Informations paratextuelles
Auteur : MICHON, Pierre Titre :Trois auteurs Lieux : France Éditions : Verdier Collection : Année : 1997. Les textes ont précédemment paru dans :
Balzac, Un début dans la vie, POL 1993 (typog. telle), pour « Le temps est un grand maigre » La Nouvelle Revue Française, n° 491, décembre 1993, pour « La Danseuse » La Quinzaine littéraire, n° 606, août 1992, pour « Le père du texte »
Appellation générique : aucune indication
Biographie de : textes, mais pas exactement des biographies, sur Balzac, Cingria, Faulkner
Bibliographie de l’auteur : romancier et notamment auteur de Rimbaud le fils.
Quatrième de couverture : très court texte de l’auteur qui décrit brièvement et métaphoriquement son projet, où il est question d’écrire « dans l’ombre bienveillante de trois grands moulins », c’est-à-dire de trois auteurs. Très intéressant aussi sa comparaison de l’écriture du critique et de l’écriture d’auteur, tous deux se mesurant à l’œuvre de l’écrivain dont il est question : « Le critique qui accepte bravement le combat, est le Don Quichotte du texte, dont le moindre coup d’aile l’envoie au tapis. Je suis moins audacieux : dans l’ombre bienveillante de trois grands moulins, j’ai mis trois machines réduites, en miroir, en offrande. Voici ces petits moulins à vent ». Ceci, à mettre en relation avec sa façon d’écrire sur Rimbaud : pas en critique (toujours d’abord par un savoir, historique, herméneutique, etc.), mais en position de lecteur/ écrivain. (Ceci vaudrait aussi pour l’attitude d’autres auteurs, non-théoriciens mais probablement non ignorants du discours théorique/ critique savant qui se préfèrent en posture d’égalité — auteur/ auteur et donc créateurs — qu’en posture méta (critique/ écrivain.). La bio imaginaire, une façon d’éviter la posture critique (qui « doit » sanctionner, qui « doit » posséder la vérité, ce qui est bien difficile à défendre dans notre ère postmoderne.) Lyotard a démontré, sur le plan narratif, l’impossibilité du grand récit téléologique; les bio imaginaires démontrent-elles l’impossibilité du grand récit de vie uni-interprétatif (1) parce que ce ne sont pas des critiques et 2) parce que ce sont des écrivains qui inventent — et donc pluriel de possibles)?
Épigraphe : citation de Balzac, Illusions perdues : « Tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu’un petit farceur.» Citation reprise dans le texte (celui sur Balzac, 33), Michel Chrestien la disant à Lucien de Rubempré (2 personnages de Balzac). Commentaire de Michon : « c’est Balzac qui le dit à Balzac – il est trop bienveillant, on le sait, pour le dire à qui que ce soit d’autre. »(33)
Résumé : - Il ne sera pas question du texte sur Faulkner, car il ne concerne pas notre corpus. Ce n’est pas une bio., c’est une réflexion de Michon (« Le père du texte » « Il est le père de tout ce que j’ai écrit », p. 82) sur l’auteur le plus important pour lui. « Oui, ce que m’a donné Faulkner, c’est la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative, la grande voix invincible qui se met en marche dans un petit homme incertain. C’est la violente liberté. » (82)
- Je résume et commente, dans cette section-ci seulement, le texte sur Cingria,. Il ne sera question, dans la suite, que de celui de Balzac. Le texte sur Cingria traite des écrits de l’auteur – et d’une figure de l’écrit plus particulièrement – et non de la vie de Cingria. Il se rapprocherait plus de l’analyse de texte (imaginaire?). Tout de même, la façon Michon de traiter le texte de l’écrivain me paraît intéressante et cela pourrait participer à l’élaboration de la thématisation de l’écriture. Point de départ, point de condensation, une image qui revient dans les livres de Cingria, image qui représente une femme qui danse :
