Table des matières
« LA FICTION CRITIQUE »
[janvier 2009]
Note: ce document accompagne un dossier papier disponible au bureau de coordination. Pour un complément d'information, n'hésitez pas à me contacter.
I- LE CONCEPT TEL QUE PROPOSÉ PAR DOMINIQUE VIART
VIART, Dominique (2001), « Essais-fictions : les biographies (ré)inventées », dans Marc Dambre et Monique Gosselin (dir.), L’éclatement des genres au XXe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, p. 331-346.
- Dans cet article, Viart propose de nommer « essais-fictions » les livres qui relèvent de la « biographie imaginaire » ; y voit-on là le germe du concept de « fiction critique »?
VIART, Dominique (2001), « Écrire au présent : l’esthétique contemporaine » dans Michèle Touret et Francine Dugast (dir.), Le temps des Lettres, quelles périodisations pour l’histoire de la littérature française au 20e siècle?, Presses Universitaires de Rennes, p. 317-336.
Article dans lequel le concept de fiction critique n’est pas donné ni développé, mais article incontournable pour le projet « Littératures narratives contemporaines ».
VIART, Dominique (2002), « Écrire avec le soupçon. Enjeux du roman contemporain », dans M.Braudeau, L.Proguidis, J-P. Salgas et D.Viart (dir.), Le roman français contemporain, Ministère des affaires étrangères – adpf, p.130-162.
Dans cet article, Viart décrit les grands enjeux du roman contemporain (ce qu’il appellera bientôt « fiction critique », mais sans le nommer tel).
VIART, Dominique (2002), « Les “fictions critiques” de Pierre Michon », dans Agnès Castiglione (dir.), Pierre Michon, l’écriture absolue, Saint-Étienne, Publications de Saint-Étienne, p. 203-219.
C’est dans cet article (ainsi que dans le suivant publié la même année) que, vraisemblablement, il propose le concept de « fiction critique » pour la première fois.
Dans cet article, Viart précise d’abord ce qu’il entend par l’expression « fiction critique » (voir la section de l’article intitulée « Une critique en forme de fiction ») avant de l’appliquer au cas de Pierre Michon.
En résumé, il propose trois acceptions possibles au concept de « fiction critique »
1/ Il s’agit « d’écrire des fictions avec un esprit critique envers le genre lui-même » (203)
2/ Il s’agit « de travestir la critique, littéraire ou picturale, en fiction, de fictionnaliser un propos critique » (203)
3/ La « théorie comme fiction » : « à propos justement de ces élaborations biographiques et/ou herméneutiques que les œuvres des peintres et des écrivains ont déjà produites » (215) [= donc, transposition critique?] À propos de Rimbaud le fils : « Indifféremment désignés comme « vulgate », avec toutes les connotations que ce terme emprunté au lexique religieux autorise, ces textes critiques sont l’objet d’une évaluation explicite dans le livre. Et la première de ces évaluations est de les dépouiller de leur statut de critiques, de reconnaître en elle des fictions, justement. » (216)
* Les fictions critiques seraient constitutives du contemporain, en ce sens qu’elles ont une « position réflexive » (213) : « Or notre époque littéraire – et plus largement culturelle – s’est affranchie peu à peu de toute croyance envers ces fictions théoriques que les avant-gardes et leurs penseurs ont su installer. » (217) / « Notre temps est en effet à la fois celui qui dévoile les illusions fictives de la critique et (re)découvre le pouvoir critique de la fiction, laquelle permet d’atteindre à d’autre états – ou étages, de la vérité. » (218)
VIART, Dominique (2002), « Les fictions critiques dans la littérature contemporaine », dans Matteo Majorano (dir.), Le Goût du roman : la prose française; lire le présent, B.A. Graphis, Italie, p.30-46
La première partie de l’article défini et discute le concept de fiction critique, tandis que la suite est une démonstration à partir des œuvres de François Bon et Pierre Bergounioux.
