Notice bibliographique : Yasmina Reza, Adam Haberberg, Paris, Albin Michel, 2003, 173 p.
Résumé de l’œuvre :
À l'approche de la cinquantaine, Adam Haberberg vit avec deux enfants et sa femme qui ne l'aime plus et le méprise ouvertement. De plus, on lui apprend qu'il souffre d'un grave trouble oculaire qui pourrait lui faire perdre la vue. Écrivain en panne d'inspiration et de succès critique autant que commercial, seulement capable d'écrire un roman SF “de gare”, son dernier roman a en plus été un flop commercial et critique. Il rencontre, un jour ou il s'apitoie sur son sort dans un parc, Marie-Thérèse, ancienne camarade de lycée qu'il n'est pas vraiment content de retrouver, mais qu'il accepte tout de même de suivre chez elle pour partager un souper. La soirée sera le prétexte pour revisiter le passé, faire une tournée des copains perdus de vue, au grand dam d'Adam (!) qui ne pense qu'à ses problèmes oculaires en maudissant mentalement Marie-Thérèse et sa femme.
Narration : hétérodiégétique
Explication : La narration à la troisième personne est focalisée sur le personnage d'Adam. Le roman est constitué en majorité des pensées d'Adam et de ses dialogues avec Marie-Thérèse.
Personnage(s) en rupture : Adam Haberberg
A) Nature de la rupture : actionnelle
Explication : Adam vient de se planter royalement avec son dernier roman et est parfaitement conscient de son incapacité à raconter des histoires, autant dans ses livres qu'à ses propres enfants. Mais écrire pour lui n'est pas une finalité; c'est plutôt un moyen pour accéder à la reconnaissance: « tout le monde fabrique des livres qui restent la formule la moins risquée pour passer du néant à la lumière. La renommée via la littérature est aujourd'hui l'aspiration la mieux partagée, un nouveau réflexe social, comprends-tu. Certains réussissent, d'autres ratent, personnellement j'ai raté. Je suis un raté. » (42). « J’ai conservé le rêve naïf de devenir un écrivain, c’est-à-dire un homme qui tente de se sauver de lui-même. Un homme qui pour conserver un peu d’élan vers l’avenir, s’efforce d’échanger sa propre existence contre celle des mots.»
Quant à son épouse, elle le traite avec une indifférence fortement teintée de mépris, sans doute lasse d'avoir marié un écrivain qui s'est avéré aussi minable. Pour couronner le tout, la maladie oculaire dont Adam souffre le plonge dans le désarroi, ce qui ne semble cependant pas affecter sa femme qui, elle, réagit sans la moindre compassion à cette nouvelle: “Il avait masqué son oeil droit avec sa main et dit à sa femme : je vois trouble. Ça nous manquait, fut son commentaire.” En fait de soutien moral, on repassera…
B) Origine de la rupture : actorielle
Explication : Les problèmes du personnages semblent provenir de sa propre personne: comme il le dit lui-même, il est tout simplement un raté, rien de ce qu'il entreprend ne fonctionne. On pourrait tout de même dire que son glaucome ou sa thrombose constitue la “cerise sur le sundae”, c'est-à-dire que ce trouble oculaire concrétise l'échec de sa vie. Désormais, ça ne vaut même plus la peine d'essayer, il vaut mieux s'apitoyer sur son sort. De plus, lorsqu'il se trouve chez Marie-Thérèse et que celle-ci lui parle, Adam part souvent dans ses pensées, n'écoutant plus du tout Marie-Thérèse (de toute façon, il se fiche complètement de ce qu'elle peut lui dire) et s'apitoie mentalement sur sa maladie à l'oeil, comme si cela constituait une sorte de jardin secret où il pouvait se plaindre en paix, sans avoir à supporter les autres.
C) Manifestations : posture passive, handicap visuel
Explication :Déjà englué dans ses échecs professionnels et personnels, Adam est excessivement passif à ce qui se produit autour de lui. Lorsque Marie-Thérèse le trouve au parc, il accepte de la suivre même s'il n'en a aucune envie et qu'il la trouve désagréable. En général, plutôt que d’acquiescer aux propositions qui lui sont faites ou aux insultes de sa femme, il choisit de ne pas répondre et de se plaindre de ce qui s'ensuivra.
Probablement à cause de la maladie qui frappe son oeil, Adam a parfois des hallucinations qui le déstabilisent et compliquent encore davantage ses rapports avec les autres, entre autres parce qu'il s'entête à ne pas dévoiler sa maladie probablement à cause de la réaction peu compatissante que sa femme a eue…
D) Objets : lutte interne
Explication : À plusieurs reprises, une lutte intérieure se déroule à l'intérieur d'Adam. Un part de lui semble vouloir à tout prix se détacher, demeurer indifférente, tandis qu'une autre, comme par un réflexe social, essaie de s'intéresser à la discussion :
« - Et Alice Canella ? dit Adam. Il n'aurait jamais voulu dire, et Alice Canella. C'est même la dernière chose qu'il aurait voulu dire. Heureusement le portable sonne. […] Ne répète pas ta question pense-t-il, ne dis pas, et Alice Canella tu l'as revue ? - Et Alice Canella tu l'as revue ? » (33-34)
« [Adam pense :] je devrais lui retourner la question, mais je me fous éperdument de ses parents comme je me fous de sa vie entière. - Et toi, tes parents ? Dit-il. » (83)
Pas sûr que je mets ça dans la bonne catégorie, mais je trouvais important de le mentionner quand même…
E) Manifestations spatiales : lieu insupportable
Lieux représentés : l'appartement de Marie-Thérèse
Explication : Celui-ci semble, aux yeux d'Adam, représentatif de la routine immuable dans laquelle baigne Marie-Thérèse, c'est pourquoi Adam ne peut supporter, par exemple, la cuisine “trop longue”. De plus, il situé dans une banlieue dortoir de Paris, Viry-Châtillon.