FICHE DE LECTURE
INFORMATIONS PARATEXTUELLES
Auteur : Wolfgang HILDESHEIMER Titre : Sir Andrew Marbot. (traduit de l’allemand par Martin Kaltenecker) Lieu : Paris Édition : J C Lattès Année : 1984 Pages : 250 p. Cote : U-Monréal PT 2617 I354 M212 1984
Désignation générique : Les ouvrages théoriques qui mentionnent cette biographie précisent que le titre allemand original est Marbot. Eine Biographie (1981). Toutefois, dans la présente édition française (1984), on donne pour titre original, simplement Marbot et aucune désignation générique ne vient appuyer ce titre. Toutefois, ce jeu sur le titre ayant une incidence très importante pour l’analyse de l’ouvrage, il est dommage que l’on ne puisse trancher… Dans le premier cas, l’indétermination générique se trouve renforcée par un paratexte plutôt vague et, dans le deuxième, le choix de l’auteur d’inscrire « une biographie » dans le titre rend sa tromperie particulièrement flagrante. Le titre véritable, quel qu’il soit, aiguillonne donc fortement la lecture dans une direction ou une autre. Cependant, puisque le narrateur ne cesse de se désigner comme « biographe », je présuppose que l’on peut donner au titre Marbot, Eine Biographie toute sa puissance pragmatique.
Bibliographie de l’auteur : L’oiseau toc, roman (1969) ; Mozart, biographie (1979). Biographé : Sir Andrew Marbot, esthéticien et critique d’art anglais.
Quatrième de couverture : 1-Long passage résumant la vie de Marbot et l’important travail biographique accompli ici par Hildesheimer. L’illusion est donc parfaite quant au statut « ontologique » de Marbot qui aurait fréquenté les grands de l’époque romantique et aurait été un important critique, mais aussi un «personnage bien singulier et romanesque». On annonce même la publication prochaine de l’œuvre critique intégrale de Marbot. Un premier clin d’œil ici, quoique très subtil : « Ceux qui n’ont encore jamais entendu parler d’Andrew Marbot auront du mal à comprendre comment un personnage aussi étonnant de l’époque romantique a pu rester aussi longtemps méconnu. » 2- Courte notice biobibliographique de Hildesheimer qui le présente comme étant « parmi les plus grands » et ayant une « œuvre littéraire considérable ». On mentionne qu’il a fait des études en peinture, ce qui est ici un autre indice très subtil du rapport entre Hildesheimer et Marbot, puisque le livre foisonne de commentaires critiques et historiques sur la peinture (ce qui nécessitait soit une étude fouillée– si nous étions en présence d’une authentique biographie-, soit une connaissance préalable du sujet - atout non-négligeable pour rendre l’illusion biographique encore plus saisissante). Finalement, on mentionne sa biographie (véritable celle-là !) de Mozart, paru aux mêmes éditions, et qui « lui a valu, avant Marbot, une renommée internationale. »
Préface : Aucune
Autres (couverture, note, épigraphe, photographie, etc.) : 1) La couverture présente une lithographie de Sir Andrew Marbot, supposément faite par Eugène Delacroix en 1827. 2) Au centre du volume se trouvent plusieurs pages de photographies renforçant l’illusion référentielle. Dans ces pages, se côtoient des peintures de Lady Catherine (personnage fictif) et de Thomas de Quincey, d’Henry Crabb Robinson, de lord Byron, etc. ; ainsi que des gravures des maîtresses de Marbot et une photographie de Marbot Hall, propriété de la famille dans le Northumberland. 3) Ce livre contient un index des noms cités, mais pas de bibliographie. Voilà peut-être un autre indice (toujours subtil) du caractère non-sérieux de cette « biographie » ; l’auteur emploie souvent des formules du genre « selon nos sources », « selon nos informations », mais ne précise jamais quelles sont ces sources.