Sa définition de « fiction critique » recoupe celle présentée dans l’article précédent :
« La notion de “fiction critique” peut s’entendre en différentes manières : soit qu’il s’agisse d’écrire des fictions dans un esprit critique envers le genre lui-même; soit qu’il s’agisse de fictionnaliser un propos critique, c’est-à-dire non pas simplement de mettre la fiction au service de la critique, mais de concevoir l’espace fictionnel comme le lieu d’un dialogue avec les autres domaines de la pensée et de la réflexion. » (30-31)
Il insiste sur le fait que les fictions critiques sont très représentatives de la littérature contemporaine :
« Tout un pan des œuvres contemporaines renonce en effet majoritairement à la fiction narrative stricto sensu au profit de textes beaucoup plus indécidables qui interrogent le sens même de fiction et de ses entours tout en mettant en question d’un même mouvement les modalités discursives jadis usitées dans le roman. » (32)
Sur l’interdisciplinarité des fictions critiques :
« la fiction critique contemporaine est le creuset où peuvent se penser en liaison des disciplines souvent devenues trop spécialisées pour se rencontrer aisément ou, du moins, pour se rencontrer ailleurs que dans le champ de la philosophie, qui seule tente de toutes les embrasser, mais ne parvient à le faire qu’en termes conceptuels. » (36)
Autre définition en conclusion :
« Il y a là comme une sorte de re-définition de ce que pourrait être la fiction dans le plus contemporain de nos questionnements : une fiction critique c’est-à-dire interrogeante, parfois élucidante, une fiction “dialogale” ou “dialogique”, en ce qu’elle dialogue constamment avec elle-même et avec sa propre critique mais aussi avec l’éventail le plus large des Sciences humaines lesquelles constituent désormais les fondements mêmes non seulement de notre savoir mais de notre être au monde. » (46)
VIART, Dominique (2002), « Les inflexions de la fiction contemporaine », Lendemains, études comparées sur la France, « Les Mutations esthétiques du roman français contemporain », vol. 27, no107-08, p. 9-24.
Éléments tirés d’une fiche réalisée par Kim Leppik
« Dans le domaine narratif particulièrement, se sont affirmées quelques grandes perspectives que subsume une posture essentielle : rendre à la littérature sa vocation transitive, lui redonner une prise légitime sur l’évocation de ces objets que la critique structuraliste et les dernières avant-gardes avaient reléguée au rang d’illusion “subjective” ou “réaliste”. Sans abandonner la conscience critique que lui ont léguée deux décennies d’exigence envers le texte, la littérature narrative s’est ainsi ressaisie des questions du réel et du sujet, a renoué avec les modalités du récit. Ce n’est toutefois pas sans scrupule que les écrivains, héritiers du soupçon, s’avancent désormais vers de tels objets et tentent d’en rendre compte. » (p. 9)
« ce dossier nous alerte sur l’insuffisance de toute vision globale du contemporain qui se limiterait à en poser l’origine historique (le début des années 80), la caractéristique générale (la transitivité de l’œuvre littéraire), le principal pari (écrire avec/malgré le soupçon) et les postures essentielles : incrédulité, désenchantement, dérision, mais aussi : souci critique, interrogation de l’héritage culturel, dialogique avec les sciences humaines et sociales. (p. 11)
VIART, Dominique (2004), « Le moment critique de la littérature. Comment penser la littérature contemporaine? » dans Jean-Christophe Millois (dir.), Le roman français aujourd’hui : transformations, perceptions, mythologies, Paris, Prétexte, p.11-35.
Le terme arrive en fin d’article, un peu en conclusion, afin d’offrir une interprétation de la littérature contemporaine :
« Car la dimension critique de la littérature contemporaine est forte, au point que l’on peut parler de “fictions critiques” pour désigner un très large spectre de la production actuelle. Ces fictions critiques, dans leur extrême variété […] ont en commun de défaire les codes malmenés du roman pour y introduire un dialogue constant et complexe avec l’élaboration des Sciences humaines […] [Voir aussi la suite] (29-30)
VIART, Dominique (2004), « Fictions en procès », dans Marc Dambre, Aline Mura-Brunel, Bruno Blankeman (dir.), Le Roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 289-303.
