Table des matières
1. Propriétés du personnage
Leurs caractéristiques physiques, psychologiques, relationnelles
Physiques:
Tess a trente-deux ans, mesure à peu près cinq pieds et 4 pouces, a les yeux et les cheveux bruns. Elle n'a “pas de seins” (46), est “plutôt anguleuse” et a “l'air bête”. Verseau. (54)
Jude a trente-deux ans, a les yeux et les cheveux bruns, mesure six pieds. Capricorne. (115)
Psychologiques:
Incipit: “Ce n'est pas pour faire mon intéressante, mais je pense que Jude et moi on est malheureux.” (9) Tess relativise ensuite en précisant qu'ils sont juste un petit peu malheureux, parce qu'ils ne sont pas des cas extrêmes comme les gens qui correspondent aux adjectifs qualificatifs. En fait, selon Jude, ils sont “trop insignifiants pour être malheureux” (74).
Tess considère que sa plus grande qualité est d'être silencieuse et son plus grand défaut, d'être désagréable.
Tess a “beaucoup de temps libre et un faible pour les informations inutiles” (34). Elle est paresseuse (40-41 et 59: “si paresseuse que c'en est invraisemblable”), ce qui l'empêche, littéralement, de travailler davantage. Pour elle, sortir pour aller acheter de la bière, c'est faire preuve de “courage” (179).
Leur façon de gérer les problèmes: ils les ignorent “en espérant qu'ils finissent par se régler d'eux-mêmes. Ça fonctionne dans environ deux ou trois pour cent des cas” (173).
Relationnelles:
Tess n'éprouve aucun désir (physique, sexuel) pour qui que ce soit. À son avis, personne n'est “excitant”. (10)
Jude tombe amoureux d'une nouvelle fille tous les quinze jours (115).
Elle a une soeur. Elle travaille au Subway, une profession qu'elle trouve minable.
Tess et Jude ont moins de cinq amis, ce qui les empêche de monter une organisation de vente pyramidale.
La relation que Jude entretient avec Tess est floue. Celle-ci affirme que Jude “fait partie [d'elle] autant que [s]on oreille droite, que [s]on nez et que [s]es cinq-six gallons d'eau” (74)
Tess est la cible de l'amour d'un certain Sébastien Daoust, ex-écrivain, docteur en littérature, qu'elle exploite plus ou moins afin d'obtenir l'argent nécessaire pour aller à Bird-in-Hand avec Jude.
Il n'y aucune raison de faire les choses en personne s'ils peuvent les faire sur internet (128-129).
Le cadre dans lequel ils évoluent
Ils habitent ensemble à Grand-Mère. On sait précisément où ils habitent, les commerces qu'ils fréquentent, les produits qu'ils consomment, etc.
Leur rôle dans l'action
Tess admet d'emblée le peu de pouvoir et le peu d'ambition qu'ont Jude et elle :“Tout ce qu'on veut, c'est aller passer un mois à Bird-in-Hand. […] Tout ce qu'on est, on l'est juste un petit peu.” (9)
Ils sont lucides concernant leur apathie (du moins celle qui prévaut avant qu'ils aient décidé de partir pour Bird-in-Hand) et affirment sans complexe “faire du tourisme en pantoufles”, c'est-à-dire errer sur Google Map à la recherche d'endroits bizarres.
Quand Steve se fait frapper par le camion, Tess et Jude sont incapables de réagir: “ Si le monsieur qui habite en face du parc n'était pas sorti de sa maison et ne nous avait pas aidés à la transporter chez le vétérinaire dans la boîte de son pick-up, il ne fait aucun doute qu'on serait restés là, les bras ballants, jusqu'à ce qu'elle meure. On était dans un état second, horrifiés comme on l'avait rarement été et aussi inefficaces que d'habitude.” (178)
Leur discours
Beaucoup de parenthèses contenant des commentaires plus ou moins pertinents, des digressions souvent ironiques ou sarcastiques.