LES RELATIONS (INSTANCES EXTRA ET INTRATEXTUELLES) :
Auteur/narrateur : A) Tous les indices sont donnés pour qu’on associe le narrateur avec l’auteur ; il se prête le nom de biographe, fait des commentaires sur ses recherches, émets des hypothèses, etc. B) Le narrateur, qui prend le nom de « biographe », n’est assurément pas l’auteur ; il s’agit d’une entité fictive tout comme l’est Marbot et sa famille.
Narrateur/personnage : A) Très importante présence du « nous » qui envahit l’espace et domine presque, à l’occasion, la figure de Marbot et qui met de l’avant le savoir du narrateur sur son personnage : « Nous, par contre, nous sommes étonnés de ce désir de communiquer, car, d’après ce que nous savons, Marbot était plutôt taciturne, sinon secret. D’un autre côté, nous ne pouvons imaginer que Schultz ait inventé cet épanchement, alors que les paroles de Marbot correspondent exactement à la vérité telle que nous la connaissons ; non sans réticences, nous prenons donc cet épisode à la lettre, tel que rapporté. » (p.11) B) Pas de différence, si ce n’est que l’on remarque ce rapport de supériorité comme étant une posture possible du biographe, mais une posture un peu gênante.
Biographe/biographé : « En tant que biographe » (p.126), il ne veut porter aucun jugement moral, mais commente les agissements de Marbot. Le rapport entre biographe et biographé est à l’occasion thématisé : 1- «Le biographe typique, nous dit Freud, est celui qui non seulement choisit son héros, mais est fixé à lui d’une façon étrange – si bien qu’il a l’impression, pourrions-nous ajouter, que c’est son héros qui l’a choisi. Et même s’il croit dire toute la vérité sur lui et rien que la vérité, distinguant soigneusement entre preuves et hypothèses, entre faits réels et conjectures, il ne peut s’empêcher de mettre à l’avant les qualités héroïques du personnage, de regretter ce qui ne cadre pas avec l’image idéale qu’il se fait de lui, de louer les agissements qui auraient été les siens ou d’être déconcerté quand il aurait lui-même agi tout autrement, se sentant soudain étranger à celui dont il retrace la vie. / Sa visite à Weimar a sans doute considérablement enrichi Marbot, et le biographe doit lui en être reconnaissant – pourtant je ne puis m’empêcher de penser que cette décision de rencontrer Goethe n’était pas digne de lui.» (p.145) 2- «On pourra consulter sous peu la nouvelle édition critique des œuvres et de la correspondance de Marbot, que je ne voudrais pas déflorer ici, surtout qu’il ne faudrait jamais, en toute rigueur, isoler un fragment de son contexte : il est difficile pour le lecteur de percevoir ce ton qui accompagne en contrepoint une lecture suivie, et se perd quand on cite. De plus, l’évolution spirituelle de notre auteur, et donc la logique qui préside à ses conclusions et déductions, apparaît uniquement, ne serait-ce que de façon schématique, quand on parcourt l’ensemble des écrits. Je pense néanmoins qu’il est important d’en retracer ici les grandes lignes, puisqu’elles découlent d’expériences concrètes dont on ne peut les séparer, comme on ne saurait abstraire sa vie de ses réflexions sur l’art.» (p.198).