Dans cet article, l’analyse des œuvres prend la part importante, mais il donne cette définition, au milieu de l’analyse :
« Ce pourquoi je propose d’inscrire telles fictions parmi ce que j’ai appelé fictions critiques et que l’on peut définir comme des textes qui associent la fiction comme procédé d’élucidation d’un objet donné (le réel, le sujet, l’Histoire, la mémoire…) critiques envers eux-mêmes et envers les processus fictionnels comme envers les discours constitués avec lesquels ils entrent en dialogue. » (296)
Les romans qui sont des « fictions critiques » « affichent […] une certaine perturbation de la fonction narrative » (297)
Ici aussi, il relie ce phénomène à l’époque et la littérature contemporaine :
« Mais que le narrateur en vienne à ne plus savoir comment écrire son récit, ni quelle place se donner dans le texte sinon au prix de changements dans la structure énonciative me paraît très caractéristique d’une époque en manque de certitudes et de repères, inquiète d’elle-même et de sa pensée. » (300)
Voir aussi la conclusion sur le rapport fiction/fictionnel
VIART, Dominique (2004), « Les “fictions critiques” de Pascal Quignard », Études françaises, vol. 40, no 2, p.25-37.
Quignard, au même titre que Michon, est exemplaire de cette esthétique : Quignard « se place dans l’entre-deux indécidable d’une pratique contemporaine qui fait dialoguer le critique et le fictif » (25) / « Ce qui se joue aujourd’hui – bien au delà du seul roman, et chez Pascal Quignard peut-être plus que chez tout autre – ne relève plus simplement ni d’une investigation des limites formelles de l’écriture ni des efforts pour plier celle-ci à une meilleure diction de ses objets, mais d’une articulation inédite de l’invention fictive et de la pensée critique. » (25-26)
La première partie de l’article, intitulée « Fictions critiques », décrit longuement le concept. Retenons les éléments suivants :
« Le rapport entre fiction et réflexion n’est plus désormais un rapport d’illustration ou de servitude mais de confrontation, d’échange et de collaboration, au sens étymologique de ce terme : fiction et réflexion travaillent ensemble. » (26) / Les « fictions critiques » s’élaborent sur « de véritables renouvellements épistémologiques » (28)
La suite de l’article est consacrée à l’analyse des œuvres de Quignard. L’idée générale c’est que Quignard « essaie des fictions là où le savoir articulé fait défaut » (37)
Viart revient donc peu sur le concept de fiction critique en conclusion, s’en servant plutôt ici pour comprendre l’œuvre de Quignard.
VIART, Dominique (2005), « Littérature et sciences humaines : les “fictions critiques” », La littérature française au présent : héritage, modernité, mutations, Paris, Bordas, coll. « La Bibliothèque Bordas », p. 272-276.