Cette image est comme le livre lui-même. Comme le livre de Cingria. Comme Cingria. Comme son emblème. Comme sa personne. […] C’est la joie rythmée. C’est l’apparition de ce qui s’écrit et se chante. […] C’est Cingria, sa prose, son désir, son être. […] « J’ai retrouvé cette jongleresse sept fois dans les œuvres de Cingria, et quand je ne l’ai pas tout à fait retrouvée, je l’ai inventée. J’en ai fait sept paraphrases, ou sept gloses comme on voudra. Je l’ai mise en scène sept fois, en hommage à cet autre gros homme qui ne la reconnaîtrait sans doute pas. (51-53)
C’est en somme la lecture de Cingria par Michon. Après cette introduction, Michon y présente ses sept gloses. Ce sont 7 images où il y a danse, 7 épiphanies, 7 moments de grâce, 7 images saisissantes. C’est en même temps une lecture (d’un auteur : Cingria), une interprétation (d’un lecteur : Michon), une invention parfois (de l’écrivain : Michon) et une forme (donnée par l’écrivain) : de La civilisation de Saint-Gall : rencontre de Gall, Hiltibold et de l’ours qui esquisse un pas de danse. de Correspondance 1, Cingria, jeune, dansant dans une chambre crapuleuse. de La Reine Berthe IX : Adélaïde, âgée de 7ans, fille de Berthe dansant sur fond de neige et de soleil. de Le parcours du Haut-Rhône : Cingria sur les chemins de Simplon, les yeux au ciel, imagine voir passer l’avion de Chavez qui a chuté là il y a environ 30 ans. Et Michon poursuit : « Et vous, lecteur de Cingria qui êtes en 1993 sur les chemins du Simplon, quand la nuit vient, quand un jet très haut passe, vous dites c’est Chavez. Vous le voyez? […] C’est Chavez l’antique, c’est Bacchus ivre de kérosène qui danse avec ses panthères au-dessus du Simplon, dans les vociférantes étoiles » (64-65). Dans cet exemple, il semble bien que c’est Michon qui ajoute la figure de la danse. Encore ici, l’importance de la filiation, entre l’écrit, l’écrivain, le lecteur. Les dates (1910, 1943, 1993) sont là pour ponctuer cette filiation. de Pétrarque, V. : sur le chemin, croisant des femmes se rendant à Saint-Jacques. Danse de l’une d’elle. de Monsieur Pitt, II. : écrivain ami de Cingria. La danseuse est ici une statuette vue chez un ami, statuette que Pitt aime et qui personnifie la forme pure. De Correspondance IV : Cingria écrivant un article pour la NRF sur Trotsky un article qui irrite. Paulhan, à partir d’une phrase du texte de Cingria, « amène la danse » pour calmer Gide. Est-ce de Cingria ou de Michon cette figure de la danse?
- Nous retenons le texte sur Balzac, qui peut s’insérer dans notre corpus. Balzac : fragments de vie de Balzac, sont présentés, pas dans l’intention de reconstituer sa vie. L’objectif n’est pas de raconter la vie de Balzac. Par ces fragments de vie qu’il présente, Michon se donne l’occasion de saluer Balzac, auteur important pour lui. C’est aussi l’occasion de réflexions sur la littérature, sur le travail de l’écrivain. On y trouve : ce qui rappelle Balzac à Michon (le langage de sa grand-mère comme dans la Comédie humaine : 18, certains lieux géographiques : 23). Balzac qui écrit la nuit; Balzac qui rencontre Sand, Baudelaire, Stendhal, Nerval ; Balzac mourant visité par Hugo. Michon relate et imagine à partir d’événements pris « sur le vif » qu’il trouve dans les livres, journaux, correspondances, etc. À travers ces fragments retenus, réflexion que poursuit l’auteur Michon sur la littérature, sur les écrivains. Voir par exemple : sur l’invention des personnages (« Quel jour Balzac a-t-il vu passer Vautrin? » (14) et sur l’importance des personnages de la Comédie humaine pour les auteurs qui suivront (21); sur le texte balzacien comme champ de bataille et sur la toute-puissance énonciative de son auteur (34-35); sur « le roman de la littérature en personne »(40). Sur comment Balzac est à la fois écrivain et homme (ce que l’homme Balzac pense — selon la version de Michon — de l’écrivain Balzac), sur comment l’écrivain s’immortalise dans ses personnages et dans tous ces liens tissés entre son œuvre et les lecteurs.