Autres relations : Le couple biographe/lecteur est à l’occasion thématisé, simplement pour renforcer l’illusion référentielle et le leurre (par exemple, s’excuser auprès du lecteur pour le manque d’information – p.181). Il s’agit d’une relation d’affinités : « Je nous épargne au lecteur et à moi… » (p.197)
L’ORGANISATION TEXTUELLE
Synopsis : La chronologie de la vie de Marbot sert de ligne directrice, mais la narration de cette vie est entrecoupée de longs passages où le biographe cite et commente l’œuvre de Marbot. Le roman s’ouvre sur une rencontre entre Goethe et Marbot et sur un panorama général de ce que fut la vie et l’œuvre de Marbot (un seul livre, Art and life, publié de façon posthume). On reconstruit brièvement sa généalogie (surtout celle de ses parents, tous deux de religion catholique), puis on s’attarde à son enfance dans le nord de l’Angleterre (dans une propriété nommée Marbot Hall), ainsi qu’à l’éducation qu’il reçoit du vicaire de Marbot Hall et sa relation privilégié avec ce précepteur. Deux événements marquent sa jeunesse : une fascination pour un tableau du Tintoret (La Naissance de la voie lactée) à l’âge de 6 ans et une rencontre avec Thomas de Quincey à 17 ans. À 19 ans, Andrew entreprend un voyage de deux ans sur le continent européen, mais commence son séjour à Londres dans la famille de sa mère et c’est là qu’a lieu le début de la relation amoureuse/incestueuse entre la mère et le fils. Conscients qu’ils ne peuvent éterniser cette relation, les deux amants se séparent. Marbot entreprend son voyage ; d’abord en France, puis en Italie et en Allemagne, et l’on nous rapporte les rencontres importantes faîtes avec des peintres et autres grands hommes, tels Byron et Schopenhauer. Au bout de deux ans toutefois, la mort de son père oblige Marbot à revenir en Angleterre où se renouvellent ses relations avec sa mère pendant quelques semaines. Laissant la succession à son frère cadet, Marbot repart sur le continent pour toujours, se séparant définitivement de sa mère. Il erre à travers l’Europe pendant quelques mois puis se fixe définitivement à Urbino en Italie, où il s’établit chez une veuve qui devient rapidement sa maîtresse. C’est lors de ce voyage qu’il fait la rencontre de Goethe et de sa belle-fille Ottilie dont il devient l’amant pour 3 jours. Dès lors qu’il est en Italie, il continue son travail de critique, rencontre d’autres hommes influents, fait encore quelques voyages à Paris et à Venise, entre autres, où il prendra pour maîtresse une des anciennes maîtresses de Byron et future maîtresse de Lamartine (une femme qui, dit-on, s’amourache facilement des Anglais de passage…p.195). À l’âge de 29 ans, Marbot choisit la voie du suicide ; en fait, il choisit tout simplement de disparaître un matin et de ne jamais revenir. Sa compagne, trouvant ses carnets, ses notes et ses lettres, envoie le tout à sa mère.
Ancrage référentiel : Marbot joue beaucoup avec la question de la référence et de la citation des sources, procédés propres à la biographie traditionnelle. Mais outre le fait qu’Hildesheimer prétende rapporter les propos de Marbot à l’aide de lettres et de témoignages divers (A) qu’on devine évidemment comme étant des faux, produits de toutes pièces par l’imagination d’Hildesheimer (B), le fait de faire référence à de nombreux personnages historiques, peintres et écrivains, rend le statut fictionnel de l’œuvre encore plus difficilement reconnaissable. Toutefois, puisque la plupart des propos concernant ces personnages historiques se rapportent directement à Marbot (par exemple, le livre s’ouvre sur une rencontre entre Goethe et Marbot dont le conseiller d’état Prusse Schultz aurait consigné les paroles), la question de « l’ancrage référentiel » se trouve minée de l’intérieur, comme dans un roman historique. Notons également que la plupart des lettres qui serviraient d’ancrage référentiel dans la position de lecture A sont pour la plupart adressées à des personnages dont l’identité ne peut être prouvée.