Court extrait qui offre une synthèse du concept de fiction critique (Viart reprend ainsi mot à mot certaines expressions déjà utilisées). Quelques définitions :
« Bien des œuvres contemporaines renoncent dès lors à la fiction narrative stricto sensu au profit de textes beaucoup plus indécidables qui à la fois interrogent le sens même de la fiction et se confrontent aux autres formes de pensée. » (272) « Ces textes interrogent les conditions de possibilité de tout savoir, de toute saisie cognitive, du sujet, certes, mais aussi de l’histoire, de l’être et du lien social, du devenir individuel ou collectif, de l’acte créateur, etc. » (272)
En conclusion, sur l’apport des « fictions critiques » dans le domaine des sciences humaines et plus globalement du « savoir » :
« C’est en fait tout le champ des sciences humaines qui est interpellé dans ces œuvres. La fiction contemporaine est le creuset où peuvent se penser en liaison des disciplines souvent devenues trop spécialisées pour se rencontrer aisément ou, du moins, pour se rencontrer ailleurs que dans le champ de la philosophie qui seule tente de toutes les embrasser, mais ne parvient à le faire qu’en termes conceptuels. Or la littérature ne privilégie pas les concepts, mais incarne les questions grâce au truchement littéraire des fictions. Une nouvelle fonction de la fiction apparaît ainsi qui en vient à changer sa nature même, puisque celle-ci n’est plus tout entière dévolue au récit, mais fait sa part à la réflexion critique. Néanmoins, la fiction littéraire ne se substitue pas aux sciences humaines avec lesquelles elle dialogue : elle demeure spéculative. Description plutôt que discours, hypothèses plutôt que thèses, enquêtes plutôt qu’illustrations, les “fictions critiques” demeurent ainsi, dans un temps où le savoir est devenu sujet à discussion, plus interrogatives que pédantes. » (276)
VIART, Dominique (2005), « Ethique de la Restitution : les ‘‘fictions critiques’’ dans la littérature française contemporaine et l’Histoire », in M. Castellani, Y. Baudelle & A. Petit (eds), Roman, histoire, société. Mélanges offerts à Bernard Alluin, Villeneuve d'Ascq [France], Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, p. 391-401.
Éléments tirés d’une fiche réalisée par Kim Leppik:
Entre la littérature moderne et la littérature contemporaine (depuis 1980), la différence la plus importante est le retour à la transitivité, « qui replace les questions du “sujet” et du “réel” au cœur de l’activité littéraire, ouvre à nouveaux frais la possibilité d’un regard critique porté sur le monde. » (p. 391-392) L’engagement littéraire contemporain procède par « saisie critique du monde qui l’entoure et relecture non moins critique des discours qui témoignent du passé. » (p. 392) « Description plutôt que discours, hypothèses plutôt que thèse, enquêtes plutôt que illustrations, les “fictions critiques” demeurent modestes et interrogatives. Elles exercent sur elles-mêmes autant que sur les discours qui les cernent le soupçon dont elles ont hérité des écrivains de la génération précédente. » (p. 392) La littérature se penche sur le passé, comme en témoignent les romans sur la mémoire, l’Histoire, etc. La société contemporaine se trouve en déshérence et cherche à construire sa filiation, à s’y inscrire, comme en témoignent la quantité de romans de filiation. La littérature insiste sur le silence des pères, essaie de restituer ce qui n’a pas été transmis ou dit, mais cela par scrupule. Elle n’essaie pas de parler à la place des générations trop silencieuses, mais de mener une enquête, tout en mettant en doute ses propres investigations. À cet égard, elle est héritée du soupçon, mais elle l’exerce aussi à son endroit. « On a rarement vu une littérature aussi peu assertive : les conjonctures y succèdent aux hypothèses ; les épanorthoses et autres figures de corrections scandent souvent le texte. Son souci d’honnêteté se marque aussi dans la spécification de la posture énonciative : on sait le plus souvent qui parle, à partir de quelle position, et selon quel projet. » (p. 400) En parlant de ces fictions critiques, on peut donc parler d’une éthique de restitution.
[J’ajoute, à la suite des notes de Kim] « Bien loin du “roman historique” pour lequel l’Histoire servait à la fois de cadre narratif et de caution, ces récits en interrogent les zones d’ombre. Et tentent, à l’intérieur des espaces collectifs qu’elle décrit, de restituer la matière charnelle des vies singulières. Aussi demeurent-ils des récits évocatoires, mais jamais tout à fait avérés, peu sûrs d’eux-mêmes et méfiants à l’égard des modèles romanesques qui pourraient les déformer. Pour échapper à cette tentation, ils se tiennent le plus souvent au plus près des choses : […] » (400-401)
VOIR AUSSI LA CONCLUSION
VIART, Dominique (2005), « Les “fictions critiques” de la littérature contemporaine », Spirale, no 201, mars-avril, p.10-11.
