, Tournier : un individu doté d'un physique, d'un statut social, d'une épaisseur psychologique. (Narration à la 1ère et 3e personne, avec variations de focalisation; 2. Joyce : le personnage n'existe que dans l'intériorité de la conscience. (Monologue intérieur, ses actions se confondent avec son discours); 3. Camus (Meursault) : Refuser précisément l'intériorité. (1ère personne, foc. interne et externe, personnage à la fois acteur et témoin) Au XXe s., à l'action se substitue la description de l'intériorité, à l'unité d'une psychologie l'unité d'une vision, celle parfois d'une absence ou d'une perte d'identité.
2. Le nom
Le nom sert à désigner (= tel personnage), à connoter (le signifié chez Hamon, tisser des relations sémantiques Candide, Franchouillard, etc.), à classifier (déterminer des réseaux de personnages dans une oeuvre).
3. Les descriptions du personnage
Le nom ne permet pas d'individuer, seul et totalement, le personnage. Caractérisation physique et psycho qui lui donne une cohérence et suscite un effet de présence.
Portrait (donner à voir); la narration auto/homodiégétique : l'ensemble des attitudes, paroles, actions qui lui donne une réalité physique et humaine. Descriptions métonymiques: reposent sur des lieux/objets qui caractérisent par contiguïté l'être des personnages.
Le roman contemporain a tendance à peu caractériser le personnage, de manière fragmentaire. Échenoz, héros schématiques qui n'existent guère pour autrui, seul le narrateur peut les comprendre. En revanche, les personnages secondaires seraient hypercaractérisés.
Les discours caractérisent le personnage, donnent accès à leur intériorité, participent de la diégèse. Discours immédiat; monologue intérieur; procédés stylistiques qui exemplifient les pensées, émotions, passions du personnage; dialogues; discours rapporté; discours indirect, etc.
4. Le faire, sémiologies de l'agir
Qu'est-ce qu'agir dans le roman ? C'est modifier des faits plus ou moins subordonnés les uns aux autres qui se répondent et se transforment et cela relativement à un individu sujet. Les raisons d'agir ne sont pas nécessairement conscientes dans l'esprit d'un personnage. Il peut donc être l'Agent d'une action, le Patient qui subit les événements ou le Bénéficiaire qui profite des actions ou des changements. Soit la réalité est d'une quelconque manière affectée par l'action, soit le personnage peut être l'objet d'une description le montrant en train de faire quelque chose, de subir des événements, d'éprouver des sentiments. Sans intention ni volonté, on a affaire à un fait et non une action.
Modèles qui vont de la primauté accordée à la séquence d'actions à la prise en compte de l'être dans le faire :
1. Sémiotique narrative (Greimas, Propp) 2. Pragmatique (Eco, Lector in fabula, Ricoeur) Un personnage est actualisé par le lecteur, sollicite son expérience, son savoir sur le monde, sa culture littéraire. 3. Sémio-anthropologique (modèle proposé par Erman) :
Dégager des régularités psycho qui se manifestent implicitement dans les descriptions; Portrait/description/discours ont une large part dans une configuration qui traite en osmose personnage et événement; être et faire dans la structure du récit (Barthes, fonctions distributionnelles (dynamique du récit/faire), fonctions intégratives (être)); Actions solidaires de la personnalité, laquelle donne au faire sa configuration particulière.
Les catégories anthropologiques : L'individu (personne qui fait partie d'un monde en relation avec d'autres personnes), la personne (l'être doté de caractéristiques qui incarne le personnage), le moi (ego). Le moi peut s'opposer au monde alors que l'individu en fait partie. Au XXe s., on a affaire à des moi - des consciences en mouvements, des passions - moins à des individus. Le moi repose sur des dominantes de la personnalité : hystérique, narcissique, paranoïaque, schizoïde (qui affecte des personnages décalés par rapport au réels et chez qui l'intériorité prédomine).
5. Les types de personnages
L'identité narrative d'un personnage (ipséité, Ricoeur) repose sur la mise en intrigue et la configuration narrative qui en découle. Identité permanente vs identité narrative qui se construit sur le changement et la durée dans le rapport que le personnage entretient en premier lieu avec lui-même.
L'anti-héros n'est pas le contraire du héros mais sa figure inversé. Dans la littérature contemporaine on assiste à des personnages sans qualités, livrés à leur égo et plus ou moins coupés du monde; leur qualité d'individu est en cause, si bien que leur identité narrative reste confuse.