Pacte de lecture - Pas d’appellation générique, une quatrième de couverture au timbre poétique, un titre qui annonce la présence d’auteurs, mais tait leur nom, donc une lecture sans balise précise (mais on a ajouté un bandeau qui nomme les trois auteurs). - Pour le texte sur Balzac, Michon ne précise pas d’entrée de jeu, comme on le fait généralement dans un essai biographique, son projet. Il s’agit tout de suite de Balzac, mais par le biais de l’indicatif du téléphone du même nom, référence à une scène de Pierrot le fou. D’une certaine façon, Balzac partout où il est. Tel lieu qui rappelle Balzac, telle association (entre Che Guevara et Balzac, par Michon « mêlés dans la même louange »)(43). Donc, pas une vie d’écrivain, mais un mélange d’éléments factuels et de scènes inventées, cela tout au long du discours. Discours qui n’ignore pas sa propre ignorance : « De quoi parlent ces lignes? De Balzac? De la littérature? Du monde? De mon impossibilité à les dire? De notre impossibilité à dire? » (43)
Les relations et mode de présence auteur/ narrateur/ biographe/ biographé personnages, sujet d’énonciation/ sujet d’énoncé - Auteur est présent par endroits en tant qu’écrivain/ lecteur qui s’intéresse au travail d’écrivain de l’homme Balzac (comment, quand écrivait-il? Comment, quand a-t-il rencontré ses personnages? Se sentait-il écrivain?). Il prend la parole au je, s’interrogeant sur ses propres motivations : « Qu’est-ce qui me charme tant dans ces morceaux mythiques? L’entrée de plain-pied dans les appartements privés? […] Le peu de réel qui s’y cache quand même? […] Qu’est-ce qui me charme tant – et me laisse pourtant sur ma faim? […] (39) Michon parle « du roman de la littérature en personne », de « petite épiphanie en miroir de la littérature personnellement », de la littérature qui va à la rencontre d’elle-même quand Balzac et Baudelaire se croisent. - L’auteur Michon se fait aussi narrateur : il raconte/invente la rencontre de Balzac avec d’autres écrivains à partir d’indices, imagine ce qu’ils ont pu se raconter, la pose qu’ils adoptent l’un face à l’autre. Il partage la narration avec d’autres (utilisation de références biographiques, phrase tirée d’une lettre, par exemple), prêt à inventer (voir, dans indices de fiction, le dîner Balzac-Nerval-Fiorentino).
- Je ne retrouve pas une relation biographe/biographé. C’est plutôt le filon écrivain/ écrivain qui est exploité (et non pas l’auteur).
Ancrage référentiel (marqueur de réalité) - Des noms de personnes, de lieux, des dates, quelques repères. Peu, mais suffisamment pour savoir que le texte est ancré dans la réalité. Tout cela semble s’adresser à un lecteur qui connaît déjà la biographie de l’auteur, ou qui, de toute façon, peut retrouver ces détails facilement dans les bouquins. - Mention des sources référentielles de Michon n’est jamais très précise : « L’éditeur Werdet raconte que » (19); citation de Stendhal qui dit avoir rencontré Balzac (37) ; « Je puis vous dire – écrit Prarond à Eugène Crépet en 1886 – comment Baudelaire se présenta sans intermédiaire à Balzac. » (39).
Indices de fiction d’ordre thématique - Fiction est annoncée. Après avoir donné ses sources référentielles (pas toujours précises) pour le petit détail de la vie privée et réelle qu’il a retenu, une rencontre (très souvent avec un autre écrivain), un dîner, etc., il invente la scène, décor, habits, paroles échangées. Par exemple : - « Je n’ai rien trouvé à propos de Nerval et Balzac ensemble sur le vif. J’aurais pourtant aimé les voir tous les deux, […] Je lis encore, dans une note microscopique, que Pier-Angelo Fiorentino, au bien joli nom, qui tint la rubrique des théâtres au Moniteur, au Constitutionnel, fut un familier et de Balzac et de Nerval; la note dit que ce journaliste raconte, dans un texte du 13 mai 1849, un déjeuner que Nerval et lui-même firent chez Balzac aux Jardies. Hélas! Sous quelle poussière dorment les livres du pauvre Fiorentino? Je n’irai pas les y chercher. Ce serait si joli pourtant de les voir là à la mi-mai mangeant sur la terrasse, l’ivresse des hommes, les guêpes ivres, la nappe de nabab […] et puisque le nom de ce Fiorentino évoque si fort le pays des peintures, le gros homme vaniteux place son Raphaël dans la conversation. Ah, Raphaël, dit-il. Ce nom le grise comme du vin. Nerval sourit. Il regarde longtemps Balzac. Il a posé sa main sur le bras du gros homme. » (44)
Thématisation de l’écriture - je dirais que Michon montre le mécanisme de mise en action de l’écriture (son propre travail d’écrivain, voir exemple précédent, p. 44) : par exemple, lorsque, après avoir dit que la scène n’existe pas, il l’invente et la décrit, il met ainsi en scène l’écriture et en montre son pouvoir de création (invention d’une scène, d’un monde, quête d’une vérité?).
Attitude de lecture - évaluation par rapport à un corpus « biographie imaginaire » : plutôt un essai qu’une biographie, bien que ancrage dans la vie privée, intime de Balzac. Tout cela, les descriptions de petits faits réels, mais fictives dans les détails, les précisions imaginés, servent d’abord le propos premier, une réflexion sur ce qu’est la littérature, ce qu’est l’écriture et qui est l’écrivain.
Hybridation, Différenciation, Transposition
Autre photocopie : ressemble beaucoup à son Rimbaud.
Lecteur/lectrice : Anne-Marie Clément