Court article sur des livres de François Bon, Emmanuel Carrère et Pierre Michon, mais qui décrit plusieurs aspects du concept de fiction critique :
« J’ai proposé d’appeler “fiction critique” ces livres retrempés dans le monde, lucides sur les impasses d’une certaine littérature et soucieux de les éviter. Ce sont des fictions et qui se savent telles, parce qu’elles ne se réduisent jamais ni au documentaire, ni au reportage, et ne prétendent pas être le juste reflet d’une réalité objective. Et ce sont, à double raison, des entreprises critiques : elles se saisissent de questions critiques – celles de l’homme dans le monde et du sort qui lui est fait, de l’Histoire et de ses discours déformants, de la mémoire et de ses parasitages incertains… et exercent sur leur propre manière littéraire un regard sans complaisance. » (10) S’inscrit bien sûr dans une esthétique postmoderne :
« Là où les discours défaillent et échouent à circonscrire le monde, les fictions critiques se font ainsi mode d’investigation et non de représentation du réel. Elles ne se soucient plus guère de raconter des histoires, ni de se déployer dans la rassurante linéarité des récits. » (10)
« [L]a fiction critique ne se connaît aucune stabilité d’où pourrait procéder quelque autorité. Ces livres unissent ainsi symptomatiquement la réflexion sur le monde et l’inquiétude d’écrire : ils conçoivent l’espace fictionnel comme le lieu d’un dialogue avec les autres domaines de la pensée qui mettent à l’épreuve la pertinence critique du verbe. Ces textes sont critiques aussi parce qu’ils interrogent dans l’espace littéraire le champ des autres discours et les mettent en perspective, sinon en crise. Mais ils sont, tout aussi bien, critiques d’eux-mêmes et de leurs propres fascinations. » (11)
VIART, Dominique (2006), « “Fictions critiques” : La littérature contemporaine et la question du politique », dans Jean Kaempfer et al. (dir.), Formes de l’engagement littéraire (XVIe-XXIe siècle), Lausanne, Antipodes, p. 185-204.
Article qui décrit et synthétise le concept. Voir l’ensemble de l’article et plus précisément les passages soulignés.
Information tirée d’une fiche créée par Kim Leppik
Au début des années 80, quatre phénomènes déterminent un renouvellement de la fiction :
1) Un retour à la littérature transitive après deux décennies de recherches formelles et de solipsisme littéraire. Mais ce n’est pas pour retourner au réalisme : le réel n’est pas décrit par un narrateur omniscient, mais plutôt advient par des consciences immergés. Il ne s’agit plus du réel vu mais plutôt du réel vécu.
2) La fin du régime des « activités séparées ». Ici ce qu’il veut dire n’est pas trop clair.
3) Une sévère critique de l’idéologie, entre amertume et désillusion.
4) Une réorientation du regard critique. On vit encore dans la suspicion à l’égard de toutes les « téléologies » et dans la perte de l’idée d’avenir.