Indices de fiction : A) Pas d’indices de fiction comme tel, seule la nuit du premier rapport incestueux est présentée sous le mode de l’affabulation : « J’imagine cette nuit-là… » (p.59) ; et parfois des spéculations sur les pensées intimes de Marbot sont introduites par « je pense que…» B) Il serait malhonnête de dire qu’on peut facilement trouver des indices de fiction. Toutefois, malgré la « maximilisation » de la mimésis formelle qu’opère Hildesheimer, on peut faire une lecture minutieuse qui fera apparaître certains détails connotant l’aspect ludique de cette « biographie ». Par exemple : 1) Il est étonnant qu’un seul homme, en quelques années seulement, ait pu connaître et fréquenter autant de grands hommes (Schopenhauer, Byron, William Blake, Wordsworth, De Quincey, Crabb Robinson, Delacroix ; ce n’est là qu’une liste non exhaustive de ses fréquentations…), tout en restant dans l’ombre de l’histoire, d’autant plus qu’Hildesheimer le présente comme un précurseur dans le domaine de la critique d’art (p.73). 2) La coïncidence extraordinaire ayant permis à Hildesheimer d’avoir accès aux documents relatifs à la vie de Marbot (il y a beaucoup de « heureux hasards » - p.133 - et de « lettres précieuses » conservées par « mégarde » - p.150). Voici comment le biographe explique le parcours de ces papiers : la compagne de Marbot envoie les papiers à Lady Catherine (mère de Marbot) qui les lit et biffe tous les passages où il est fait (très) subtilement allusion à leur amour. Elle donne ensuite lettres et carnets au prêtre confesseur de la famille Marbot, le père Van Rossum, qui se charge de préparer une première édition des écrits et biffe à son tour ce qui pourrait être personnel. Le père Van Rossum garde tous les papiers en sa possession puis les lègue à son frère. Par la suite, les papiers sont légués de génération en génération (un des descendants a même mis en sûreté les lettres de Lady Catherine, même s’il ne connaissait rien de l’histoire) pour finalement se retrouver entre les mains du biographe (voir p.74-76). C’est finalement au moyen d’une lampe à Quartz qu’Hildesheimer a décrypté les notes barbouillées par Lady Catherine (p.138) 3) L’obsession troublante et extrême du biographe pour la relation incestueuse entre la mère et le fils et qui se traduit par un effet de pathos dans la narration des faits. En effet, non seulement cette biographie veut-elle mettre au jour cette affaire (qui, selon le biographe, permet de mieux comprendre l’œuvre de Marbot), mais elle y insiste d’une façon tellement soutenue qu’on ne peut finir par percevoir l’ironie. L’auteur se permet des interprétations oiseuses (exemple p.94 ) où il interprète à sa guise des phrases de Marbot pour les transformer en aveu de son amour incestueux. La faiblesse de ses sources pour étayer l’hypothèse de l’inceste est évidente. 4) Le recours à diverses formes de méthodes psychanalytiques. D’abord, l’art de la critique tel que pratiquée par Marbot est une « psychanalyse appliqué » (p.77). Ensuite, le « biographe » insiste sans cesse sur l’importance des pulsions oedipales pour expliquer le geste (p.126) et va même jusqu’à s’enorgueillir (sobrement) d’avoir trouver un « cas pathologique » que la psycho-pathologie n’a pas décrit (p.69). Il fait souvent référence à Freud et discourt sur l’importance de la découverte de l’inconscient comme objet d’analyse (p.199). Son hypothèse serait en quelque sorte que seule une biographie psychanalytique, telle qu’elle se présente ici, peut expliquer le « cas » Marbot. J’ignore bien sûr qu’elles pouvaient être les idées d’Hildesheimer au sujet de la psychanalyse, mais la récurrence de ses références suggère ici une piste de lecture, tout particulièrement dans un passage tiré de la fin du volume où le biographe cite Marbot et conclut : «Si l’on remplace dans ce passage “oublié” par “refoulé”, et “jour” par “le conscient”, on voit que Marbot anticipe là un processus que la psychanalyse a défini depuis lors.» (p.229) Comment ne pas percevoir l’ironie ? 