Tess aborde même les sujets tabous (voir la pédophilie p. 14-16) avec humour, sans se censurer
Tess tutoie le lecteur sans complexe. Par moment, elle s'adresse à lui comme si elle lui parlait de vive voix ou bien comme s'il lisait par-dessus son épaule pendant qu'elle écrit.
En tant que narratrice, Tess emploie souvent des tournures littéraires, voire surannées, comme bon nombre des personnages de François Blais.
Constante dans leur comportement
Leur échec indique qu'ils sont toujours, globalement, des incapables. Cependant, le roman est un peu l'histoire de leur tentative de faire quelque chose, ce qui est déjà beaucoup. Ils se sont donc, tant bien que mal, pris en main. Temporairement.
Identité et désignations
Tess se présente, mais à contrecœur, uniquement pour suivre les conseils de Marc Fisher: “Je m'appelle Tess, j'ai trente-deux ans et j'habite à Grand-Mère avec Jude, à qui je laisse le soin de se présenter lui-même quand ça sera son tour d'écrire.” Et ça se poursuit.
Passé/hérédité
Elle a déjà fait des études (en tout cas, elle avait une dette envers le ministère de l'Éducation), mais elle ne précise pas en quoi. Elle a une famille qu'on rencontre à peine et une soeur mentionnée une fois et à laquelle elle parle une autre fois.
Jude a un frère, dont on connaît l'existence uniquement grâce au questionnaire.
Situation, classe sociale, métier
Tess travaille au Subway vingt-cinq heures par semaine (elle ne supporterait pas d'en faire plus), tandis que Jude bénéficie de l'aide sociale et ne fait pas grand-chose de ses journées.
Ils ont peu d'argent et surtout sont peu habitués d'en avoir: “Je sais bien que pour toi, lecteur, cela ne représente pas grand-chose, [6234,89$,] que ça ressemble à une de tes payes, mais à mon échelle cela constitue une véritable fortune.” (164)
Psychologie fixe ou évolutive
Tess et Jude évoluent, certes, mais pas toujours de façon cohérente. Lorsque vient le temps de se procurer une voiture, ils en achètent une qui ne colle pas du tout à leur personnalité. Ils disent aussi s'aimer un peu moins puisqu'ils sont pris “en flagrant délit d'engouement pour un char” (130).
Quand Tess explique que Jude et elle évitent de prendre des décisions, elle écrit: “On ne se refera pas, il est trop tard rendus à nos âges, même que ça devrait aller en empirant.” (25) Toutefois, Tess a tort. Tout au long du roman, même s'ils demeurent foncièrement lâches, ils prennent de plus de décisions et se retrouvent avec davantage de responsabilités, même s'ils ne les assument pas toutes également. Par exemple, la chienne Steve devient l'objet de toutes leurs attention, mais l'argent qu'il possède, lui, s'évapore dans le temps de le dire à cause de leurs dépenses stupides et de leur distraction.
Il en va de même de leur incapacité à penser à long terme. Au début du roman, on comprend que tous leurs projets se muent en échec à cause de cette inaptitude à prévoir ce qui arrivera, à prendre des décisions intelligentes en fonction d'un objectif déterminé au préalable. Un fois que Steve a débarqué dans leur vie, toutefois, c'est différent: “c'est toujours dans l'urgence de la dernière minute qu'on règle nos problèmes. - Ouais, sauf que d'habitude nos problèmes ne concernent que nous. Si on agit comme des morons, on est les seuls à en pâtir. Là, ça implique Steve et ça fait partie de nos responsabilités de maîtres de prendre les bonne décisions concernant son bien-être.” (153)
2. Textualisation des procédés de caractérisation
Focalisation
Interne. Point de vue de Tess et Jude.
Narration
Autodiégétique. Tess raconte pendant la majorité du roman et Jude pendant quelques pages seulement.