Dans la fiction critique, le discours met en crise la pensée. Le terme fiction ne s’éprouve pas selon sa définition canonique de « production de l’imaginaire », mais comme interrogation des représentations qui traversent le sujet ou le corps social. « Aussi, faute de pouvoir s’établir selon le modèle traditionnel de son épanouissement narratif, la fiction critique s’interroge-t-elle sur sa manière d’être et sur la forme qu’elle adopte. » (p. 196)
Modalités, spécificités : Le système argumentatif ne vise pas à convaincre : « le savoir se construit dans le cours même de l’écriture et n’est pas installé en amont. » (p. 197) Une partie du questionnement est portée sur le sujet de l’énonciation même. Aussi la position du sujet écrivain a-t-elle changé : au lieu de proposition, réception. Au lieu d’être « engagé », l’auteur est « impliqué ». L’apparition d’un modèle narratif nouveau, archéologique, qui « désenfouit des vérités inconnues, oubliées ou dissimulées » (p. 199). Attention à la matérialité des objets qui témoignent de l’histoire (archives, photographies, etc.) « La fiction contemporaine est le creuset où peuvent se penser en liaison des disciplines souvent devenues trop spécialisées pour se rencontrer aisément, … » (p. 204)
II- LES CRITIQUES QUI REPRENNENT LE CONCEPT
RABATÉ, Dominique (2004), « À l’ombre du roman : propositions pour introduire à la notion de récit », dans Bruno Blanckeman et Jean-Cristophe Millois (dir.), Le Roman français aujourd’hui : transformations, perceptions, mythologies, Paris, Prétexte éditeur, 37-51
Information tirée d’une fiche créée par Kim Leppik
Après avoir résumé brièvement l’histoire du récit, Rabaté le définit comme « un mixte indissociable de fictions et de spéculations théoriques. Un espace où jouent des savoirs pris dans une énonciation qui les met à distance, les donne à entendre comme autant de fables que nous nous racontons en vue d’accéder à une vérité nécessairement toujours en souffrance. » (p. 46) Il constate que beaucoup de textes contemporains portent l’indice générique du « récit » comme pour souligner qu’il ne s’agit pas de romanesque mais d’autre chose : ce que Viart appelle « fictions critiques ». Cette nouvelle façon de penser la littérature contemporaine évite de « se lamenter de façon récurrente et stérile sur la mauvaise santé romanesque de la littérature française » (p. 51).
Rabaté reprend donc le concept de Viart, mais ne le développe pas. Au contraire, il complexifie la définition puisqu’il semble l’associer sans distinction à ce qu’il appelle simplement le « récit ».
RABATÉ, Dominique (2006), Le Chaudron fêlé : écarts de la littérature, Paris, José Corti, « Les Essais », 2006.
Un court extrait est joint au dossier (soit l’introduction à la troisième partie); le seul qui fait mention de Viart et du concept de « fiction critique » - qui sera repris dans le chapitre « Ce qui n’a pas de témoin » (voir fiche suivante). Je laisse toutefois l’ouvrage au bureau pour quelques temps, si tu souhaites le consulter.
Tiré de la fiche de Kim Leppik L’usage de la métonymie est très répandu, en tant qu’il affecte le projet d’écriture : son statut même, « comme possibilité à partir d’un morceau, à partir d’un fragment de réel, de déplier sur l’axe syntagmatique du récit la reconstitution du tout du monde, du réel en son intégralité », fait l’objet d’un travail critique de l’écriture (p. 45). La question de genre n’est pas prioritaire, c’est plutôt dans la force de « l’écart », « le travail aux marges, dans les espaces indécidables, ou le refus d’assignation générique » que la littérature contemporaine ne cesse de « remettre en jeu et en mouvement les formes héritées. » (p. 80) L’opposition fiction/diction ne tient plus, car les deux régimes sont donnés en même temps, habitent le même espace textuel, coexistent, ce qui est emblématique d’un temps et d’une « conscience de l’écart qui sépare, comme de l’intérieur, chacune des modalités narratives », où l’énoncé de la vérité « s’expose au soupçon de fictionnalité. » (p. 114) Ainsi, « entre une impossible diction et une fiction insuffisante (c’est-à-dire qui ne saurait plus exister par elle-même), la littérature contemporaine invente une formule instable, un mixte problématique » (p. 127-128). L’écart peut également jouer dans le rapport instable entre « le biographe, le sujet singulier d’une vie » et « le biographe, l’inventeur imaginaire de ce qui se dérobe à la vue, à la trace historique […]. Il s’agit bien de produire un romanesque sans roman » (p. 180), des « vies imaginaires contemporaines » (p. 181). « Ce romanesque singulier (au double sens du terme : particulier et aussi de la singularité même) qui isole tel détail troublant, qui va au bord de ce qui échappe à tout témoin, là où l’expérience est à la fois absolument unique et totalement impersonnelle, me paraît conduire à l’idée suivante : ce qui fait la qualité éminemment romanesque d’une vie, c’est d’être presque rien. » (p. 182) Apparaissant à partir de la fin des années 80, ce nouveau genre revendique un espace d’énonciation particulier qui maintient l’indécision entre je et il/elle, entre archive et imaginaire, entre invention et mémoire, entre oubli et gloire, entre proximité et distance. (p. 224)
RABATÉ, Dominique (2003), « Ce qui n'a pas témoin ? Les vies imaginaires dans l'écriture contemporaine », in Rosa Galli Pellegrini (dir.), Stratégies narratives 2. Le roman contemporain, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, p. 29-44.