5) Insistance un peu bizarre de la part du « biographe » sur la véracité de son récit. Il ponctue celui-ci de remarques parfois énigmatiques : « …nous parlant d’événements que maint d’entre nous ne voudrait pas admettre en dépit de leur véracité, si tant est qu’une chose passée puisse encore être vraie. » (p.119-120) / « Nul doute que cette découverte est un heureux hasard – la clef de tout ce qui s’est dit ici et l’unique signe de vie, merveilleusement réel, de Lady Catherine - … » (p.197) / « …je ne saurais dire s’il a raison : un biographe doit être consciencieux, mais tout vérifier serait exagéré. » (p.197) 6) Une certaine part d’ironie romanesque si je puis dire, entre autres en ce qui concerne deux des maîtresses de Marbot, dont Ottilie Von Goethe, la belle-fille du célèbre écrivain. L’épisode est décrit ainsi : « [Il rencontra] Ottilie qui, ainsi qu’on pouvait le prévoir, tomba amoureuse de lui et l’aurait bien retenu à Weimar pour toujours. » (p.147) Selon ce texte, Marbot aurait été le premier amant d’Ottilie mais leur liaison ne dura que 4 jours… (p.147-149) 7) Il est important de noter que Hildesheimer a lui-même commenté son œuvre en disant ne pas comprendre pourquoi les gens n’ont pas compris qu’il s’agissait d’une fiction. Selon lui, le fait qu’il soit écrit sur un rabat du livre que «Marbot est pour ainsi dire tissé dans l’histoire culturelle du 19e siècle» et que l’index ne comporte que les noms de personnages historiques suffit à dénoncer la fiction. Évidemment, ces deux indices sont très minces, mais, qui plus est, ils ne se retrouvent pas dans l’édition française ; même l’index a été refait et comprend tous les noms des personnages fictifs… On est en droit de se demander si le traducteur savait à quel genre de livre il avait affaire…
Rapports vie-œuvre : A) L’œuvre de Marbot est plutôt mince. Un recueil de fragments a été publié posthume sous le titre Art and Life que De Quincey, en tant qu’ami, a commenté dans le Blackwood’s magazine. Toutefois, Hildesheimer prépare une version non complète mais considérablement augmentée des écrits de Marbot pour publication (p.16) ; c’est même par la nécessité de connaître la vie intime de l’homme pour comprendre son œuvre (p.117) qu’Hildesheimer justifie son entreprise biographique. Il déclare, à la fin de la biographie, que la lecture de celle-ci est indispensable à la bonne compréhension et la bonne réception de l’œuvre de Marbot qui sera publiée sous peu : «Voilà donc la principale raison de cette parution : la biographie devrait précéder l’œuvre, car sans ces cryptogrammes, d’une intimité parfois troublante, l’homme Marbot resterait une figure plus énigmatique encore qu’il ne l’était déjà.» (p.242) B) Le texte d’Hildesheimer est construit sur une dialectique vie/œuvre importante et à peu près équilibrée ; c’est-à-dire que « l’œuvre » de Marbot est tout aussi abondamment citée et commentée que sa « vie ». Le coup de maître ici est bien le décalage entre la pensée de Marbot et celle de son biographe ; le leurre est encore renforcé par le fait que le biographe, apparemment conscient des dangers du phénomène de la traduction, offre souvent des fragments de la version originale anglaise, comme s’il souhaitait rendre pleinement justice à la pensée de Marbot. / Finalement, on retrouve le cliché comme quoi seule la connaissance de la vie peut permettre de comprendre l’œuvre : « C’est pour cela qu’il n’y eut jamais d’édition critique, même si elle n’aurait guère été satisfaisante, les principaux textes éclairant le rapport entre la vie et l’œuvre restant inaccessibles jusqu’à ce jour ; ils sont la seule clef de l’énigme de cet homme. » (p.78)