Caractéristiques de la narration
Tess est parfaitement conscience du peu d'action dans son récit et de la linéarité problématique de celui-ci. Elle avertit d'ailleurs le lecteur: “Si tu veux lire des récits qui filent du point A au point B à toute vapeur, des histoires haletantes avec un tas d'unités narratives, […] si tu veux un bouquin où il se passe quelque chose, donc, va acheter ceux de John Grisham ou de Mary Higgins Clark et laisse-moi digresser en paix.“ (48)
Jude aussi, admet que l'organisation de leur récit est difficile à suivre et arbitraire: “Bon, je sais que ça s'insère mal ici, mais il n'y a rien de nouveau à signaler pour le moment et ça ne s'insérerait pas mieux ailleurs de toute façon, alors je vais te raconter, puisque le mandat m'en a été confié, l'histoire de notre rencontre avec le quasi-mongolien qui habite au rez-de-chaussée. C'est un récit assez étonnant, tu vas voir.” (119)
Beaucoup d'ironie tout au long du roman (137-139, notamment).
Notons également la présence de périples hypothétiques, l'un d'eux étant raconté au conditionnel (p. 141-144).
Discours
Direct
Niveaux de langue
Le texte est parsemé de régionalismes, le ton est souvent familier. Néanmoins, la syntaxe est impeccable et plusieurs expressions purement littéraires ou même surannées sont présentes, ce qui donne des bijoux du genre: “On le prit un peu raide, mais on ne se laissa point décourager. On brainstorma derechef et ou soumit un troisième nom qui, pas plus que les deux premiers, n'eut l'heur de plaire aux fonctionnaires des postes.” (22)
Tess suggère à Jude d'imiter le ton qu'elle a pris dans la première moitié du roman: “j'ai pris l'habitude de dire “on” à la place de nous, ce qui est limite fautif et me cause toutes sortes de problèmes d'accord, mais enfin ça m'est venu naturellement, alors continue comme ça, pour le meilleur et pour le pire.” (113)
Identification
Directe: Tess et Jude se présentent grâce à un questionnaire, grâce auquel le lecteur les connaîtra comme s'il les avait tricotés (30). Tess ne fournit d'abord que les réponses qui la concernent (28-30), puis Jude fournit les questions et les réponses (115-118).
Introduction (première occurrence)
Dans l'incipit: “Ce n'est pas pour faire mon intéressante, mais je pense que Jude et moi on est malheureux.”
La première fois que le nom de Tess est mentionné, c'est ici, lorsqu'elle se met à suivre les conseils de Marc Fisher et se présente (ce qu'elle considère comme une “corvée”) : « Je m'appelle Tess, j'ai trente-deux ans et j'habite à Grand-Mère avec Jude, à qui je laisse le soin de se présenter lui-même quand ce sera son tour d'écrire. (27)
Scène de révélation/dissimulation/travestissement, qui mène à une identification normale, fausse, empêchée, différée
À une occasion, la frontière entre Tess et Jude semble un peu floue: Tess affirme que Jude “fait partie [d'elle] autant que [s]on oreille droite, que [s]on nez et que [s]es cinq-six gallons d'eau” (74).
Autres
Façon dont un autre personnage les perçoit
La soeur de Tess ne se fait aucune illusion sur leur départ possible: “Vous partirez pas. […] Vous ferez pas de voyage en Pennsylvanie, ni ailleurs, et vous ferez rien d’autre non plus. Comment je dirais ça ?… Jude pis toi, pris individuellement, vous seriez un boulet pour n’importe qui, mais ensemble vous êtes comme deux boulets attachés l’un à l’autre, tu comprends ?” (p. 155)
La même soeur les qualifie aussi de “vellétaires” (37), ce que Tess réfute : “Velléitaire, ça veut dire que tu as l'itnention de faire quelque chose, mais que tu branles dans le manche ; eh bien je peux jurer qu'on n'a jamais eu la moindre velléité. Et si tu penses que notre expédition en Pennsylvanie entre dans cette catégorie, il sera toujours temps de ravaler tes paroles quand tu recevras notre carte postale. » (p. 37) Comme de fait, ils n’iront jamais en Pennsylvanie, donc pas de carte postale…
Derniers mots du roman
“on ne fera jamais rien”