Tiré de la fiche de Kim Leppik
vies imaginaires : « à partir de la fin des années 1980, apparaît dans la littérature française contemporaine, avec une extraordinaire fertilité, un genre nouveau de texte qui se caractérise comme rêverie biographique sur une vie (illustre ou méconnue). Ce genre s’écarte du roman, puisque le fond en est historique, attestable mais il y retourne par le jeu volontairement concédé à l’imaginaire. C’est donc un genre mixte qui doit son instabilité essentielle au fait qu’il problématise le rapport complexe, non pas tant au témoignage biographique, qu’à la défaillance de tout témoin devant la vie d’autrui. » (p. 30) Les vies imaginaires, à la fois roman et son contraire (à la fois L’un et l’autre…) nous font entrer en autrui (possibilité que seule la fiction romanesque nous procure, selon Cohn) mais résistant à ce pouvoir imaginaire, en contrecarrant leur puissance fictionnelle. Rabaté affirme que les textes de la collection L’un et l’autre sont « ainsi emblématiques des deux dernières décennies du XXe siècle : ils se symbolisent eux-mêmes mais en passant par l’autre. » (p. 43) « Entre l’un et l’autre, de l’un à l’autre, le livre remet en circulation un désir d’écrire, de créer. Mais ce désir est propre à une époque critique, la nôtre, suspicieuse de ses légendes […]. Construisant et déconstruisant le Modèle, le magnifiant et le mettant à mal, l’auteur d’une biographie imaginaire cherche la limite de la littérature […] » (p. 44)
Très brève allusion au concept de « fiction critique » à la fin de l’article :
« Entre l’un et l’autre, de l’un à l’autre, le livre remet en circulation un désir d’écrire, de créer. Mais ce désir est propre à une époque critique [NBP : Dominique Viart nomme justement ce type de textes des « fictions critiques »], la nôtre, suspicieuse de ses légendes – au sens étymologique de “ce qu’il faut lire”» (p. 44)
Il inclurait donc, de façon large, la bio imaginaire de type « L’Un et l’Autre » dans la catégorie des fictions critique.
GROS, Karine (2004), « Gérard Macé et Pierre Michon : “Dis-moi qui tu hantes… je te dirai qui tu es” », dans Bruno Blanckeman, Aline Mura-Brunel et Marc Dambre (dir.) Le roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, p.45-53.
Elle propose d’appeler les textes de Pierre Michon et de Gérard Macé des « fictions critiques » (comme le propose Viart) plutôt que des essai-fiction, puisque la dimension essayistique requiert une adhésion totale de l’auteur à son écrit, alors que ce n’est pas vraiment le cas avec ces œuvres. (48)
PORFIDO, Ida (2002), « Le questionnement de l’histoire par le roman », dans Matteo Majorano (dir.), Le Goût du roman : la prose française; lire le présent, Bari, B.A. Graphis, 2002, p. 53-76.
Suggestion de Kim Leppik, mais article peu intéressant pour le sujet. L’auteur évoque des caractéristiques du roman contemporain qui sont aussi évoquées par Viart lorsqu’il parle de « fiction critique », mais jamais elle n’utilise le terme ou ne fait référence à Viart.