Thématisation de l’écriture et de la lecture : Peu thématisées. Mais, fort heureusement, Marbot « écrivait de longues lettres substantielles – comme s’il avait voulu laisser sur lui-même une documentation riche et disséminée – … » « et, surtout, il lisait beaucoup et intensément, en vue d’en tirer son profit sans doute… » (p.213-214)
Thématisation de la biographie : Elle est fortement thématisée ; il s’agit peut-être même du thème le plus important de l’œuvre si on fait une lecture en B. Elle est thématisée de plusieurs façons : 1) Le narrateur fait référence, à plusieurs reprises, à une autre biographie de Marbot (Sir Andrew Marbot) écrite par un certain Frederick Hadley-Chase en 1888 (p.16 / p.89/ p.178/ p.214/ p.236) ; soit pour contester ces hypothèses ou pour s’y référer. 2) Le narrateur rectifie souvent ses positions et annonce qu’elle est le but de sa biographie ou encore comment il entend traiter son sujet (« Le but de cette biographie n’est pas de juger ce refus… » p.18). 3) Le narrateur justifie ses choix : « Je suis parfaitement conscient que cette accumulation de détails secondaires serait mieux à sa place dans une autre biographie que celle d’un biographe de l’art… » (p.21) 4) Le narrateur fait des commentaires et des réflexions sur l’art et la méthode biographique : « J’aimerais insister dans ce livre sur ce qui me manque dans la plupart des biographies […] : cette vie quotidienne que le noble discours rejette comme indigne de lui, tout ce que l’on suppose connu de tous ou sans intérêt, mais dont l’importance comme contribution à l’image d’une époque croît au fil des décennies et des siècles. […] » (Voir p.21 à 23) 5) Le narrateur emploie quelquefois des tournures un peu ironiques sur son entreprise : « Le biographe doit demander un pardon posthume à son héroïne pour avoir rendu lisible – au moyen d’une lampe à quartz – ce passage… » (p.138) / « Comme s’il [Andrew] distribuait des aumônes pour notre zèle de chercheurs… » (p.152) / « …voilà qui suscite l’interrogation des biographes, y compris la mienne, sans qu’elle puisse s’arrêter nulle part, et toute hypothèse sérieuse venant d’un lecteur vaudrait bien les miennes. » (p.161) / «- quitte à commettre la faute classique des biographes : reprocher quelque chose à leur héros. » (p.218)
Topoï : Le narrateur annonce clairement que le sujet de son livre est la relation entre Marbot et ses parents, plus particulièrement sa relation à sa mère (p.11). L’inceste est donc le topos le plus important (il est décrit, thématisé, analysé, transposé, etc.), puis viennent l’époque romantique, l’art, les voyages, les idées, le suicide, etc.
Hybridation : Ne joue pas nécessairement entre biographie et roman, puisque les procédés romanesques ne sont pas utilisés ici. Le fait que certains personnages soient fictifs relève davantage du référentiel.
Différenciation : Ne s’applique pas.
Transposition : B) Transposition des procédés de la biographie factuelle pour faire une œuvre de fiction.
LA LECTURE
Pacte de lecture : Rien de tangible, dans le texte ou le paratexte, ne laisse deviner qu’il s’agit d’une « fausse » biographie. L’ouvrage propose donc un pacte de lecture factuel (si je puis dire) ; il s’agit donc d’une supercherie littéraire, d’un roman qui, comme le dit Schaeffer, échoue à se faire reconnaître pragmatiquement comme une fiction.
Attitude de lecture : Ce livre est un véritable objet de curiosité. D’un côté, si on imagine qu’un lecteur se prenne au jeu de la biographie, il fait peu de doute que, à moins de s’intéresser à la peinture, il ne baille d’ennui après seulement quelques pages. De l’autre côté, lire Marbot en sachant qu’il s’agit d’une « fausse » biographie est à mon avis une piste de lecture beaucoup plus riche. On baille certes d’ennui en lisant les longues tirades d’Andrew au sujet de l’art, mais l’ironie subtile d’Hildesheimer – que l’on perçoit à travers les remarques du personnnage-biographe – est tout simplement délicieuse.
Lecteur/lectrice : Manon Auger