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Objectif de la démonstration et approche privilégiée
La problématique centrale quant à la nature du personnage : est-il à l'origine des événements ou est-il engendré par ceux-ci ? En d'autres mots, a-t-il un être ou seulement un faire ? Pour Erman, le personnage est indissociable de la structure de l'action, mais il n'est pas réductible à sa fonction narrative; il a donc, aussi, un être. L'objectif du critique consiste à établir une poétique du personnage, qui s'étaye en partie sur les travaux de Philippe Hamon (le modèle sémiotique qu'il propose lie l'être et le faire, dit Erman) et sur l'identité narrative telle que formulée par Ricoeur.
Points nodaux de l'argumentation
Le critique se demande d'abord ce qu'est un personnage; une condition sine qua non du genre romanesque, comme l'ont affirmé avant lui plusieurs théoriciens. Même les nouveaux romanciers ne l'ont pas anéanti : dépouillé de toute marque descriptives (traits physiques et psychologiques) et actives, il possède une existence cognitive et émotive. C'est un sujet en situation d'existence qui appréhende et se représente le monde, même s'il se refuse à l'interpréter.
Trois grands modèles anthropologiques du personnage sont proposés : 1. Balzac, Tournier : un individu doté d'un physique, d'un statut social, d'une épaisseur psychologique. (Narration à la 1ère et 3e personne, avec variations de focalisation) 2. Joyce : le personnage n'existe que dans l'intériorité de la conscience. (Monologue intérieur, ses actions se confondent avec son discours); 3. Camus (Meursault) : Refuser précisément l'intériorité. (1ère personne, foc. interne et externe, personnage à la fois acteur et témoin) Au XXe s., à l'action se substitue la description de l'intériorité prend le pas sur l'action et, à l'unité d'une psychologie se substitue l'unité d'une vision, celle parfois d'une absence ou d'une perte d'identité.
Erman s'attarde ensuite au nom du personnage, qui le désigne tout en portant un lot de connotations, ainsi qu'à ses différentes descriptions. Le personnage se caractérise par le portrait qui en est fait et par le discours, qui donne accès à son intériorité tout participant de la diégèse. Discours immédiat; monologue intérieur; procédés stylistiques qui exemplifient les pensées, émotions, passions du personnage; dialogues; discours rapporté; discours indirect, etc.
Sur l'être et l'agir du personnage romanesque
La section consacrée aux sémiologies de l'agir sert d'abord à définir l'action : agir dans le roman, c'est modifier des faits plus ou moins subordonnés les uns aux autres qui se répondent et se transforment, et cela, relativement à un individu sujet. Les raisons d'agir ne sont pas nécessairement conscientes dans l'esprit d'un personnage : il peut être l'agent d'une action, le patient qui subit ou le bénéficiaire. Soit la réalité est d'une quelconque manière affectée par l'action, soit le personnage peut être l'objet d'une description le montrant en train de faire quelque chose, de subir des événements, d'éprouver des sentiments. Sans intention ni volonté, on a affaire à un fait et non une action.
Erman propose un modèle théorique pour étudier le personnage qui prend en considération l'être dans le faire : dégager des régularités psychologiques qui se manifestent implicitement dans les descriptions, puisque portrait/description/discours ont une large part dans une configuration qui traite en osmose personnage et événement; être et faire sont imbriqués dans la structure du récit, voir les fonctions distributionnelles et intégratives de Barthes; supposer les actions solidaires de la personnalité, laquelle donne au faire sa configuration particulière. Il distingue trois catégories anthropologiques selon que l'on observe le personnage comme un individu (parmi une collectivité), une personne (l'être doté de caractéristiques) comme un ego (une conscience en mouvement, qui repose sur des dominantes de la personnalité : hystérique, narcissique, paranoïaque, schizoïde).
L'identité narrative d'un personnage (ipséité, Ricoeur) repose sur la mise en intrigue et la configuration narrative qui en découle. Erman distingue l'identité permanente de identité narrative, laquelle se construit sur le changement et la durée dans le rapport que le personnage entretient, en premier lieu, avec lui-même.
Notons au final que selon Erman la littérature contemporaine fait évoluer des personnages sans qualités, livrés à leur égo et plus ou moins coupés du monde; leur qualité d'individu est en cause, si bien que leur identité narrative reste confuse. La personnalité schizoïde affecterait ces personnages décalés par rapport au réel et chez qui l'intériorité prédomine.